INTERVENTION RELATIVE A LA LEVEE DE L'IMMUNITE DES DEPUTES DE L'OPPOSITION SUITE AUX EVENEMENTS DU 19 DECEMBRE 2000

Par M. Jean-Paul NGOUPANDE, Député de DEKOA, Président du Groupe (BANGUI, LE 26 DECEMBRE 2000).
(ASSEMBLEE NATIONALE - GROUPE PARLEMENTAIRE PUN-FC-INDEPENDANTS)

 

Monsieur le Président,

Il est désormais établi que vous vous êtes fait le complice de la violation flagrante de l'article 49 de la Constitution, alinéa 1, qui stipule :

"  Les membres de l'Assemblée Nationale jouissent de l'immunité parlementaire. En conséquence, aucun député ne peut être poursuivi, recherché ou arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions ".

C'est effectivement dans l'exercice de leurs fonctions que les députés de l'opposition, ceints de leurs écharpes d'élus de la Nation, sont venus le mardi 19 Décembre 2000 au stade BONGA-BONGA, pour émettre les opinions suivantes :

- dénoncer comme contraire à la lettre et à l'esprit de la Constitution l'interdiction systématique faite aux partis d'opposition d'exercer les droits démocratiques prévus par la dite Constitution, notamment le droit de se réunir et de manifester pacifiquement, le droit de s'exprimer librement ;

- dénoncer le comportement inique du Gouvernement qui laisse se tenir le meeting non déclaré, et donc illégal, du parti au pouvoir, le MLPC, et interdit par-contre le meeting des partis d'opposition régulièrement déclaré conformément à la loi ;

- dénoncer la mainmise du MLPC sur les médias d'Etat, dans le même temps où l'accès à ces médias est refusé aux partis d'opposition, malgré la promesse faite par le Premier Ministre le 25 Octobre 2000 devant les députés ;-

- soutenir les légitimes revendications des salariés du secteur public qui totalisent 30 (trente) mois d'arriérés de salaires ;

- dire haut et fort au Président de la République que s'il est incapable de régler les problèmes du pays, qu'il démissionne.

Contrairement à ce que vous-même et le Gouvernement que vous soutenez aveuglement prétendez, aucune interdiction n'a été notifiée en la forme aux 15 partis d'opposition qui ont fait la déclaration de tenue du meeting. La présidente de la Délégation spéciale de la ville de Bangui, destinataire de la lettre de déclaration, a cru devoir donner une réponse qui ne correspond en rien aux dispositions de la loi, ce que les 15 partis lui ont d'ailleurs rappelé dans une seconde correspondance. D'après la loi centrafricaine, le régime des réunions publiques est celui de la déclaration préalable , dans un délai minimum de 5 (cinq) jours francs.

Toutes ces dispositions ont été scrupuleusement respectées par l'opposition. Par-contre, M. KOYAMBOUNOU, 2e Vice-Président du MLPC, a ouvertement déclaré que son parti a tenu un meeting décidé moins de 24 heures auparavant. Autrement dit, il ne s'est pas senti obligé de respecter les dispositions de la loi.

Je le répète : aucune interdiction n'a été notifiée en la forme. On ne saurait considérer comme une notification en la forme le communiqué lu à la radio par le porte-parole du Gouvernement. La loi prévoit qu'en cas d'interdiction, celle-ci doit faire l'objet d'un ARRETE qui doit être notifié aux intéressés au moins 24 heures avant la date prévue pour la manifestation. Le ministre BIKOO ne s'est pas conformé à la loi. Il n'y a donc pas eu interdiction. A supposer même que ce fût le cas, les députés avaient le droit de contester cette décision injustifiée, basée sur le principe de "  deux poids, deux mesures ". Les partis organisateurs du meeting avaient d'ailleurs, au terme de la loi, la possibilité d'attaquer cette décision devant le tribunal administratif s'ils l'estimaient non motivée.  

Les partisans du rétablissement de la dictature parlent de flagrant délit pour justifier la scandaleuse interpellation des parlementaires. Pour qu'il y ait flagrant délit, il faudrait tout d'abord qu'il y ait un délit ! Encore une fois, il n'y a pas de délit parce que le ministre de l'Intérieur ne s'est pas conformé à la démarche exigée par la loi. Les députés de la Nation étaient parfaitement dans leur rôle quand ils sont allés, ceints de leurs écharpes, exprimer leurs opinions sur la situation du pays, et dire tout haut qu'ils ne pouvaient accepter l'arbitraire. Ils n'ont pas été élus pour applaudir le Gouvernement quand il bafoue la loi. Ils ont été élus pour servir de contre-pouvoir et pour défendre les acquis démocratiques du peuple centrafricain.

Les agents de la police postés autour du stade BONGA-BONGA ont bien compris que les députés étaient en train d'exercer leurs fonctions et les ont laissés librement passer. C'est alors qu'a surgi le commissaire SABANGLE, qui a ordonné une charge brutale contre les députés qui s'apprêtaient à s'adresser à la foule : tirs de grenades lacrymogènes, puis tirs à balles réelles, avec donc l'intention claire d'assassiner froidement des élus de la Nation. M. SABANGLE accompagnait ses ordres d'injures et de propos méprisants vis-à-vis de l'immunité parlementaire dont, disait-il, il n'avait que faire .

Devant la brutalité de la charge policière et les risques pour leur vie, les députés ont dû quitter précipitamment les lieux. Certains ont trouvé refuge au domicile tout proche de notre collègue Louis-Pierre GAMBA, député du 1er arrondissement de Bangui. C'est alors que sur ordre du même commissaire SABANGLE, la force publique a fait irruption dans le domicile du député, avec une brutalité inouïe, en violation flagrante de la Constitution en son article 14, alinéa 2, qui stipule : "  Le domicile est inviolable. Il ne peut y être porté atteinte que par le juge et s'il y a péril en la demeure par les autorités désignées par la loi, tenues de s'exécuter dans les formes prescrites par celle-ci ".

Il n'y avait nullement " péril en la demeure ", et le commissaire SABANGLE ne s'est pas exécuté " dans les formes prescrites " par la loi, comme en témoignent les brutalités physiques exercées sur des députés, des anciens ministres, l'épouse et les enfants de Louis-Pierre GAMBA.

 

Monsieur le Président,

Ce qui s'est passé le mardi 19 Décembre 2000 est extrêmement grave. C'est tout simplement le retour à la dictature, comme l'a très justement noté la Ligue Centrafricaine des Droits de l'Homme. Lorsque dans un pays les élus de la Nation peuvent être ramassés comme de vulgaires bandits, brutalisés, humiliés et jetés en prison, simplement parce qu'ils font leur travail de députés, alors il n'y a plus de démocratie. Lorsque l'opposition se voit refuser depuis des mois le droit de tenir des meetings ou de manifester pacifiquement, nous sommes alors sur la route du retour vers la dictature.

Lorsque le Chef de l'Etat lui-même constitue des milices qu'il jette aux trousses des leaders des partis d'opposition et des dirigeants syndicalistes, alors c'est l'enterrement pur et simple des conquêtes démocratiques, ces mêmes conquêtes qui ont permis à M. PATASSE de revenir d'exil et de se faire élire Président de la République. S'il n'y avait eu ni meetings ni manifestations à partir de 1990, jamais M. PATASSE n'aurait pu revenir d'exil. Voilà comment il remercie les démocrates, les syndicalistes et tous les Centrafricains qui se sont battus pour l'instauration de la démocratie, cette démocratie qu'il s'emploie méthodiquement à assassiner.

Lorsque le Chef de l'Etat recrute des mercenaires étrangers pour les jeter aux trousses de ses propres compatriotes, alors il y a haute trahison.

Les CODOS tchadiens du défunt Moise KETTE, recrutés d'abord dans une société privée de gardiennage appartenant au Chef de l'Etat et à ses proches, puis utilisés pour mater les syndicalistes et les opposants qui manifestent pacifiquement, voilà une situation qu'aucun Etat de droit ne saurait accepter. Lorsque ces mercenaires étrangers sont ensuite habillés avec les tenues réglementaires des forces régulières de l'Etat centrafricain, puis intégrées illégalement au sein de celles-ci, alors il y a FORFAITURE.

Monsieur le Président,

Le Groupe PUN-FC-INDEPENDANTS estime que c'est un devoir sacré pour le peuple centrafricain de résister , et d'empêcher par tous les moyens le retour de la dictature. Il y a désormais deux camps dans ce pays : ceux qui veulent nous ramener coûte que coûte en arrière - et vous en êtes ! - et ceux qui sont prêts à sacrifier leurs vies pour sauvegarder les acquis démocratiques du peuple centrafricain.

Le procès que vous voulez faire aux élus de la Nation est digne des pires dictatures du passé. Tout est déjà ficelé . La mise en scène de ce " débat " pour la levée de l'immunité des députés arbitrairement détenus participe de ce ficelage. Les magistrats aux ordres, sous la houlette de M. BINDOUMI, se chargeront du reste.

Si vous pensez pouvoir briser la détermination du peuple centrafricain, cela veut dire alors que vous n'avez rien compris à la puissante marche du 24 novembre, au succès complet de l'Opération "  CENTRAFRIQUE PAYS MORT " du 11décembre, et au courage des députés de l'Opposition le 19 décembre. Les Centrafricains sont prêts à se battre pour empêcher par tous les moyens le retour de la dictature

Dernière minute :
Ce jour 27 décembre 2000 à 11 h 30 mn, constat de l'impossibilité de tenir l'audience. Les greffiers en grève réclament 20 (vingt) mois avant de travailler.
Même les juges ne se sont pas présentés dans la salle d’audience.
La gendarmerie a donc ramené les prévenus, non sans difficultés : la foule nombreuse a tenté de bloquer le départ du bus.


Actualité Centrafrique - Dossier 3 (sangonet)