Vive tension à la frontière Rd-Congo - Centrafrique
L'Avenir, Kinshasa, 18.07.2001
Que se passe-t-il à la frontière entre la République démocratique du Congo et la République centrafricaine? Il est en tout cas difficile jusqu'ici de répondre avec précision à la question. Les dernières nouvelles ne sont cependant pas rassurantes. Le gouvernement centrafricain a décidé, depuis hier soir, la fermeture de la totalité des 1.200 Km de sa frontière avec la Rd-Congo. Dans une intervention à la télévision d'Etat, le ministre de l'intérieur centrafricain Théodore Biko n'a fourni aucune explication sur cette mesure, dont la durée est illimitée, rapporte Associated Press.
Cette mesure doit cependant être liée à la tentative de coup d'Etat manqué de mai dernier à Bangui. Depuis lors en effet, la frontière entre les deux pays a été franchie à plusieurs reprises dans les deux sens. Il y a d'abord les troupes de Jean-Pierre Bemba, parties au secours du régime Patassé menacé par les mutins. Le flux s'est ensuite réalisé en sens inverse. Selon certaines estimations, quelques 25.000 Centrafricains se seraient enfuis en Rd-Congo, gagnant la ville de Zongo, afin d'échapper aux représailles du régime du président Ange-Félix Patassé.
Bangui a en effet accusé l'ethnie Yakoma d'avoir organisé cette mutinerie de mai, et de centaines de ses membres auraient été tués dans la capitale depuis lors. De plus, les forces de sécurité centrafricaines soutiennent que les armes utilisées venaient du nord de la RdCongo, partie contrôlée par le Mouvement de libération du Congo (Mlc) de Jean-Pierre Bemba.
Les ferments d'un nouveau conflit régional
Ce nouveau rebondissement intervient dans une région d'une fragilité caractéristique et vient multiplier les dangers d'embrasement généralisé. Après avoir fermé sa frontière avec la Rd-Congo, le gouvernement centrafricain pourra être tenté de chercher à se faire justice sur les « complices des mutins » se trouvant aujourd'hui en territoire congolais.
Cette situation rappelle étrangement les débuts de l'exportation de la crise rwandaise sur le territoire congolais. Aujourd'hui, sous le prétexte de neutraliser des forces qui menacent sa sécurité intérieure, le régime de Kigali entretient une guerre longue de déjà trois années et ses troupes continuent à occuper une bonne partie du territoire congolais, en assurant qu'elles ne repartiront qu'une fois ces menaces neutralisées.
Ange-Félix Patassé n'a peut-être pas les moyens de soutenir une guerre contre la Rd-Congo. Mais l'instabilité qui découlera de ce trafic de personnes et d'armes à la frontière ne fera qu'en rajouter aux conséquences de la guerre menée par Jean-Pierre Bemba et ses parrains ougandais. Et elle inscrit la République centrafricaine sur la liste déjà longue des pays impliqués de près ou de loin dans la crise des Grands Lacs. A présent, ce sont près de cinq armées qui évoluent dans ce périmètre : les Ougandais et leurs protégés du Mlc, les Centrafricains, ainsi que les Rwandais et leurs protégés du Rcd.
Cette mesure du gouvernement centrafricain intervient curieusement au lendemain de l'audience accordée par le président de la République, Joseph Kabila, à l'ambassadeur centrafricain en RdCongo, M. Bernard Cissalé. Le diplomate centrafricain s'est dit porteur d'un message de son chef d'Etat à son homologue congolais au sujet de la sécurité à la frontière et de la politique de bon voisinage. La mesure que vient de prendre son gouvernement était-elle reprise dans ledit message? En tout cas, il est difficile de la considérer comme attestant d'une politique de bon voisinage. Et une nouvelle fois, un conflit entre des citoyens d'un autre pays ayant débuté sur leur propre territoire risque de déverser ses tristes conséquences sur de pauvres populations congolaises sans défense. Une interpellation pour la Monuc et la communauté internationale puisqu'il vaut mieux prévenir que guérir.
L'Avenir du 18.07.2001