Après la folle nuit du 28 mai 2001, Bangui se remet difficilement de sa 4e mutinerie

Bangui, entièrement sous contrôle de l'armée, reprend vie peu à peu (AFP, Bangui, 7 juin 2001 - 18h22)
Près de 80.000 personnes ont fui les combats à Bangui (humanitaire)
(AFP, Bangui, 8 juin 2001 - 16h37)
Violence et angoisse, les dix jours de calvaire des habitants de Bangui
(AFP, Bangui, 8 juin 2001 - 17h54)
Patassé demande un "constat international" de l'arsenal saisi chez Kolingba
(AFP, Bangui, 8 juin 2001 - 21h03)


Patassé demande un "constat international" de l'arsenal saisi chez Kolingba
(AFP, Bangui, 8 juin 2001 - 21h03)

Le président centrafricain Ange-Félix Patassé a demandé vendredi soir un "constat international" sur "l'impressionnant arsenal d'armes" saisi au domicile de l'auteur présumé de la tentative de coup d'Etat du 28 mai, l'ex-général André Kolingba.
S'exprimant sur la radio "Paix et liberté", mise en place après la destruction de l'émetteur de la radio nationale, M. Patassé a également précisé que les responsables du putsch manqué feront l'objet d'une "procédure judiciaire au niveau national et international".

"L'impressionnant arsenal d'armes saisi au domicile de Kolingba m'oblige à demander un constat international", a précisé le chef de l'Etat centrafricain souhaitant que "la France, le Conseil de sécurité de l'ONU, l'Union européenne, l'OUA, la COMESSA et la CEMAC" puissent "envoyer une délégation à Bangui à cet effet".


Violence et angoisse, les dix jours de calvaire des habitants de Bangui
(AFP, Bangui, 8 juin 2001 - 17h54)

Quartiers bouclés, tirs de mortiers, "chasse" aux "mutins", disparus: dix jours après le coup d'Etat manqué du 28 mai, les Banguissois commencent à raconter le calvaire qu'ils ont enduré durant les combats entre putschites assiégés et forces loyalistes.

Depuis l'annonce officielle jeudi de la reprise de contrôle "total" de Bangui par l'armée centrafricaine, les habitants se sont mis de nouveau à circuler dans les rues et les langues se délient.

"Les obus et les roquettes survolaient la maison en direction des quartiers sud, c'était effroyable", se souvient Georges, un haut fonctionnaire de la police centrafricaine.
Comme la plupart des quelque 600.000 Banguissois, il s'est contenté d'attendre l'arrêt des combats, terré à son domicile avec pour seul contact extérieur la radio.
"Heureusement, nous avions l'habitude de faire des réserves", souligne Georges qui n'a pas trop souffert du manque de nourriture.
Poussés par la faim ou les opérations de "ratissages" de l'armée, d'autres habitants ont préféré quitter leurs domiciles pour gagner, la peur au ventre, les quartiers nord, considérés comme des fiefs du président Ange-Félix Patassé mais épargnés par les combats.
"Nous avons été délogés par l'Unité de sécurité présidentielle alors que des tirs se faisaient entendre dans le secteur", a indiqué Guy, un résidant du quartier Sica II, situé au centre-ouest de Bangui.
Entouré de ses proches aux visages las et amaigris, il raconte alors sa fuite vers la sortie nord de la ville "sans argent, ni provisions".
"J'avoue que ça été très dur pour toute la famille", reconnaît-il.
Les privations et la faim reviennent dans tous les témoignages des habitants de Bangui, d'autant plus pris au dépourvu qu'ils célébraient encore la fête des mères quelques heures avant l'assaut nocturne des putschistes contre la résidence du chef de l'Etat.
Huguette, elle, a oublié la faim et ne cesse de pleurer son fils disparu. Comme de nombreux Banguissois qui ont perdu un proche, elle tente de retrouver son enfant, probablement mêlé aux milliers de personnes qui ont fui la ville pour se réfugier "en brousse".
"Il s'était rendu chez sa tante maternelle pour la fête des mères, à Pétévo", un des derniers bastions tenus par les putschistes, explique-t-elle.
Depuis, Huguette n'a plus de nouvelles de son enfant, comme cette enseignante en pleurs dont le fils a pris la route de Mbaïki (90 km au sud-ouest de Bangui), sur laquelle auraient fui pas moins de 50.000 personnes.
Blessée à la jambe par des éclats d'obus, Albertine raconte sa souffrance physique et sa course éperdue de trois jours d'un quartier à un autre.
"Nous avons été finalement coincés dans des tirs nourris et il y a eu quelques morts parmi nous. Je m'en suis tirée avec une fracture du fémur", ajoute-t-elle.
Certains témoignages font aussi état de "règlements de comptes" dans des quartiers où l'armée régulière a recherché des personnalités soupçonnées d'avoir conspiré avec le général André Kolingba, présenté par le pouvoir comme l'instigateur du putsch manqué.
"Le 29 mai, des militaires sont allés cueillir un jeune homme pour qu'il leur indique où se cachait son oncle, lui aussi accusé de conspiration", affirme une femme d'un quartier ouest.
"Le corps du jeune homme a été retrouvé le même soir et celui de son oncle deux jours plus tard..."
Les militaires ont également fouillé tous les civils qui quittaient les zones de combats, à la recherche de "mutins" dissimulés dans la foule ou d'armes cachées.
Au nord de Bangui, des témoins affirment avoir vu des soldats arrêter des individus, dont le baluchon contenait une arme. Ces derniers étaient alors abattus sur le champ ou emmenés vers une destination inconnue.


Près de 80.000 personnes ont fui les combats à Bangui (humanitaire)
(AFP, Bangui, 8 juin 2001 - 16h37)

Environ 80.000 personnes ont quitté la capitale Bangui pour échapper aux combats entre l'armée centrafricaine et les auteurs du coup d'Etat manqué du 28 mai, a estimé vendredi une organisation humanitaire basée à Bangui.

Il y aurait entre 50.000 et 65.000 personnes déplacées au sud-ouest de la capitale, auxquelles s'ajoutent quelque 10.000 personnes au nord et au moins 15.000 dans le sud-est, a indiqué le représentant de l'organisation italienne COOPI, Claudio Tarchi, interrogé par Radio N'Déké Luka.

Ces estimations ont ensuite été confirmées par la présidence centrafricaine, selon la radio.

Dans la préfecture de Lobaye, "la pression démographique est devenue trop forte, car on trouve trois déplacés pour un seul autochtone", a souligné M. Tarchi, estimant qu'il se posait "un problème d'abris".

Plusieurs milliers de Banguissois avaient déjà fui la capitale quand les Forces armées centrafricaines (FACA) ont violemment attaqué samedi 2 juin les quartiers sud-ouest, notamment la poche de résistance de Bimbo.

Les populations civiles de ces quartiers, réputés favorables à l'opposition, ont voulu se réfugier dans les forêts situées au sud-ouest de la capitale pour éviter d'éventuelles représailles des forces loyalistes du président Ange-Félix Patassé.

Environ 50.000 personnes ont alors emprunté la route de Mbaïki (90 km au sud-ouest, dans la Lobaye), ou longé les rives centrafricaines de l'Oubangui, selon des témoignages rapportés à l'AFP.

Aucun chiffre sur le nombre d'habitants qui ont fui les quartiers sud-est, violemment pilonnés par les FACA, n'étaient en revanche disponible jusqu'à présent.


Bangui, entièrement sous contrôle de l'armée, reprend vie peu à peu
(AFP, Bangui, 7 juin 2001 - 18h22)

Dix jours après la tentative de coup d'Etat manqué contre le président Ange-Félix Patassé, la vie reprenait peu à peu ses droits jeudi à Bangui, désormais sous "contrôle total" de l'armée centrafricaine.

Les Forces armées centrafricaines (FACA), soutenues par les rebelles congolais du Front de libération du Congo (FLC) et la logistique des soldats libyens, ont finalement eu raison des putschistes au terme de cinq jours de combats dévastateurs et meurtriers.

Un assaut final contre la dernière poche de résistance, qu'on attendait mercredi après-midi ou dans la journée de jeudi, n'a finalement pas eu lieu, les troupes loyalistes se contentant de pourchasser les mutins bien après la sortie sud-ouest de Bangui.

"La ville est totalement sous contrôle des FACA", a annoncé dès mercredi soir une source militaire autorisée interrogée par l'AFP.

"Cela n'exclut pas que quelques rebelles puissent encore se cacher dans certains quartiers du sud-ouest de Bangui", a affirmé cette même source.

Après plusieurs jours et nuits marqués par de violents tirs de mortiers ou de lance-roquettes entrecoupées d'accalmies, les Banguissois se sont levés jeudi matin sans avoir entendu de coups de feu significatifs depuis 24 heures.

Dans la journée, le ministre centrafricain de la Défense, Jean-Jacques Demafouth a confirmé sur les ondes de la radio N'Déké Luka que les FACA avaient repris le "contrôle total" de la capitale.

Cette information a été également donnée par le ministre français délégué à la Coopération, Charles Josselin, citant l'ambassade de France à Bangui.

M. Demafouth a par ailleurs appelé tous les militaires, "même ceux qui ont participé à cette insurrection", à regagner leurs casernes.

"Ils doivent renoncer à leur ouvrage désormais sans issue, et se départir de (l'ancien président André) Kolingba, principal auteur du coup d'Etat", a-t-il insisté

L'ex-général Kolingba, dégradé et dont la tête a été mise à prix par le président Patassé, a été "obligé d'abandonner la pirogue qu'il utilisait dans sa fuite pour errer dans la brousse en ce moment", a indiqué M. Demafouth sans plus de précisions.

Même les hommes du FLC, qui avaient traversé le fleuve Oubangui aux premières heures de la tentative de coup d'Etat manqué pour prêter main forte aux forces loyalistes, ont commencé à regagner jeudi leurs bases, en République démocratique du Congo (RDC), a-t-on constaté jeudi.

"Notre mission à présent est terminée. Ordre a été donné aux troupes de rentrer sur notre territoire", a expliqué le chef de guerre congolais Jean-Pierre Bemba.

Soulagés de cet arrêt des hostilités qui les ont obligés à rester calfeutrés chez eux durant dix jours, les 600.000 habitants de Bangui ont commencé à se déplacer dans la ville où la circulation a repris timidement.

De nombreux cadavres, dont la plupart sont en état de putréfaction, jonchaient pourtant les rues, ont constaté des témoins, dont le correspondant de l'AFP.

Certains ont commencé à être incinérés sur place, alors que des centaines de blessés continuaient à affluer jeudi en direction de l'hôpital communautaire de la capitale.

Débordés, le personnel médical a soigné en priorité les personnes blessées par des éclats d'obus ou des balles perdues, tandis que ceux dont l'état était moins grave ont été invités à rentrer chez eux.

Le bilan des combats, qui ont été surtout violents dans les quartiers sud-est et sud-ouest de la ville, pourrait "largement" dépasser le chiffre de 250 à 300 morts avancé sur la base de recoupements, selon des sources officieuses.

De nombreux corps seraient encore enfouis sous les décombres des maisons touchées par les obus de mortiers ou les roquettes des FACA, selon des témoins.

La fin de ce coup d'Etat avorté intervient quatre ans après la dernière mutinerie de 1996/97.

L'envoyé spécial de l'ONU, l'ancien président malien Amadou Toumani Touré est attendu en fin de semaine à Bangui où il avait déjà mené avec succès une première mission de réconciliation nationale.


Actualité Centrafrique - dossier 5