LE DEMOCRATE (LD).- M. le Président du Parti de l'Unité Nationale (PUN) et Député de Dékoa, votre longue absence du pays a été diversement interprétée par la presse privée indépendante et certains observateurs de la vie politique. Pouvez-vous situer l'opinion nationale publique sur les raisons de votre long séjour à l'étranger ?
JEAN-PAUL NGOUPANDE (JPN). - Je suis vraiment surpris par le battage fait autour de mon absence. Je ne suis pas LE leader de l'opposition centrafricaine. Je ne suis que le dirigeant d'un tout jeune et petit parti, qui a recueilli à peine 3% des voix lors de la dernière élection présidentielle. Ma présence ou mon absence ne devrait donc pas être de nature à bouleverser de quelque manière que ce soit le paysage politique centrafricain.
Pendant les deux campagnes électorales auxquelles j'ai pris part en 1998 et 1999, j'ai délivre un message très précis : celui de l'unité nationale et de la réconciliation nationale, ainsi que de l'impérieuse nécessité de bien gérer, pour trouver enfin le chemin du développement. Je dois admettre que ce message n'a pas été entendu. D'autres considérations et d'autres préoccupations ont prévalu et donne le résultat que nous connaissons. Dans ces conditions, qu'y a-t-il de plus normal que de prendre un peu de recul pour tenter de comprendre pourquoi un tel message n'a pu passer, et comment faire pour qu'il finisse un jour par être entendu ?
LD - Depuis la proclamation officielle des résultats de l'élection présidentielle du 19 septembre 1999 contestés par l'Opposition, on assiste à une passivité des opposants. Peut-on dire que c'est une passivité tactique ?
JPN - Encore une fois, je vous dis que je ne suis pas le plus qualifié pour définir et impulser une ligne de conduite à l'opposition centrafricaine. J'apporte ma contribution en tant que démocrate et patriote, et cela bien évidemment dans la limite encore très modeste de la force politique que je représente. Ma préoccupation principale aujourd'hui est de tirer les leçons de ce qui s'est passé en 1998 et 1999 (élections législatives et présidentielles), et travailler avec acharnement pour renforcer et élargir l'audience du courant et des idées politiques que je représente. De plus, c'est ce que veulent les militants de mon parti et les autres formations qui ont appelé à voter pour moi lors de l'élection présidentielle.
Si, comme je le crois totalement, nos idées sont justes, elles finiront par s'imposer un jour. Pour cela, mes amis et moi nous travaillons, nous n'avons pas le sentiment d'être <<passifs>>, pour reprendre votre expression. Depuis mon retour , nous avons, par exemple, organisé au niveau du PUN un rassemblement dans le IVe Arrondissement, le vendredi 16 Juin 2000, rassemblement qui a vu la participation de beaucoup de monde, et cela dans un secteur de Bangui qui était jusqu'ici sous le contrôle du parti au pouvoir. Avec nos amis de l'ASD, de CNP, du FC, du MDI/PS et de l'UPR, nous préparons pour le samedi 8 Juillet 2000 une grande Journée de Concertation qui réunira nos militants et nos cadres. Comme vous le savez, nous avons exprimé un point de vue commun sur la grave crise dans laquelle a plongé le pays principalement à cause de la pénurie de carburants. De même nous avons apporté notre contribution pour que l'ensemble de l'opposition prenne une position commune sur ce grave sujet d'actualité. Nous sommes tout à fait disposés à rechercher avec les autres partis d'opposition les voies et moyens d'actions communes à mener pour répondre à l'attente légitime des populations qui pâtissent très durement de la situation.
Mais il est clair que de telles initiatives n'auront de retentissement que si les leaders des formations les plus représentatives de l'opposition s'entendent et s'engagent directement et résolument. C'est comme cela que les choses se passent dans tous les autres pays africains.
LD - L'histoire des institutions politiques de la République centrafricaine nous a appris que la CFD, le CODEPO, le G7, le G11, l'UFAP, etc, n'ont pas pu marcher à cause des intérêts partisans et des calculs politiciens, A quelles conditions le regroupement des partis politiques dont vous êtes l'un des fervents défenseurs peut réussir ?
JPN - Je viens de répondre en partie à cette question. J'ajoute que nulle part au monde l'unité d'action de partis, qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition, n'a été un long fleuve tranquille. <<L'union est un combat>>, a-t-on l'habitude de dire . L'essentiel réside dans la volonté de travailler ensemble pour le bien du pays. Il faut ensuite respecter la personnalité de chaque formation, rechercher intelligemment et privilégier ce qui unit, procéder par consensus négociés honnêtement. Rien n'est plus diviseur qu'un comportement inquisiteur et une volonté d'uniformisation au forceps.
LD - Quel est votre point de vue sur la crise actuelle liée à la pénurie de carburants ?
JPN - Le communiqué de presse des six partis ASD - CNP - FC - MDI/PS - PUN - UPR du 10 Juin 2000 et le communiqué signé par 11 partis d'opposition le 19 Juin 2000 reflètent exactement ce que je pense de cette situation. Les autorités de notre pays gagneraient à dire la vérité à la population, au lieu de bluffer pour gagner du temps. Le Gouvernement ferait bien de rechercher rapidement les vraies solutions au lieu de biaiser, car les conséquences de la pénurie sont déjà désastreuses. Dans cette affaire, sa responsabilité est écrasante. Je rappelle simplement le débat qui a eu lieu à l'Assemblée nationale début mars 1999. J'avais posé la question de savoir où nous en étions de la privatisation de PETROCA et de sa liquidation. Il m'a été répondu que le Gouvernement ne voulait pas réagir sous la pression des bailleurs de fonds, et qu'il avait son propre calendrier. Gouverner, c'est pourtant prévoir !
LD - Comment peut-on sortir de l'impasse actuelle ?
JPN - Le minimum à faire en pareil cas, dans un pays qui se dit démocratique, aurait été de limoger immédiatement un gouvernement qui a commis tant de négligences et qui, à l'évidence, se révèle incapable de juguler une crise qu'il n'a pas vue venir. Mais le Président de la République a dit très clairement qu'il n'était pas question pour lui de prendre quelque sanction que ce soit. Rien d'étonnant à cela, quand on voit le nombre de personnes proches du régime, impliquées dans les nombreux scandales politico-financiers qui ont été révélés ces dernières semaines, et qui circulent pourtant dans la plus parfaite impunité.
Nous ne sommes donc pas prêts de sortir durablement de cette crise qui fragilise encore plus un pays et une population déjà durement touchés par les conséquences de la mauvaise gestion qui caractérise le régime. Nous le sommes d'autant moins que les premières mesures prises par le Président de la République n'augurent rien de bon quant à l'exigence de transparence. J'en veux pour preuve la remise en selle d'un personnage que j'avais renvoyé de la direction générale de PETROCA quand j'étais Premier Ministre, à cause de sa gestion prédatrice de cette importante entreprise publique.
L'opposition, pour ce qui la concerne, n'a pas d'autre choix que de dénoncer vigoureusement cette situation, mobiliser ses militants et multiplier les pressions pour défendre les intérêts du peuple.
LD - Que pensez-vous de nos relations avec la République Démocratique du Congo (RDC) dans cette pénurie de carburant ?
JPN - Je tiens d'abord à préciser que la première cause de cette pénurie est le retard pris dans la liquidation de PETROCA, et le démarrage tardif de la campagne d'approvisionnement.
C'est vrai que cette situation a été aggravée par la saisie de nos 25000 m3 à Kinshasa. En août 1998, au nom du Parti de l'Unité Nationale, j'avais rendu publique une déclaration pour désapprouver l'implication directe de notre pays dans la guerre civile au Congo, en faveur du régime du Président Kabila.
En 1999, j'ai observé, comme de nombreux Centrafricains, un retournement d'alliance et des relations actives avec le MLC de Jean-Pierre BEMBA. Comment s'étonner que le Président Laurent Désiré Kabila se fâche et prennent les mesures que l'on sait, malgré les dénégations officielles ?
C'est pourquoi je suis persuadé que le règlement durable de cette crise passe par une négociation directe, c'est-à-dire au plus haut niveau, avec les autorités congolaises. Notre pays doit rester neutre, et trouver un modus vivendi basé sur cette neutralité.
La voie fluviale est la moins coûteuse pour nous en ce qui concerne tous les produits pondéreux, à commencer par les hydrocarbures. Un pays enclavé comme nous doit avoir une diplomatie prudente, une diplomatie d'entente avec tous nos voisins, et d'abord ceux par qui passent nos approvisionnements.
Il faut que le Président Patassé aille à Kinshasa pour rétablir un climat de confiance basée sur la neutralité.
LD - Le délai légal accordé à la Cour Constitutionnelle pour statuer sur les requêtes en annulation faites par l'opposition est dépassé. Quelles sont les actions que compte mener l'opposition pour amener cette haute institution judiciaire à respecter le Code électoral et la Constitution du 14 janvier 1995 ?
JPN - Je ne me fais aucune illusion sur l'issue de cette requête. Cette institution n'a pas, jusqu'ici, particulièrement brillé par les manifestations de son indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. Mais enfin, nos avocats, pour le principe, continuent de suivre cette affaire, et ils ont raison. Pour l'Histoire, il faut prendre date.
LD - Quelle est votre appréciation de l'arrestation spectaculaire des journalistes de la presse privée indépendante et de la grève de la faim qu'observe le compatriote Bengue-Bossin ?
JPN - Par principe, je condamne les arrestations et les emprisonnements de journalistes à chaque fois qu'ils écrivent des choses erronées, y compris des informations fausses qui peuvent attenter à l'honorabilité d'honnêtes citoyens. On peut légitimement exiger le droit de réponse. J'admets même que dans les cas d'outrance et de récidive on puisse obtenir une réparation sous la forme d'amendes symboliques, pour obliger la presse à plus de rigueur et d'autodiscipline. Mais les arrestations et les emprisonnements sont des mesures antidémocratiques. Malgré ses limites, cette presse privée apporte une contribution irremplaçable au débat démocratique, surtout en RCA où les médias d'Etat sont totalement muselés par le pouvoir et transformés en organes d'une propagande anachronique - et du reste inefficace à cause de la démesure et du dégoût qu'elle inspire de plus en plus - en faveur du régime.
Quant à la grève de la faim de notre compatriote Bengue-Bossin, je tiens personnellement à lui adresser l'expression sincère de mon admiration et de ma sympathie. S'engager dans une telle action au péril de sa vie est un acte héroïque. Cela montre surtout que malgré l'apparente résignation générale, il y a des Centrafricains qui ne baissent pas les bras. Le pouvoir ferait mieux d'accorder un peu d'attention à cette action.
LD - Comment voyez-vous l'avenir de notre jeune démocratie et de notre pays ?
JPN - A ne s'en tenir qu'à ce qui s'est passé ces derniers mois et notamment pendant l'élection présidentielle, on ne peut qu'être sceptique, et même franchement pessimiste. Le champ de la démocratie ne s'est pas élargi, loin de là. Les réflexes rétrogrades comme le tribalisme et le régionalisme se sont exacerbés, ce qui a perverti l'expression saine du suffrage universel. Par ailleurs l'extrême misère dans laquelle vit l'immense majorité de la population renforce le réflexe de survie au quotidien : juste pour avoir 500 FCFA et survivre dans la journée, on vote pour quelqu'un qui n'a pas les qualités requises pour conduire le pays vers le développement. Voyez-vous, l'homme qui a faim n'est pas un homme libre, capable de mesurer les conséquences de ses choix. Le pire, dans notre pays, c'est que les cadres, censés faire preuve de lucidité, n'échappent pas à ce phénomène. La précipitation des cadres vers la mangeoire est singulièrement inquiétante en RCA. Vous connaissez sans doute le slogan qui a fleuri juste après la proclamation du résultat de l'élection présidentielle : <<Six ans, ce n'est pas six mois !>>. Je me suis même laissé dire qu'il y avait eu près d'un demi millier de candidats potentiels pour des postes ministériels. Beaucoup de ces cadres justifiaient cette attirance par le besoin d'apprendre à gérer l'Etat. J'observe que pour le moment, ils apprennent surtout la prédation, si j'en crois la succession de scandales politico-financiers de ces derniers mois ...
LD - Est-ce à dire que vous êtes opposé à toute collaboration avec le régime ?
JPN - Pas du tout. Surtout, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Je suis de ceux qui, depuis quatre ans, répètent inlassablement que notre pays n'est pas encore sorti de la zone de hauts risques, ce qui implique que toutes les forces vives et toutes le bonnes volontés doivent conjuguer leurs efforts en vue d'une sortie durable de la crise. A ce que je sache, personne n'a officiellement dénoncé le Protocole d'Accord Politique (PAP) du 5 juin 1996, ni les Accords de Bangui du 25 janvier 1997, et encore moins le Pacte de Réconciliation Nationale (PRN) du 5 mars 1998. Bien qu'ayant eu la majorité aux élections législatives de 1998, l'opposition avait accepté le principe de la cogestion proposé par l'ONU et soutenu par une bonne partie de nos partenaires extérieurs. On sait qui a opposé une fin de non-recevoir à cette proposition.
Une chose est de discuter sérieusement pour parvenir à un accord politique portant sur les problèmes prioritaires à résoudre ensemble, une autre est de se précipiter vers la mangeoire, sans principe, pour cautionner une gestion désastreuse pour le pays. Ceux qui s'opposaient à cet indispensable consensus invoquaient le souci d'efficacité. On voit aujourd'hui où cette intransigeance a conduit le pays.
LD - Vous êtes donc pessimiste sur l'avenir de notre pays ?
JPN - A très court terme , oui, tant l'horizon paraît bouché. Le désenchantement et le désespoir se lisent désormais sur le visage de la plupart des Centrafricains, y compris ceux qui ont voté en faveur du régime actuel. Je suis natif d'une région et d'une ethnie qui étaient jusqu'ici acquises à ce régime, ce qui explique en grande partie les résultats quelque peu décevants qui ont été les miens aux récentes élections, et cela en raison du contexte de tension ethnique et régionale. J'aurais pu, moi aussi, me livrer à une campagne ultra-tribaliste comme d'autres l'ont fait, et j'aurais peut-être gagné plus de voix C'est vrai que mon message sur l'unité nationale et la bonne gestion n'a pas été entendu. Mais cela ne veut pas dire que ce message est mauvais. Il faut persister dans le combat pour les idées que l'on estime justes. La politique, la vraie, celle qui n'a rien à voir avec la politique du ventre, est d'abord une affaire de conviction. Si on prend sa carte d'un parti politique dans l'unique espoir d'un poste ministériel dans les mois qui suivent, c'est la politique du tube digestif, et cela n'a strictement rien à voir avec le combat pour la démocratie et le développement, qui est nécessairement une lutte de longue haleine.
J'ai passé toute ma vie d'étudiant en France à lutter contre le régime dictatorial de Bokassa. Aujourd'hui, je suis prêt à lutter dix ans, vingt ans s'il le faut, pour que mon pays connaisse un vrai changement, celui qui passe nécessairement par l'unité nationale et la bonne gestion.
LD - Qu'attendez-vous de la communauté internationale pour aider la RCA à sortir de ses difficultés ?
JPN - Sur cette question, je n'ai pas varié d'un pouce : les solutions à nos problèmes viendront d'abord de nous-mêmes. Ne nous berçons d'aucune illusion à ce sujet. Il arrivera même - et cela s'est déjà vu - que les intérêts de la dite communauté internationale, ou de certains de ses représentants, ne soient pas précisément ceux de la majorité du peuple centrafricain ...
LD - Merci pour la franchise avec laquelle vous avez répondu à nos questions.
(le 27 juin 2000)