Cafouillage, désinformation, confusion et la question de prise de pouvoir pour le pouvoir

Désinformation, confusion, ethnocide, chasse à l'homme, jugement expéditif, voilà ce qui reste du coup d'état manqué du 28 mai 2001. Mais la réalité est tout autre. Les revendications des fonctionnaires sont-elles satisfaites ? L'insécurité est-elle enrayée ? La gabegie et les détournements des biens publics ont-ils cessé ? Les enfants et les parents sont-ils sûrs d'échapper à une pandémie du genre paludisme et sida ? Des questions sur des questions sans réponses. Cependant des querelles de pouvoir battent leur plein. Ce qui est certain, l'élimination physique des hommes n'apportera pas de solutions aux problèmes socio-économiques, éducatifs et sanitaires dont les populations sont en droit d'attendre. La République Centrafricaine a tant besoin de ses enfants, des ses élites, des cadres compétents.
Les cinq verbes de Barthélemy Boganda n'ont jamais été correctement conjugués par aucun gouvernant. On est ici en face d'un vrai problème d'actualité qu'il faut résoudre : éduquer, nourrir, soigner, loger, vêtir. La question qui fait pendant demeure celle qui est liée à la gestion de l'affaire publique et le respect du droit.
(04 juillet 2001)


"OU EST LE CENTRE ?" Par l'Abbé Socrate NGaro

La dernière tentative de coup d'État subie par la République centrafricaine non seulement est de trop, mais en plus pose plus de problèmes qu'il n'en résout.

Dans l'opinion publique nationale et internationale, en dehors de certaines prises de position plutôt orientées; passionnées et partisanes, les uns et les autres (presse internationale, gouvernements, organismes internationaux...) se sont plutôt contentés de décrire les faits au jour le jour à partir de sources parfois peu crédibles, ou de soutenir des positions de principes en condamnant de manière véhémente et sans appel, ce coup de force manqué qui met une nouvelle fois en cause l'ordre constitutionnel.

Il en va ainsi des journaux internationaux, des points de presse ou des prises de positions du secrétaire général de l'organisation des Nations Unies (ONU), de l'organisation de l'unité africaine (OUA), des gouvernements français et américains pour ne citer que ceux-là sans oublier le Vatican.

Pendant tous les événements, la radio et la télévision nationales n'ont pu émettre comme il se devait. Dans tous les cas et comme d'habitude, elles auraient toutes fait l'écho de la vision du gouvernement et des autorités militaires nationales, administratives des choses encore que là-aussi, la seule source à laquelle elles pouvaient d'ailleurs avoir accès n'était autre que la présidence de la République avec la voix autorisée du conseiller porte - parole du président Patassé, Prosper N'Douba. L'activation ou la réactivation de radios associatives (N'Déké-Luka, Notre Dame, la voix de la Grâce, la Radio de la Paix et de la Liberté) n'ont pas changé grand chose au sentiment généralisé de "cafouillage", de désinformation et surtout de confusion.

"Confusion", c'est d'ailleurs le maître mot qui fusait de toutes les radios internationales et de différentes revues de presse, notamment françaises. La confusion était d'ailleurs telle qu'ajoutée à l'effet de surprise, différentes chancelleries installées à Bangui n'ont pas pu voir venir le feu ou la crise. Et pourtant le feu couvait avec des "velléités putschistes" tenaces plus ou moins dissimulées. On comprend dès lors certains partenaires au développement de la R.C.A comme la France et les U.S.A qui se sont contentés de condamner la tentative de coup de force comme une méthode rétrograde et contraire à la légalité constitutionnelle et d'appeler les parties en conflit à la retenue, au dialogue et à la protection de la population civile.

Point d'analyse de fond ou presque pas pour comprendre pourquoi et comment ce nouveau coup de force dont l'auteur présumé est l'ancien président Kolingba, si l'on en croît ses propres déclarations sur la Radio France Internationale (R.F.I) . De sorte qu'aujourd'hui, l'on se pose encore des questions sur " le pourquoi " et " le comment " de ces canonnades et de ces tirs nourris à l'arme automatique ou d'assaut dans les rues et les quartiers de Bangui.

L'alternance violente serait-elle devenue le mode d'accès au pouvoir de certains citoyens centrafricains en mal notoire de pouvoir ? Pourquoi un coup d'État alors que l'on attendait les principaux prétendants au pouvoir à l'échéance fatidique et incontournable de 2005 ? Qu'est ce qui a bien pu décider une fraction de l'armée pour partir à l'assaut de la résidence personnelle du chef de l'État avec une réelle volonté de mise à mort ? S'agit-il d'un coup de l'État major comme certaines rumeurs en font état, avant de tourner au vinaigre et au détriment de la frange la plus engagée des FACA ?. Pourquoi l'ancien président Kolingba a t- il voulu jouer au Général Gueï en décidant de prendre la tête des putschistes qui seraient venus lui demander de prendre la direction des opérations? Que reproche t- il à Patassé et surtout qu'a t- il à proposer au peuple centrafricain après avoir échoué en douze (12) ans de règne? Aurait-il eu des assurances de la part de quelques services secrets? A-t- il simplement été manipulé au point de se laisser piéger dans une opération aux tenants et aboutissants confus?... Des questions, encore des questions qui prouvent si besoin en était, qu'on est encore loin d'avoir tout dit sur ce nouveau regain de fièvre politique sur fond de violence et de règlement de compte à caractère ethno-tribal. Des questions qui reposent tout à fait brutalement la problématique démocratique en République centrafricaine et bien mieux, la problématique de l'alternance politique dans notre pays après la restauration de la démocratie dans les années 90.

Une chose demeure cependant sûre : les assaillants de la résidence privée du président de la République voulaient à la fois la tête de ce dernier et le pouvoir d'État. Là-dessus, il ne saurait y avoir une quelconque ombre de doute ou de "palabre stérile" sur l'intention immédiate des putschistes. Mais y en a vraiment marre des coups d'État ou des tentatives de coup d'État qui n'ont apporté que désolation dans les familles ou désorganisation du tissu économique et social. Dejean, Banza, Mande, Kolignako, Lingoupou, Mandaba, les frères Obrou, Mbongo, Kossi, Maleyombo et maintenant N'Djadder, Abrou, Touba, Bangazoni, Omissé, Konzi...pour ne citer que ces braves fils du pays, ont laissé leur vie dans des coups d'État réels ou imaginaires, privant ainsi leurs familles respectives de puissants appuis. Ceux des putschistes qui comme Bokassa et Kolingba ont réussi à s'emparer du pouvoir en 1966 et en 1981, ont révélé à la face du monde que les militaires n'étaient pas plus compétents en matière de gestion de la chose publique et n'ont pu mieux faire que les civils qu'ils avaient renversés.

Tous ceux qui veulent le pouvoir pour le pouvoir sont les pires ennemis du peuple, des libertés et la nation. Nous vous prions de relire "Où est le centre?" de l'Abbé Socrate Ngaro (LC N° 1115 du mercredi 23 mai 2001).

Nous ne sommes pas en géométrie dans l'espace. Nous ne sommes pas en mathématique classique ou moderne. Nous ne voulons pas nous situer ou nous placer en position socio-politique de chez nous. Nous devons parler.
Il y eut un temps où les choses allaient mieux chez nous...
Nos ancêtres réglaient leurs problèmes sous l'arbre à palabre. Parlant des proverbes : des adages ou dictons, les solutions se dégageaient toutes seules. On ne nous parlera pas des armes à feu de toutes fabrications ou de toutes marques. On prenait les armes pour défendre le territoire et non contre soi-même.
Il y eut un temps où les choses étaient plus ou moins claires. Où on était de droite et on avait le soutien des américains du bloc de l'occident : ou on était de gauche et on était soutenu par l'ex URSS et on taxait ceux-là de révolutionnaires.
Depuis la chute des murs de Berlin et de la dislocation de l'Union Soviétique (du communisme), les données ont changé. De mots laissés dans les oubliettes sortent pour nous mettre tous en rang: "Démocratie".
Dans nos discours politiques, mêmes sanguinaires, despotiques et autres, pourvu qu'on trouve le mot "Démocratie" pour être blanchi par les occidentaux et les institutions internationales. Même si un homme d'État Européen vient nous dire en face "l'Afrique n'est pas encore mûre pour la démocratie". Le mot magie est sorti et nous l'acceptons. Où est le centre?
Nos querelles restent. Nous ne savons pas pourquoi, nous nous querellons. Pendant que nous nous battons et disputons, un autre mot nous surprend et résonne fort dans nos têtes: "La Bonne Gouvernance". Va-t-on sortir du centre? On nous dit qu'il n'y a pas de solution miracle. Mais nous assistons impuissants à des querelles partisanes que nous appelons volontiers: "Des querelles politiques" pendant ce temps des années passent et les autres se développent. Nous, nous régressons. Réellement, s'agit-il d'une ou des querelles partisanes, claniques, ethniques, tribalistes, régionales? De quel côté se mettre ou se placer?
Où est le centre? Va-t-on le chercher à l'Est, à l'Ouest, au Nord ou au Sud? Nul ne le sait ... Mais on s'y engage quand - même, pourvu qu'on en tire profit. Où est notre arbre à palabre? Nous assistons à des querelles d'intérêt personnel. Où est celui du pays, de notre peuple et de la nation? A force de nous entredéchirer, de nous déresponsabiliser, notre pays ne reviendra-t-il pas un jour aux étrangers?
Ceux d'hier, se réclamaient de B. Boganda sans savoir exactement ce qui l'avait poussé à devenir " l'élu de Dieu et des Centrafricains". Par ailleurs, les Centrafricains en général lisent très peu... B. Boganda, cet élu de Dieu et des Centrafricains était en avance sur son temps. Il avait laissé quelques écrits. Son discours de Brazzaville. "Enfin on décolonise". Et ses interventions à l'Assemblée Française étaient toujours écrites. Il nous suffit de fréquenter la rue Monsieur à Paris pour nous convaincre. Pierre Kalck nous a laissé quelques écrits sur Boganda. Dominique Penel avec ses fouilles n'est pas à négliger. Ils nous aideront à approfondir notre connaissance de l'homme que nous prétendons comme modèle.
Où est le centre de sa pensée? Ceux qui le suivent interprètent ses idées en partant d'un seul mot: "Président fondateur..."
Chose curieuse : du premier Chef d'État Centrafricain après Boganda au dernier chef d'État en exercice se croient et se voient inspirer par Boganda. D'ailleurs, nous les aidons et les forçons dans ce sens. Même ceux qui ont chassé leur cousin du fauteuil présidentiel ou qui ont pris le pouvoir qui traînait dans la rue, tous se réclamaient de B. Boganda mais sont loin de lui ressembler.
Dans quels bureaux ou maisons administratives, on ne trouve pas, quand on y rentre : " les photos du Chef de l'État (patron) en exercice et celle de B. BOGANDA. Les idées politiques de ces deux hommes sont-elles les mêmes?
Où est le centre? N'est-ce pas que l'une des idées maîtresses de notre B. BOGANDA se trouve dans les cinq verbes du parti, devenu unique Le MESAN ?
1)- Instruire
N'est-ce pas un beau cadeau que nous pouvons donner à un être qui naît dans la société: "l'instruction?" De ce côté que de choses à dire! Les idées sont diverses et divergentes. Est-ce pour bien contrôler la société centrafricaine?
Est-ce pour répondre aux problèmes de l'époque?
Est-ce pour avoir une société formée à l'image et pensée de K. Marx?
Où est le centre? On nationalise les écoles. Qu'en est-il aujourd'hui? C'est un autre débat...
D'autres ont refusé la formation littéraire de nos étudiants, mais quel est l'effort effectué pour la formation scientifique? Depuis l'indépendance : un seul lycée technique... Quels efforts personnels nos étudiants sans soutien, n'ont-ils pas fourni pour terminer leur formation?
Depuis des années, les hommes qui gèrent la chose publique ont mis, (Est-ce volontairement. Est-ce par oubli) la question de l'instruction de côté? Après tout, nous avons eu les réformes éducatives. En 1994, nous avons eu les États Généraux de l'Éducation et de la Formation, mais les années blanches ont eu lieu aussi.
Le manque d'enseignants ainsi que la dévaluation de ce métier concourent à la fermeture des écoles dans nos villages. A l'allure où vont les choses, peut-on parler un jour d'instruction dans ce pays ? La baisse des niveaux est criarde partout dans le pays. Où est le centre?
2)- Nourrir
Celui qui a faim, peut-il faire quelque chose? Intellectuellement, physiquement, où trouvera-t-il la force? L'ouvrier ne doit-il pas mériter son salaire? "Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front". Depuis des années, la sueur a coulé mais le pain ne vient pas. Car il n'est pas gratuit.
Depuis plus d'une dizaine voire même vingtaine d'années, le peuple centrafricain crie famine. "Pas de solution miracle". Nous dit un homme d'État. D'ailleurs avant celui-ci, un autre homme d'État très digne de lui, nous donnait ce conseil "Nzala ayéké ga, kwa ayéké kwi ". "La famine est là, la mort aussi". Nous assistons à cette réalité aujourd'hui. Des années passent, les salaires ne sont pas honorés. Nous mourrons de faim et de maladies. Où allons nous?
Où est le centre?
Je me suis laissé dernièrement dire que la crise est africaine. Nous ne sommes pas les derniers même si nous mourons plus.
Où est le centre?
3)- Soigner
S'il y a un corps qui est souvent oublié ou négligé dans notre État de dignité, c'est la santé après l'éducation. Il est normal que la corruption arrive aussi chez nous. Jamais rien, sans rien. Nous nous retrouvons avec les soins traditionnels. Nous avons beau crier famine. Les hommes qui nous gouvernent nous disent: "Patience, patience, patience".
Où est le centre?
4)- Loger
Nos hommes, les fonctionnaires qui représentent l'autorité de l'État sont-ils encore dignes de respect? Ils auront beau dire aux propriétaires des maisons louées " Repassez s'il vous plaît, le salaire n'est pas encore payé". Le fonctionnaire centrafricain retrouverait-il sa dignité dans le travail? L'avenir nous le dira un jour. Beaucoup sont gentiment mis à la porte.
Contrairement à ce que les fonctionnaires ont espéré, aucun politique de logement n'est envisagée, on se distribue les vieux bâtiments de l'État comme si l'État ne doit rien posséder.
5)- Vêtir
Dans le travail, la dignité, nous devons être propres et unis en allant au bureau, même en étant divers. Le savon, le sel, l'huile, et autres produits de première nécessité ne se donnent pas gracieusement.
Où est le centre?
Nos hommes politiques cesseront-ils un jour leur querelle stérile pour se retrouver dans l'unité, la dignité et travailler pour trouver une solution à nos problèmes d'intérêt national?
A force de nous quereller sans cesse, un troisième Larron nous surprendra et nous perdrons tout.
Où est le centre?
Laissons de côté nos querelles intestines, partisanes, ethniques, tribales, régionales et voyons d'abord notre beau pays, notre peuple.
L'Abbé Socrate Ngaro.
[Source : Le Citoyen N°1118, juin 2001.- Kodro, 4 juillet 2001]


Actualité Centrafrique - Dossier 5