Ngoupandé le légaliste dans le feu de l'action...

Jean-Claude LENGA
Henri GROTHE

 

Pour ceux qui scrutent l'actualité politique centrafricaine, rien de surprenant à priori, qu'un complot de coup d'État soit déjoué ou, tout simplement, dénoncé par le pouvoir honni de Bangui dans le contexte actuel. D'ailleurs, c'est bien connu, des rumeurs incessantes alimentent les "Sango-ti-makara " banguissois, rumeur banguissoise véhiculée par "Radio Kéké ", qui donnent la mesure de l 'opinion nationale, en l'absence de tout sondage d'opinion.

Tout allant mal au pays de Boganda, tout est bon pour mettre le feu aux poudres.

C'est ainsi que, relayé par la "mouvance alimentaire ", à tors ou à raison, le pouvoir, dépassé par les exigences du Devoir national, préfère régulièrement déployer le peu de créativité, dont il serait capable, pour valider ces rumeurs déstabilisatrices.

Pour preuves, en plus des dénonciations, (nous savons depuis que) chacun des comportements publics ou privés des membres influents de la galaxie au pouvoir obéit au prochain coup d'État... l'"affrontement final " ; constitution de milices, achat et trafic d'armes, négociation d'alliances internes ou externes, constitution de réseaux par tous et à tous les niveaux...

Ces "intoxications " annonciatrices de coup d'État contenteraient à satiété la galaxie si toutefois l'"opposition  modérée " n'y avait ajouté son credo politique.

  1. Un retour tonitruant
  2. Par quelques déclarations tonitruantes M. Jean-Paul Ngoupandé attira plus d'une fois l'attention de l'opinion nationale et internationale sur l'instabilité de la situation nationale centrafricaine. Soutenu par six partis et une dizaine de leaders d'opinion centrafricains, il n'en finit pas de délivrer son message pacifique.

    Dans l'une de ces dernières déclarations publiques[1], il justifia son attachement "tout aussi viscéral à la paix et à l'évolution pacifique de notre pays, surtout dans le contexte de cette Afrique centrale en proie à de redoutables soubresauts... ". Il le confirmera par son "adhésion complète aux valeurs de la démocratie, et une volonté ferme de contribuer à les asseoir solidement et durablement, pour en faire le soubassement du développement centrafricain. "

    Hélas, nous constatons avec l'opinion nationale, alors qu'elle aurait pu être combattue sur le terrain des idées politiques et novatrices, que la stratégie mise en action par ce leader d'opinion, chef du Parti de l'Unité Nationale, complique apparemment la tâche à Patassé, Dictateur de Bangui.

    Curieusement "Ngouperdu " le Légaliste, bon gestionnaire attitré du GUN, fait peur à "Patassérum ", Grand-prédateur devant l'Éternel.

    Mais nous comprenons pourquoi !

    Rapidement nous constatons que face aux idées avancées et défendues par M. Jean-Paul Ngoupandé, mis à part une tentative encore incertaine [2] de Me Pouzère, "Monsieur - il faut laisser la politique aux politiciens... ", nous constatons le "vide total " de la part des organisations politiques centrafricaines.

    A ce titre, Ngoupandé fait peur !

    Sa conception de l'unité nationale, de la Réconciliation nationale, de la Transition démocratique.... et sa stratégie de mobilisation de leaders et de quelques partis autour de ses idées "dament le pion " aux autres organisations et leaders de l'Espace Politique Centrafricaine (EPCA). Ils, ces leaders, tardent à inventer d'autres mots d'ordre ou actions mobilisatrices. Un rapide tour d'horizon depuis le "lâchage de l'UFAP " par l'opposition nominale - rapidement coalisée entre les Législatives 98 et les Présidentielles 99- le confirme hélas aisément...

    Même si les rendez-vous criminels n'ont pas manqué pour charger davantage la barque prédatrice des "Victorieux K.O. ". Ils n'ont pu influencer positivement nos leaders politiques qui n'ont pas su pour autant s'en gaver. Ces occasions manquées fourmillaient pourtant d'idées mais, si nous devons croire certains états-majors politiques, la psychose ambiante aidant il était difficile de s'opposer. Pourtant, nos "élites dirigeantes " préférèrent, comme toujours, vaquer au plus simple... faire l'autruche.

    C'est dans untel contexte qu'à sa manière, contournant les questions qui choquent, Jean-Paul Ngoupandé entrepris de "faire sa rentrée politique à la française " : démontrer sa capacité politique à mobiliser au-delà de son PUN et ses amis politiques. Mais il reste à savoir si la base suivra, sans interpeller crûment les cadres de leur parti respectif sur les véritables enjeux du regroupement annoncé des six partis ayant soutenu la candidature de l'ancien Premier ministre de Patassé aux Présidentielles de 1999.

    Il serait judicieux de s'interroger sur un réveil si tardif avant d'appréhender la stratégie de repositionnement du président du PUN sur l'échiquier politique national.

  3. L'opportunisme de l'opposition centrafricaine à moindre frais
  4. L'opinion demeure fort surprise par le silence de l'opposition face aux crimes organisés par l'État-Mlpc, sous la conduite du manœuvrier Jean-Jacques Demafouth, ministre de la Défense nationale, qui s'est appuyé sur la logistique criminelle des FORSDIR et de la cohorte des milices à la solde du président Patassé.

    Quelles que soient les raisons politiques ou stratégiques, ce fût d'abord un silence complice pour devenir par la suite un silence coupable. Et l'opinion centrafricaine de s'interroger sur l'existence d'une classe politique centrafricaine !

    D'abord, silence complice par la myopie des leaders de l'opposition nominale à reconnaître la nature criminelle du régime de Patassé. Les exactions criminelles dont ce régime s'illustre depuis 1995 ne les ayant jamais interpellé sérieusement. Depuis, l'opinion centrafricaine constate amèrement l'exigence patriotique très intéressée de ces leaders qui interviennent "sur commande " une fois que le pire est derrière eux.

    Et pourtant, dans le cas d'assassinats de citoyens centrafricains, "illustres ou moins illustres ", l'État de droit confère à l'opposition de redoutables armes parlementaires, politiques et juridiques d'enquêter sur ces crimes, d'en informer la population centrafricaine et l'opinion internationale, de contraindre le ministère public de poursuivre les auteurs de ces actes ignobles, de faire tomber politiquement un gouvernement complice ou acteur et si la responsabilité directe du chef de l'État est prouvée de le traduire devant la Haute cour de justice.

    En outre, elle dispose du droit de saisir la Cour constitutionnelle pour la violation des normes supralégales en la matière.

    Même si ces actions ne paie pas dans l'immédiat !

    Ensuite ce silence devient coupable dès lors que ces leaders de partis politiques, grands défenseurs des Droits de l'Homme n'osent guère s'opposer directement à la violation aussi grave de la Charte internationale des Droits de l'Homme et de la Charte africaine des Droits de l'Homme. Par leur inaction, ils participent de fait à la criminalisation de l'État et aux crimes perpétrées à l'endroit de certains citoyens centrafricains... Grélombé, Azouandji, Biamba, Réhote, Gbodo, Hondet et tous les supposés criminels abattus impunément par le célébrissime policier Mazangué, sous l'œil cocasse du Procureur de la République.

    Crimes de l'État contre l'État de Droit !

    Il n'est point surprenant que l'opinion nationale soutienne que l'opposition centrafricaine travaille à moindre frais, en ne s'impliquant guère dans les affaires de l'État alors qu'ils sont poignants quant ils interpellent vivement l'opinion internationale sur la privation des libertés publiques qui frappent des personnalités étrangères telles que le Guinéen Alpha Condé.

    La terreur patassiste qui frappe le pays ne saurait justifier un tel silence coupable quand nous assistons à la mobilisation influente de la presse privée centrafricaine. Il devient alors courageux de reconnaître la folie militante de ces "journaleux " sans lesquels le minimum démocratique ne saurait être entretenu.

    Le comble de cette opposition nominale est prouvé par la pénurie de carburant qui sévit au pays depuis deux mois. L'opinion se rend compte que pour l'opposition centrafricaine les crimes humains s'effacent devant les crimes économiques, dans la mesure où l'intérêt matériel et immédiat des leaders politiques est remis en cause.

    "Bangui n'est plus vivable " ! [3]

    L'échelle d'appréciation de ces leaders montre encore une fois leur inaptitude politique de se coller aux événements graves dans le pays pour peser de tout leur poids pour un véritable changement structurel à tout point de vue en Centrafrique.

  5. L'opposition centrafricaine en quête d'un leadership

Trop de remous pour servir une cause fuyante ou tout simplement un calcul démagogique en vue de saisir une opportunité, sans conséquence notoire au plan institutionnel, afin de gravir l'échelle du pouvoir et s'y positionner, en vue d'assumer une éventuelle direction hypothétique d'un gouvernement d'union nationale ; formule inventée par les experts de la "Coopé " pour mieux anéantir les "velléités démocratiques des peuples africains ".

Le pouvoir est dans la rue !

Alors que ce constat n'est pas d'aujourd'hui, à la suite des forces vives centrafricaines, des leaders politiques le soulignent enfin. Et ils en appellent à la vigilance, à la bravoure légendaire du peuple centrafricain qui "doit renouer avec sa tradition de lutte afin de mettre hors d'état de nuire davantage le président Patassé et son régime ", "comme il l'a fait en 1979 et en 1993 pour se libérer de l'emprise des régimes Bokassa et Kolingba... ". [4]

Curieuse approche quand on affirme vaillament que les élites doivent éclairer les masses ! Ici il convient de s'interroger sur la quête de leadership par nos élites politiques.

Le repositionnement remarqué des leaders de l'"opposition modérée " contraste avec leur choix légaliste exprimé a posteriori.

Alors qu'ils dénoncèrent, avec le peuple, l'impréparation des récentes élections, législatives 98 et présidentielles 99, soldée par le hold-up électoral puis le coup d'État électoral, ces leaders se comportent depuis comme s'ils avaient perdu à la régulière. Ils reconnaissent de facto la victoire aux Présidentielles 99 du président Patassé, rendant du seul coup caduques les plaintes pour fraudes électorales devant la Cour constitutionnelle. Leurs déclarations le prouvent à suffisance.

Ces leaders qui ont fait le choix, à un moment donné de rentrer dans les rangs de la civilité démocratique, en exprimant viscéralement leur attachement "à la paix et à l'évolution pacifique " [5], nous surprennent, quand en légalistes, ils optent pour la désobéissance populaire et le renversement du pouvoir démocratique par la rue.

Les récents appels à la mobilisation lancée par différents leaders de la classe politique centrafricaine s'inscrivent dans cette perpective démagogique qui n'étonne plus les Centrafricains. Aux citoyens centrafricains de faire maintenant le sale boulot et à eux la gloire !

Mais à quoi servent les élections et les institutions démocratiques ?

Pour rassurer nos lecteurs, les élections ne fondent pas la démocratie sauf si elles sont disputées d'une manière régulière, transparente et crédible, conférant incontestablement la légitimité et la légalité constitutionnelles à un élu.

Or, avec l'"analphabète citoyen centrafricain ", nous nous sommes rendus compte, facilement, que Patassé a conservé le pouvoir par une usurpation électorale contre l'éthique démocratique. Seuls les experts en démocratie politique centrafricaine ne l'ont pas compris. Même actuellement des observateurs occidentaux et des pacifistes centrafricains s'efforcent de nier le détournement démocratique exercé quotidiennement par la galaxie au pouvoir et les vives tensions qu'il engendre. Pour eux, une rencontre sous forme de table ronde, entre ce pouvoir et les forces vives de la nation centrafricaine, suffirait à calmer les nombreux foyers de tensions, à susciter un sursaut patriotique dans la classe politique, à rassembler toutes les tendances confondues autour d'une cause centrafricaine et amorcer un revirement vers une véritable démocratie pour toutes et tous.

Mais qu'elle est la cause du peuple ?

D'ailleurs, cette incompréhension est voulue sciemment. Nous soupçonnons certains leaders de vouloir accéder au pouvoir par les mêmes méthodes antidémocratiques, c'est-à-dire usurper et confisquer le pouvoir du Peuple.

Nous ne le dirons jamais assez. Le fossé qui oppose le peuple centrafricain à leurs élites se matérialise par la confiscation de l'expression démocratique par des élites pour leur propre jouissance matérielle et morale. Les comportements civiques et politiques, tant des élus du peuple que de ceux qui s'organisent afin de le gouverner, confirment malheureusement cette déviance démocratique. Bien qu'ils démontrent la capacité criminelle du régime Patassé, les affaires et les scandales à répétition, soulignent aussi celle d'une opposition complice par son inaction et sa propre gestion néo-patrimoniale et clientélaire de ses structures.

Une chose est de dénoncer le déficit d'union de l'opposition face au pouvoir dictatorial centrafricain, une autre est d'admettre sa propre responsabilité dans la décadence institutionnelle, politique, économique et sociale du pays. Il serait trop facile de s'abriter derrière la panne unioniste pour justifier l'incapacité de l'opposition d'assumer son rôle de contre pouvoir dans la société centrafricaine.

Une des solutions à la crise centrafricaine demeure la pleine expression démocratique du peuple.

Finalement, doit-on laisser la politique aux seuls politiciens, c'est-à-dire ceux des filles et fils du pays qui choisissent de s'engager, entre autres professionnellement, et d'occuper à eux seuls l'espace politique ?

Les forces vives représentées par la Société civile centrafricaine doivent-elles refuser d'assumer leurs rôles dans la définition, l'orientation, la gestion et l'évaluation des choix politiques impliquant la destinée nationale ?

Il nous semble que non !

La crise centrafricaine est une crise globale qui tire son origine sur la confiscation du pouvoir par une minorité nationale, celle qui se matérialise par "la politique de la mangeoire ", le "kobé ti yanga " et le dysfonctionnement du système institutionnel et démocratique en Centrafrique.

Récemment, en pleine session parlementaire, le ministre de l'intérieur par arrêté reporta sine die les élections locales sans justification sérieuse. Ailleurs une telle décision aurait soulevé une réprobation généralisée. Hélas, en Centrafrique quelques députés seulement dénoncèrent le diktat patassiste sans qu'ils soient soutenus et relayés par leurs collègues, même de l'opposition, qui auraient tout à gagner, pourtant !

Or la démocratie locale est une nécessité primordiale pour la responsabilisation du citoyen et le développement économique et social du pays. Ce ne sera pas par des décrets qu'on mettra les Centrafricains au travail, comme le caressent beaucoup de ces leaders.

La Reconstruction nationale implique l'apport de chaque centrafricain là où il se trouve. Il est le pivot de l'unité nationale et de la démocratie politique et sociale. Cette implication passe par sa participation effective à tous les échelons de la nation que toutes et tous souhaitent vivement.

Ce postulat sensé imposer la paix, condition sine qua non de réconciliation et de développement social et économique, passe par l'édiction de normes démocratiques, soubassement d'une véritable construction d'un État de droit et d'une justice sociale en Centrafrique.

Les politiciens de carrière, les parlementaires et leurs formations politiques s'honoreraient s'ils inscrivent en priorité cette exigence citoyenne et démocratique dans leurs actions. Le fossé qui les sépare du peuple en serait amoindri ; il gagnerait en prestige et considération populaire.

 

Gonesse, La Varenne-Saint-Hilaire
24 juillet 2000

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[1] Allocution de M. Jean-Paul Ngoupandé à la "Journée de Concertation Nationale ", Bangui, 08 juillet 2000.
[2] Il est surprenant qu'un avocat comme Pouzère, un homme averti puisse développer une telle thèse publiquement, à travers la presse centrafricaine et des débats publics.
[3] Ce credo farci du piment centrafricain est proclamé par un politique centrafricain.
[4] Intervention de M. Nditiféï Boysembé, intitulée "La responsabilité du président Patassé dans la crise actuelle de carburant ", diffusée par sangonet.com, 13 juillet 2000.
[5] Jean-Paul Ngoupandé précité.


Actualité Centrafrique - Dossier 2