Le président Wade limoge M. Niasse et nomme une femme Premier ministre : Madame Mame Madior Boye
Le président sénégalais Abdoulaye Wade a limogé samedi son Premier ministre, Moustapha Niasse, leader d'un parti qui a pris cette semaine ses distances vis-à-vis de la coalition qui avait soutenu M. Wade à la présidentielle de mars 2000 et dont l'éclatement semble inéluctable.
La décision du président a été peu de temps après suivi par l'annonce de la nomination de Mme Mame Madior Boye au poste de Premier ministre.
"Cette décision (du limogeage), je l'attendais. Voilà plusieurs semaines, sinon plusieurs mois, que je ne partage pas certaines options et que je le manifeste, il appartenait au chef de l'Etat d'en tirer les conséquences", a déclaré sur les ondes d'une radio privée (Walf-FM) Moustapha Niasse immédiatement après l'annonce de son limogeage.
Selon Abdoulaye Babou, porte-parole du parti de M. Niasse, l'Alliance des forces de progrès (AFP), le président aurait déclaré à son Premier ministre: "Nous sommes ensemble depuis quelques temps, je constate des divergences, je vous demande donc de nous séparer".
Dès après l'annonce du départ de Moustapha Niasse, le président Wade a nommé une femme à la tête de son gouvernement. Mme Mame Madior Boye, ministre de la Justice dans le gouvernement sortant de Niasse a été chargée de présenter la liste de son gouvernement dimanche.
Dans sa toute première déclaration à la presse, elle a mis en avant qu'elle n'appartenait à aucun parti politique et s'est engagée à mener à bien les "grands chantiers" du président Wade, contenus dans le programme sur la base duquel celui-ci été élu.
Quant au président Wade, il a expliqué le limogeage de Niasse par des "déviations" apparues dans la conduite de l'action gouvernementale. Néanmoins, tous les ministres du gouvernement sortant seront "maintenus à leur poste" à l'exception de ceux de l'AFP, a-t-il expliqué.
Le ministre de la Culture, Madior Diouf, également leader du Rassemblement national démocratique (RND) jugé proche de Niasse, a déjà indiqué qu'il ne ferait pas partie du futur gouvernement.
Selon le président Wade un nouveau premier ministre "issu de la majorité" sera nommé à l'issue des législatives anticipées du 29 avril prochain.
Ces élections devraient aboutir, selon les observateurs, à la recomposition du paysage politique sénégalais.
Le changement à la tête du gouvernement intervient à quelques semaines de ces législatives et un peu moins d'un an après l'arrivée au pouvoir du président Wade, élu en mars 2000 et investi en avril.
M. Niasse s'était vu offrir le poste de Premier ministre après avoir soutenu Abdoulaye Wade au deuxième tour de la présidentielle, le 19 mars 2000. Il était arrivé en troisième position au premier tour cette élection, le 27 février 2000, s'adjugeant le rôle d'arbitre entre les candidats Abdou Diouf, arrivé en tête, et Abdoulaye Wade, second.
Le limogeage de Niasse marque l'éclatement de la coalition ayant permis à Wade d'accéder au pouvoir et d'où étaient issus en grande partie les membres du gouvernement formé après la défaite de M. Diouf.
Cette coalition, le Front pour l'alternance (FAL) était constitué de 23 partis ayant tous soutenu le candidat Wade au deuxième tour de l'élection présidentielle.
Mais ces dernières semaines, les relations entre MM. Wade et Niasse, et plus encore entre les responsables de leurs formations politiques respectives, s'étaient progressivement détériorées.
Le 2 mars, le parti de Moustapha Niasse avait décidé de "suspendre" ses activités au sein du FAL.
Le Premier ministre sénégalais: une femme magistrate, sans appartenance politique : portrait
Mame Madior Boye, nommée samedi Premier ministre du Sénégal, est une magistrate qui n'appartient à aucun parti politique et était inconnue du grand public jusqu'à sa nomination au poste de ministre de la Justice, en avril 2000.
Pressée de questions samedi soir à sa sortie de chez le président Abdoulaye Wade, Mme Boye, âgée d'une cinquantaine d'années, assez petite de taille et portant des lunettes, a volontiers répondu aux journalistes, mais elle a refusé de dévoiler son âge, par coquetterie.
Selon des informations communiquées par les services de la présidence, Mme Boye est diplômée en droit de l'Université de Dakar et a suivi un cursus au Centre national des études judiciaires de Paris, dont elle est sortie en 1969.
Après, elle est devenue magistrate. D'abord juge suppléante, puis vice-présidente, ensuite présidente de tribunaux dakarois, elle était conseillère à la Cour de cassation mais "détachée" dans une institution bancaire privée, poste qu'elle occupait juste avant d'être nommée ministre de la Justice.
"J'ai été nommée Garde des Sceaux par le président Wade parce que j'étais issue de la société civile, que je n'appartiens à aucun parti politique", a déclaré Mme Boye à la presse, supposant que le chef de l'Etat avait fait appel à elle pour les mêmes raisons pour un poste plus important.
"Nous allons nous atteler à la tâche", a-t-elle dit, décidée à "travailler de son mieux pour son pays", que ce soit "pour deux mois, pour un an ou pour dix ans".
Selon des déclarations faites dans la soirée par le président sénégalais, Mme Boye devrait cumuler les fonctions de Premier ministre et de ministre de la Justice jusqu'aux législatives, prévues le 29 avril.
Ensuite, le Premier ministre sera choisi dans la majorité. Si ce n'est pas Mme Boye, elle conservera son poste de Garde des Sceaux et aura tenté de gérer au mieux la transition, selon le président Wade.
Mme Boye occupe diverses fonctions au sein d'associations internationales. Elle a notamment été vice-présidente de la fédération internationale des femmes de carrière juridique et est membre fondatrice d'une association de juristes africaines.
Eclatement de la coalition gouvernementale, à deux mois des législatives (éclairage)
La coalition gouvernementale, formée en avril 2000 au lendemain de l'alternance survenue au Sénégal, a volé en éclats samedi avec le limogeage du Premier ministre Moustapha Niasse, à deux mois des législatives anticipées prévues le 29 avril.
L'annonce a été brutale mais, selon tous les protagonistes, la rupture était prévisible.
Cette équipe gouvernementale était issue essentiellement du Front de l'alternance (FAL), coalition de 23 partis ayant soutenu le candidat Abdoulaye Wade au deuxième tour de la présidentielle de mars 2000.
Les options et parcours politiques des membres de ce gouvernement hétéroclite, où des libéraux siégeaient avec des sociaux-démocrates et même des ex-communistes, ne pouvaient longtemps résister aux contradictions internes qu'elles a toujours couvées depuis sa mise en place.
Mais plus que les clivages idéologiques, c'est la perspective des prochaines élections législatives et la recomposition inéluctable du paysage politique qui ont précipité la séparation et rendu très difficiles les derniers jours de cette "cohabitation à la sénégalaise".
"Ce changement était dans l'air, il y avait une crise au sein du FAL", a déclaré dans la soirée le président Wade, accusant l'Alliance des forces de progrès (AFP) de Moustapha Niasse d'avoir failli au devoir de solidarité envers le Parti démocratique sénégalais (PDS), parti du président Wade, lors d'une élection à la tête de la mairie de Mbour, localité située à une centaine de km à l'est de Dakar.
L'AFP de Niasse avait voté en faveur du candidat présenté par le Parti socialiste (PS, de l'ex-président Abdou Diouf) contre celui présenté par le PDS.
"Cette décision (...) je l'attendais. Voilà plusieurs semaines sinon plusieurs mois que je ne partage pas certaines options et que je le manifeste, il appartenait au chef de l'Etat d'en tirer les conséquences", a déclaré Moustapha Niasse après avoir été informé de son départ du gouvernement.
Ces dernières semaines, les relations entre MM. Wade et Niasse, et plus encore entre les responsables de leurs formations politiques respectives, s'étaient progressivement détériorées. Le 2 mars, le parti de Moustapha Niasse avait décidé de "suspendre" ses activités au sein du FAL.
Le limogeage, le 23 novembre dernier, de l'ancien ministre de l'Habitat, Amath Dansokho, leader du Parti de l'indépendance et du travail (PIT, ex-communiste), avait déjà donné le signal des difficultés de la coalition.
Le président Wade a fait savoir samedi soir qu'il comptait maintenir en poste tous les ministres du gouvernement sortant, à l'exception de ceux de l'AFP, qui ont démissionné dans la foulée du limogeage de leur leader.
Madior Diouf, ministre de la Culture, secrétaire général du Rassemblement national démocratique (RND), parti jugé "proche" de celui du Premier ministre sortant, a toutefois d'ores et déjà indiqué qu'il ne ferait pas partie de la prochaine équipe.
Note : En marge de la situation politique sénégalaise , Dakar se prépare à recevoir un sommet économique pour l'Afrique en septembre 2001
"Ce sera le Davos de l'Afrique", a lancé le président sénégalais devant la presse, faisant allusion au Forum économique mondial qui réunit chaque année à Davos (Suisse) des chefs d'entreprise, savants, dirigeants politiques et rédacteurs en chef ou éditorialistes de grands médias.
En annonçant la tenue de ces rencontres, le président sénégalais était accompagné d'Alain Madelin, président du parti politique français Démocratie libérale (DL) et député européen.
"Très content de recevoir (son) ami Alain Madelin", qui l'a soutenu dans le combat politique l'ayant mené à la présidence de la république sénégalaise, en mars 2000, M. Wade a précisé que ce "Davos de l'Afrique" était un "projet commun", à M. Madelin et à lui-même.
Selon M. Wade, ce forum réunira "300 hommes d'affaires du monde développé, francophone et anglophone" et permettra de "discuter directement avec les investisseurs".
Il faut "faire de l'Afrique un continent qui attire les investisseurs", a-t-il dit.
En janvier dernier, précisément au forum de Davos, M. Wade avait présenté son "plan Oméga" pour le développement de l'Afrique, qui constatait l'échec des méthodes appliquées jusqu'à présent et préconisait l'augmentation des investissements sur le continent plutôt que l'octroi exclusif d'une aide financière aggravant le cercle vicieux de l'endettement.
Selon M. Wade, Alain Madelin a des "idées très novatrices, des idées originales sur le secteur informel" africain, sur le "potentiel des ressources humaines non utilisées", sur la nécessité d'exploiter "la créativité" des Africains pour sortir le continent du marasme.
Arrivé jeudi soir à Dakar, M. Madelin a visité samedi matin à Dakar plusieurs ateliers, projets et réalisations de l'organisation Enda-Tiers Monde, championne de "l'économie populaire" basée sur la "récup" et la "débrouille" des Africains : bidons transformés en barbecue, liens de colis tressés en sacs ou fauteuils, boîtes de soda recyclées en attachés-case, calebasses devenues lampes, etc.
"Les dernières décennies ont été celles de la production de masse pour une consommation de masse", a analysé M. Madelin. Celles qui commencent marquent une "tendance à la déstandardisation". Dans cette époque là, selon le dirigeant politique français, "l'Afrique a toutes ses chances".
A condition que le monde développé lui donne un coup de pouce, notamment en ouvrant ses marchés aux produits africains.
Les questions posées aux "rencontres internationales de Dakar" devraient donc être: "quel partenariat" entre l'Afrique et le reste du monde ? Quel type de développement ? Comment attirer des capitaux, tirer parti de cette économie populaire ?", a poursuivi M. Madelin.
Les intellectuels présents parleront aussi de la mondialisation, de la "fracture technologique". Il s'agira de "réflexions économiques sur la nouvelle Afrique", a-t-il précisé.
"Je crois au développement de l'Afrique, au travers de la démocratie et de la libéralisation économique", avait auparavant déclaré M. Madelin à l'AFP, en appelant aussi de ses voeux une "nouvelle politique de relations franco-africaines".
Il faut tirer un trait sur la "Françafric", qui "livrait des armes aux dictateurs", a-t-il dit. "La nouvelle Afrique, elle, attend qu'on lui apporte des médicaments, de l'éducation...". Pour le reste, a-t-il espéré, les Africains
"sont capables de relever le défi".