Les deux sommets s'achèvent sur deux notes contradictoires : l'une (la COMESSA) privilégie la force militaire au nom de la paix et la sécurité, l'autre (la CEMAC), le dialogue politique et l'amnistie. Le manquement notoire est l'absence constatée des forces vives de la nation (syndicats, mouvements politiques, jeunesse, partis d'opposition, société civile). Il est difficilement envisageable de décider du sort de la République Centrafricaine en dehors de son sol et des principaux acteurs. Le sommet de Libreville a toute fois indiqué une piste exploratoire : qu'il serait temps que le dialogue s'amorce et de tendre vers une véritable paix. Ce qui ne semble pas évident malgré les déclarations des présidents Patassé et Deby précédées d'accolades entre ces derniers.
Amara Essy: "Il faut privilégier la solution politique à la force" en RCA
(AFP, Libreville, 6 déc. 2001 - 10h51)Le secrétaire général de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), Amara Essy, a estimé jeudi à Libreville qu'il fallait "privilégier la solution politique à la force" pour résoudre les tensions en République centrafricaine (RCA).
"La force, c'est la solution à court et à moyen terme, mais on ne peut pas résoudre le problème par la force", a déclaré M. Essy dans un entretien à l'AFP.
Le secrétaire général de l'OUA réagissait aux sommets de Khartoum et de Libreville. Le premier a décidé le 3 décembre la création d'une "force de maintien de la paix en RCA". Le second a prôné mercredi une option politique passant par le "dialogue" et "l'amnistie".
"On va essayer de trouver une convergence" entre les deux approches, a indiqué M. Essy.
"L'aval de l'OUA" à une force de maintien de la paix supervisée par les dirigeants soudanais Omar el-Béchir et libyen Mouammar Kadhafi, "ne peut se faire qu'au niveau de son organe central à Addis-Abeba", a-t-il souligné.
Interrogé sur les divergences apparues entre les présidents tchadien Idriss Deby et centrafricain Ange-Félix Patassé à propos de l'ex-chef d'état-major centrafricain François Bozizé, réfugié au Tchad, M. Essy a estimé "qu'un mauvais accord" valait "mieux qu'un bon procès".
N'Djamena considère M. Bozizé comme un réfugié politique et prône une solution négociée entre Centrafricains, mais Bangui accuse le militaire d'"atteinte à la sûreté de l'Etat" et souhaite le juger, quitte à l'amnistier ultérieurement.
"C'est le rôle des chefs d'Etat de reconnaître qu'il n'y a pas d'autre solution que d'aller à l'apaisement", a ajouté le secrétaire général de l'OUA.
Khadafi/Bongo: deux remèdes pour la Centrafrique
(AFP, Libreville, 6 déc. 2001 - 9h19)La force ou le dialogue politique : les sommets de Khartoum et de Libreville ont mis en évidence en l'espace de trois jours les divergences de remèdes préconisés pour le malade centrafricain par ses deux influents parrains africains, la Libye et le Gabon.
Eprouvée par trois mutineries militaires en 1996-97, la Centrafrique a renoué avec ses poussées de fièvre chroniques lors du coup d'Etat manqué du 28 mai dernier, suivi, début novembre, par la dissidence armée de son ancien chef d'état-major François Bozizé, réfugié depuis au Tchad.
La réunion de Khartoum, placée lundi sous l'égide de la Communauté des Etats sahélo-sahariens (COMESSA), une organisation créée par la Libye, a décidé du principe de l'envoi d'une "force de maintien de la paix" à Bangui.
Celle de Libreville, initiée sous les auspices de la Communauté économique et monétaire des Etats de l'Afrique centrale (CEMAC), dont le président Bongo est le doyen, a préconisé mercredi "dialogue", "apaisement" et "amnistie", éludant toute allusion directe à une force militaire.
Avant l'heure, nul n'ignorait, en RCA comme au Tchad, quelle musique sortirait de la trompette COMESSA et du hautbois CEMAC.
Le président centrafricain Ange-Félix Patassé, reconnaissant de l'aide militaire décisive de Tripoli envoyée à son secours fin mai, penchait pour Khartoum.
Depuis le putsch manqué, commis par d'anciens officiers mutins qu'il avait jadis amnistiés sous la pression de la communauté internationale, M. Patassé estimait avoir assez pardonné. Désormais, la justice trancherait le cas des "pustchistes, terroristes".
De son côté, Idriss Deby, embarrassé par la présence de l'invité-surprise Bozizé, que sa constitution interdit d'extrader, savait qu'il trouverait à Libreville une oreille attentive à son souhait de voir l'affaire se régler par le dialogue entre Centrafricains.
D'autant qu'au Tchad, on apprécie diversement de se savoir bordé au nord comme au sud par un voisin libyen d'amitié récente.
Du coup, les deux sommets concurrents ont failli se téléscoper lundi. Antériorité de l'invitation oblige, Khartoum l'a finalement emporté, du point de vue du calendrier.
La Force de paix évoquée au Soudan permettrait au longtemps sulfureux colonel Khadafi d'asseoir la crédibilité de son projet d'Union africaine, estimaient certains membres de délégations à Libreville.
"En volant au secours d'un régime démocratiquement élu, Khadafi entend prouver qu'il peut agir vite, en palliant le départ militaire de l'ancien colonisateur français et l'inaction de l'Afrique centrale", analysait l'un d'eux.
D'autres y voyaient des visées moins angéliques d'implantation durable dans un pays pauvre mais stratégique par ses frontières avec le Tchad, le Soudan, la République démocratique du Congo, le Congo-Brazzaville et le Cameroun.
L'opposition centrafricaine dénonce quant à elle une manoeuvre libyenne destinée à "légitimer son occupation militaire" et à "maintenir artificiellement M. Patassé au pouvoir".
La RCA appartenant à la fois à la CEMAC et à la COMESSA, il appartiendra sans doute à l'Organisation de l'Unité africaine (OUA) de trancher...
A Libreville, Omar Bongo a de son côté résolument pesé de toute son aura de "médiateur international" pour recommander le dialogue politique, seul remède "durable" à ses yeux.
Le président gabonais connaît personnellement chacun des impulsifs frères ennemis centrafricains pour avoir notamment parrainé les Accords de Bangui ayant mis fin aux mutineries de 1996-97.
Il sait aussi que la RCA a surtout besoin de stabilité et des bonnes grâces des bailleurs de fonds.
Affaibli par les crises à répétitions, le président Patassé ne voudrait fâcher aucun de ses prestigieux médecins. "Je suis satisfait. Les démarches de la CEMAC et de la COMESSA sont complémentaires", a-t-il estimé mercredi.