Il faut rassurer le président Patassé, selon Jean-Paul Ngoupandé
Alors que l'on croyait définitivement écartés les démons de la division après le pacte de réconciliation nationale signé en 1998 par la classe politique, sous l'égide des Nations Unies, la République centrafricaine est brutalement retombée dans la zone des tempêtes.
Le 28 mai dernier, des éléments des Forces armées centrafricaines (FACA), à l'instigation de l'ancien président André Kolingba, lançaient une attaque contre la résidence du président Ange-Félix Patassé dans l'objectif avoué de s'emparer du pouvoir.
La réaction énergique des forces loyalistes, appuyées plus tard par un contingent libyen et des rebelles du Front de libération du Congo (FLC) de Jean Pierre Bemba, a permis de sauver le régime et de maintenir l'ordre constitutionnel.
Pour combien de temps encore ? Serait-on tenté d'écrire, tant ce pays qui a dans son sous-sol et sur son sol toutes les richesses naturelles pour être heureux, semble condamné à l'instabilité depuis 1982.
Pourtant, rappelle avec une pointe de nostalgie, M. Jean-Paul Ngoupandé, ancien premier ministre, chef du Parti de l'unité nationale (PUN), il n'en a pas toujours été ainsi.
""La RCA était un des pays les plus unis de la région, un des rares où il y a une langue nationale, le sango"", souligne-t-il, dans un entretien avec la PANA.
""Même sous Bokassa, il y avait une certaine stabilité. Le phénomène a vraiment commencé avec Kolingba, à partir de 1983.
On a assisté à une tribalisation terrible de la fonction publique et l'armée. A l'époque, on a par exemple constaté que sur 36 sociétés d'Etat ou d'économie mixte, 29 étaient dirigées par des gens appartenant à l'ethnie Yakoma, celle du président Kolingba, qui représente à peine 4 pour cent de la population centrafricaine"".
M. Timothé Malindoma, chef du Forum civique, également ancien premier ministre de M. Patassé, qui assistait à l'entretien, acquiesce de la tête pour appuyer son collègue.
Selon M. Ngoupandé, i y a aussi eu cette ""prétendue tentative de coup d'Etat, qui a entraîné l'exil de Ange-Félix Patassé, la destruction de sa maison et la persécution des membres de son ethnie dans le nord du pays"".
Réponse du berger à la bergère. On constate aujourd'hui les mêmes excès de la part du pouvoir de M. Patassé, qui a détruit les maisons de M. Kokingba et pourchassé les Yakomas, note M. Ngoupandé.
En 1983, lors des premières élections libres du pays, les centrafricains ont sanctionné le tribalisme institué en mode de gouvernement par Kolingba.
Pour M. Ngoupandé, M. Ange Félix Patassé qui lui a succédé au pouvoir, n'a pas su gérer l'alternance ce qui expliquerait la remontée de Kolingba comme seconde force politique du pays, à l'issue des élections législatives de 1998.
L'ancien premier ministre ramène le problème de la Centrafrique à la haine tenace que se vouent deux hommes (Kolingba et Patassé) qui auraient ainsi pris le pays en otage.
La gestion approximative de la RCA durant les vingt dernières années a entraîné une pauvreté extrême de la population.
""Il est évident, souligne à ce propos M. Ngoupandé, qu'on ne peut séparer les crises de la misère des centrafricains"". Les agents de la fonction publique vont boucler à la fin du mois de juin, 28 mois d'arriérés de salaires.
Le porte-parole du président Patassé, M. Prosper Ndouba, refuse pour sa part, d'établir un lien de cause à effet entre les arriérés de salaires et la tentative de coup d'Etat.
Tout au plus, consent-il du bout des lèvres, que ""cela peut constituer un terreau pour l'instabilité"".
Selon lui, il s'agit d'un problème politico-militaire, car Kolingba n'aurait pas digéré ses défaites aux élections de 1993 et 1999. Il rend ce dernier entièrement responsable de ses mauvais rapports avec le président Ange-Félix Patassé.
Comment sortir la République centrafricaine de ces crises cycliques ? Pour M. Jean-Paul Ngoupandé, la priorité doit être de calmer le jeu. ""Il faut éviter que le coup d'Etat manqué ne se transforme en guerre civile, et c'est pourquoi, nous (l'ensemble de la classe politique), sommes allés voir Patassé (mardi dernier) pour le rassurer.
Selon lui, il s'agit ainsi de rétablir le fil du dialogue, afin de pouvoir remettre le pays au travail.
L'ancien premier ministre ne rejette pas l'idée d'une trêve sur la front politique et social. ""Si on doit en passer par là pour que le pays ne brûle pas, il faut le faire"", souligne-t-il.
A son avis, cette trêve devra faire l'objet d'un accord entre tous les acteurs politiques et syndicaux, avec un plan précis d'exécution.
Ventre affamé n'ayant point d'oreilles, le gouvernement devra absolument faire un gros effort pour les salaires.
C'est à ce niveau que devrait pouvoir intervenir la communauté internationale en aidant le gouvernement à s'ôter du pied cette épine des salaires qui handicape le pays en l'empêchant de marcher normalement.
Les observateurs espèrent que la réunion de mardi aura permis, sinon de l'abattre, tout au moins de fissurer le mur de méfiance entre le pouvoir centrafricain et l'opposition.
(PANA, Bangui - Mercredi 27 Juin 2001