Entre Centrafrique et Libye, le Tchad à l'épreuve de "l'affaire" Bozizé (AFP, Bangui, 15 nov 01 - 11h27)

"L'affaire Bozizé", à l'origine purement centrafricaine, se transforme au fil de sa radicalisation en casse-tête politique pour le Tchad, qui entretient une relation historique "amicale" mais complexe, tant avec son voisin du nord, la Libye, qu'avec son partenaire du sud, la Centrafrique.

Depuis que l'ancien chef d'état-major de l'armée centrafricaine, le général François Bozizé, a fui Bangui pour se réfugier au sud du Tchad le 9 novembre, le président tchadien Idriss Deby se retrouve avec un invité délicat à gérer, estiment les observateurs à Bangui et à N'Djamena.

D'un côté, M. Deby tente de composer avec son homologue centrafricain, Ange-Félix Patassé, épaulé à Bangui par un contingent militaire libyen, qui réclame l'extradition du général Bozizé pour "atteinte à la sûreté de l'Etat".

De l'autre, N'Djamena ne peut que s'alarmer de la présence d'un nombre indéterminé de partisans armés du général centrafricain à l'extrême nord de la Centrafrique, sur sa frontière sud, et susceptibles à tout moment de se lancer dans une rébellion.

Interrogé mercredi par Radio France internationale (RFI), sur cette éventualité, le général Bozizé a déclaré: "Tout dépendra du comportement des autorités centrafricaines".

Musulman, nordiste, Idriss Deby, doit éviter des troubles transfrontaliers dans son sud chrétien, fief par excellence de ses opposants politiques, des cousins ethniques du général Bozizé, alors même qu'il est confronté à une rébellion aux confins tchado-libyens.

Le sud-tchadien est aussi devenu une région stratégique du pays, depuis que d'importants gisements pétroliers y ont été découverts, dont l'exploitation se dessine à l'horizon 2003.

Le régime tchadien y a déjà été confronté à une rébellion qui a pris fin l'année dernière avec l'élimination physique de son chef, Moïse Ketté Nodji.

La présence de militaires libyens à Bangui depuis le coup d'Etat avorté du 28 mai, pourrait enfin bouleverser, sur le long terme, la donne stratégique pour le Tchad.

C'est en effet la première fois dans l'histoire de ce pays-tampon entre l'Afrique saharienne et l'Afrique centrale que le Tchad se retrouve bordé, au nord comme au sud, par un voisin libyen devenu "ami" seulement depuis quelques années.

Alors chef d'état-major d'Hissène Habré, c'est Idriss Deby qui, en 1987, avait bouté l'armée du colonel Kadhafi hors du Borkou-Ennedi-Tibestinord du Tchad), lors d'une guerre restée gravée dans les mémoires des deux côtés de la frontière.

Prudemment, le régime tchadien a donc opté pour le "dialogue" depuis le début de l'affaire Bozizé, au nom de son appartenance commune avec la Centrafrique et la Libye à la Communauté des Etats sahélo-sahariens (COMESSA).

D'abord en joignant son ambassadeur à Bangui à la médiation du représentant de l'ONU en Centrafrique, Lamine Cissé, alors que le général Bozizé refusait par les armes de se rendre à la justice centrafricaine.

Ensuite, une fois le général centrafricain réfugié à Sahr (sud du Tchad), en refusant de l'extrader au motif que l'affaire est devenue plus politique que judiciaire, tout en plaidant auprès du président Patassé pour une option négociée passant par le désarmement des partisans de M. Bozizé.

Toutefois, pour N'Djamena, l'affaire Bozizé s'est encore un peu compliquée et un dérapage en Centrafrique placerait le Tchad à la frontière nord des troubles qui déchirent l'Afrique centrale, depuis les lointains Grands Lacs.


Le général Bozizé doit rencontrer jeudi le président Deby (AFP, N'Djamena, 15 nov 01 - 15h25)

Le général François Bozizé, ancien chef d'état-major des forces armées centrafricaines arrivé mercredi à N'Djamena, devait être reçu jeudi en audience par le Président Idriss Deby, a-t-on appris de source officielle.

Depuis les derniers événements à Bangui et l'arrivée au Tchad de l'ancien chef d'état-major centrafricain, le Président Deby a entamé des pourparlers avec son homologue centrafricain Ange-Felix Patassé, pour trouver une "issue heureuse" à cette crise, rappelle-t-on dans la capitale tchadienne.

Ces pourparlers n'ont pas été confirmés par Bangui où le Président Patassé a annoncé mercredi la dégradation, au rang de soldat de 2ème classe, du général Bozizé.

Dans un communiqué, le collectif tchadien des associations de défense des droits de l'Homme s'est félicité jeudi de la décision du gouvernement tchadien de ne pas extrader le militaire centrafricain. "Le collectif se réjouit de la décision du gouvernement de ne pas extrader le général et ses compagnons d'armes vers la Centrafrique", écrit le collectif.

"Le collectif exige que le gouvernement prenne toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité du général Bozizé et de ses hommes tant qu'ils seront en territoire tchadien", ajoute le communiqué.

La décision du Président Patassé de dégrader le général Bozizé est considérée comme un signe de fermeté dans la capitale tchadienne. Cette décision risque de compromettre les chances de la médiation entreprise par les autorités tchadiennes, estiment les observateurs.

Par ailleurs, la radio nationale a annoncé jeudi le meurtre d'un Tchadien à Bangui. Selon la radio, "Hamat Mahmat Moyadine, père de neuf enfants, a été abattu froidement à son domicile par un soldat centrafricain au quartier Boy Rabé", un quartier du nord de Bangui qui a manifesté son soutien la semaine dernière au général Bozizé lors de l'épreuve de force engagée entre ce dernier et le pouvoir centrafricain.

"L'ambassadeur du Tchad en Centrafrique a saisi la police pour rechercher le criminel", a ajouté la radio, parlant d'un acte de "xénophobie".