Jean-Paul NGOUPANDE SORT DU BOIS
A la faveur du 41è Anniversaire de l'indépendance de la RCA, la Rédaction de Centrafrique - Presse a décidé d'entamer un tour des états majors politiques (toutes tendances confondues) de favoriser un débat dynamique en dehors du seul cadre de l'Assemblée Nationale.
Le premier à répondre à notre invitation est l'ancien Premier Ministre Jean Paul NGOUPANDE, Président du PUN et député de Dékoa, qui nous livre, dans l'interview qui suit son sentiment sur l'actualité et l'avenir de la RCA.
Centrafrique-Presse : Président du Parti de l'Unité Nationale (PUN), vous êtes député de l'opposition à la tête de laquelle vous avez reclamé en juillet 2000 la démission du président Patassé. Pourquoi acceptez-vous aujourd'hui d'accorder une interview à un journal dirigé par un de ses proches collaborateurs ?
Jean-Paul NGOUPANDE : Je vous remercie pour cette question, qui me permet de faire une mise au point sur ma vision du débat démocratique dans notre pays. Voyez-vous, en France, le pays qui nous sert souvent de référence, il y a trois grands quotidiens nationaux : Le monde, Le Figaro et Libération. Le premier et le troisième peuvent être classés à gauche. Le second serait plutôt proche de la droite. Je vous assure que Lionel Jospin, premier ministre du gouvernement de la gauche plurielle, n'éprouve aucun sentiment de culpabilité quand il a l'occasion de passer par Le Figaro pour exprimer ses vues et expliquer sa politique. De la même façon, le président Chirac, dont les rapports ne sont pas les meilleurs avec le grand quotidien du soir (c'est le moins que l'on puisse dire !), n'a jamais refusé une interview du Monde sous prétexte que ce journal est très critique vis-à-vis de sa politique. S'agissant de Libération, un journal que je connais très bien pour y avoir été pigiste à ses débuts et écrit des papiers contre Bokassa sous des pseudonymes (j'ai rappelé cet épisode à Pierre Haski en 1987 à Bangui), ses origines d'extrême-gauche avec Serge July n'ont jamais empêché qu'il s'ouvre à tout le monde.
Si Echo de Centrafrique, qui ne me ménage pas, me demandait une interview, je vous assure que j'accepterais volontiers. Mes idées et mes convictions ne varient pas en fonction des organes dans lesquels je les exprime. Pour ne prendre qu'un exemple récent, s'agissant de la crise actuelle c'est la même position que j'ai exprimée sur RFI, Africa n°1, BBC, à l'Agence France Presse (AFP), à Reuters et à la PANA. Ce sont ceux qui ne sont pas sûrs de leurs convictions qui ont le genre de scrupules que vous évoquez. Pas moi. En tout état de cause, mon parti n'ayant pas encore les moyens de s'offrir un quotidien, il faut bien que je m'exprime là où on me propose de le faire !
C-P : Le 13 août prochain, la RCA aura quarante et un an d'indépendance. Quels souvenirs gardez-vous du 13 août 1960, date de la proclamation de cette indépendance ?
JPN. Honnêtement, je n'en garde aucun souvenir particulier. J'étais sans doute trop jeune. Je venais de passer le CEPE (Certificat d'études primaires élémentaire) et le concours d'entrée en sixième, à l'école catholique Sainte-Anne de Dékoa. Je passais les vacances au village natal puis à Fort-Crampel (aujourd'hui Kaga Bandoro), au village Ndomété. Mes
parents étaient très fiers de moi parce que j'étais admis en 6ème au collège Emile Gentil, futur lycée Barthélemy Boganda, et qu'en plus j'étais lauréat du CEPE dans toute la Kémo-Gribingui, qui comprenait les préfectures actuelles de la Kémo et de la Nana Grébizi.
C-P : Que représentait pour l'adolescent que vous étiez l'accession de la RCA à l'indépendance ?
JPN. En arrivant à Bangui le 30 septembre 1960 (on appelait alors " GA NA CAR " les jeunes ruraux qui arrivaient pour la première fois dans la capitale), je me suis tout de même rendu compte qu'un événement important s'était déroulé six semaines plus tôt, ne serait-ce que parce que mon tuteur militait au MEDAC (Mouvement pour l'Evolution Démocratique de l'Afrique Centrale), qui était dirigé entre autres par Abel Goumba et Pierre Maléhombo, et que de grosses querelles politiques les opposaient au MESAN dirigé par David Dacko. Les Blancs n'étaient pas encore totalement partis. Toute l'administration du collège était tenue par les Français, en dehors du vieux père Gaombalet qui était surveillant. C'est vers la fin de l'année 1960 que je me suis vraiment rendu compte que la bagarre politique se déroulait entre Centrafricains, quand j'ai vu mon tuteur se lever la nuit, avec arc et carquois, pour rejoindre d'autres militants du MEDAC au niveau du marché actuel de Gobongo, et barrer la route avec de gros troncs d'arbres pour empêcher la déportation de leurs leaders, Abel Goumba et Pierre Maléhombo. A l'évidence, les Blancs soutenaient le MESAN. Ils avaient encore une grande influence dans le pays, pas toujours nécessairement dans le mauvais sens d'ailleurs, comme la suite l'a malheureusement démontré en ce qui concerne le fonctionnement de l'Etat et l'efficacité de l'administration.
C-P : Quel bilan, le témoin de l'histoire contemporaine de l'Afrique que vous êtes fait des 4 décennies d'indépendance de la RCA ?
JPN. Votre question me permet de vous donner un scoop. Si Dieu le veut, dans les tout prochains mois paraîtra mon nouveau livre, chez l'un des plus grands éditeurs parisiens. Pour des considérations juridiques que vous pouvez comprendre aisément, je ne peux pas en dire plus, mon manuscrit étant désormais, au terme du contrat, la propriété de l'éditeur. Il lui appartiendra de donner, le moment venu, les détails de présentation de ce livre, qui ne porte pas seulement sur la RCA, mais qui est une espèce de bilan des quarante et un ans d'indépendance des anciennes colonies françaises, auxquelles j'ai ajouté les trois anciennes possessions belges que sont la RDC, le Rwanda et le Burundi. Les points de vue que je développe dans ce livre n'étonneront pas ceux qui suivent mes prise de position depuis une décennie, c'est-à-dire depuis la parution de mon premier livre, Racines historiques et culturelles de la crise africaine. Ce que je ne cesse de dire depuis dix ans, c'est que les bouleversements consécutifs à la chute du mur de Berlin ont modifié en profondeur les règles du jeu mondial. La globalisation laisse peu de chance à ceux qui refusent de prendre leur destin en mains. La marginalisation du continent noir, qui s'accélère, est le plus grand défi auxquels les peuples africains sont confrontés en ce début de millénaire. En 1960, nous représentions près de 10 % du commerce mondial correspondant à peu près à ce que nous représentions dans la démographie de la planète. En 2001, notre part dans les échanges économiques et commerciaux n'est plus que de 1,6 %, dont la moitié pour la seule Afrique du Sud alors que nous constituons 13% de la population mondiale. En d'autres termes, l'insignifiance de notre continent est telle qu'elle ne représente plus un enjeu, et suscite plus l'indifférence que la pitié. Jamais la régression n'a été aussi patente, à en croire la progression de la misère, des épidémies et de l'insécurité.
Je souhaite que ce livres soit l'occasion d'un débat sérieux et serein sur les enjeux du 21ème siècle africain. Je note malheureusement que ce type de débats ne semble pas intéresser mes compatriotes.
J'ai remarqué que certains de mes textes figurent dans des programmes scolaires et universitaires dans certains pays ouest africains, mais pas dans mon propre pays. Nul n'est prophète chez soi...
C-P : Quelle issue voyez-vous à la crise consécutive à la tentative de coup d'Etat du 28 mais dernier ?
JPN. Ma position n'a pas varié depuis le début des événements. Ma toute première déclaration date du dimanche 3 juin 2001, sur Radio France Internationale. Je l'ai réitérée, reprécisée, à l'Assemblée nationale, à d'autres organes de presses (Africa n° 1, BBC, AFP, PANA, Reuters, etc), dans les rencontres avec les représentants diplomatiques dans notre pays, avec l'Envoyé spécial du Secrétaire Général de l'ONU, avec le Premier ministre et d'autres membres du Gouvernement. Je précise que ces prises de position sont faites au nom du PUN, bien entendu, mais aussi au nom de mes amis du Groupe de Six, avec lesquels la concertation est permanente, et même quotidienne, depuis le début des événements. Nous partageons une complète identité de vue sur ces événements. C'est pour cela qu'il nous est facile de nous exprimer d'une même voix.
Notre position tient en quelques points que nous jugeons essentiels :
C'est sur le terrain démocratique que le combat pour l'alternance doit se mener
C-P : Comment voyez-vous l'avenir de la RCA en tant qu'Etat indépendant ?
JPN. Un de mes meilleurs amis vient d'être élu Secrétaire général de l'OUA. Quand j'étais en poste dans son pays, nous discutions souvent de l'Afrique et de ses problèmes. J'ai été très heureux d'entendre Amara Essy, dans ses premières déclarations en tant que premier responsable de l'organisation panafricaine, dire que l'avenir de l'Afrique est entre les mains des Africains eux-mêmes. Ce que sera la RCA sera naturellement ce que les Centrafricains voudront qu'elle soit. Il me semble aujourd'hui que le choix est simple : ou nous persistons dans la voie de la division et des déchirements, et nous ne serons hélas pas le premier pays du continent à plonger dans le chaos pour un long moment ; ou au contraire nous nous ressaisissons et nous optons pour la concorde nationale et le consensus minimal autour des vrais problèmes du pays, et nous avons une petite chance de nous en sortir. J'avais posé cette alternative il y a cinq ans, à l'occasion de ma déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale en tant que premier ministre du GUN. Certains, y compris au sein de l'opposition, avaient dit que j'exagerais, que je versais dans le catastrophisme. J'ai relu ce texte la semaine dernière. Cinq ans après, je n'ai pas un seul mot à retrancher.
C-P : Dans un ouvrage que vous avez publié après avoir quitté le poste de Premier Ministre, vous avez formulé deux questions qui vous paraissent les plus importantes pour l'avenir de la RCA :
Que pouvez-vous ajouter ou retrancher, cinq ans après la publication de ce livre ?
JPN. Ces questions demeurent. Elles nous interpellent tous. Je réitère la réponse que je viens de donner à la question précédente.
C-P : Quel rôle comptez-vous jouer avec votre parti pour éviter CENTRAFRIQUE rime avec horreur et médiocrité ?
JPN : A très court terme, contribuer, avec tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté, à quelque bord qu'ils appartiennent, à calmer le jeu, à rechercher l'apaisement et la concorde. Pour cela, nous sommes prêts à dialoguer avec tous ceux qui partagent ces préoccupations, sans préjugé, sans parti pris, et surtout sans aucun souci du qu'en dira-t-on. La communauté internationale paraît disposée à nous donner un coup de main pour nous éviter de basculer dans l'horreur. Mais nous devons l'aider à nous aider, en donnant des signaux forts de notre volonté de prendre nos problèmes à bras-le-corps.
Nous sommes prêts à dialoguer avec tous ceux qui partagent ces préoccupations
Pour le reste, le chemin de la démocratie est un long chemin. La démocratie est une idée exaltante, mais une idée neuve dans nos pays africains, et donc souvent objet de malentendus et de surenchères où la tentation du raccourci par de voies non démocratiques est forte chez certains. Ce qui complique le jeu, c'est la disette. Rien n'est pire que la démocratie de la disette. Dans une interview à un grand quotidien parisien il y a cinq ans, j'avais dit que plus le gâteau à partager est petit, et plus la bagarre autour se fait au couteau. Faisons déjà de sorte que le gâteau s'agrandisse par la bonne gestion. La culture démocratique est un long apprentissage où, parfois, des générations doivent se succéder pour que l'irréversibilité devienne la norme. La formation des cadres et des militants aux idéaux démocratiques devient alors autre chose qu'un lieu permanent d'intrigues et de bassesses, par la fanatisation à partir de valeurs d'un autre âge.
(Source : Centrafrique Presse, N° 057 du 10 août 2001.)