Le secrétaire général a précisé lors de son discours d'acceptation les trois priorités qui devaient à son avis marquer l'action de l'ONU en ce début de millénaire: l'élimination de la pauvreté, la prévention des conflits et la promotion de la démocratie. Il a souligné par ailleurs le caractère indispensable de la coopération internationale dans tous les domaines à une époque où les défis qui se présentent sont d'une ampleur telle qu'ils ne peuvent plus être relevés par un ou plusieurs Etats seulement.

Ce vers quoi il nous faut aspirer aujourd'hui est une meilleure gouvernance - une gouvernance légitime et démocratique qui permettra à chaque individu et Etat de s'épanouir, dans le respect des différences culturelles ou religieuses, a conclu M. Annan.

En marge de la cérémonie d'attribution du prix, le secrétaire général et le Président de l'Assemblée générale, le sud-coréen Han Seung-soo, ont eu un entretien avec le Roi norvégien Harald V et participé à une réception en leur honneur au palais royal. Ce soir, les deux hommes, accompagnés de leurs épouses, devaient se rendre à un banquet et à un bal organisés à cette occasion.

La cérémonie d'attribution du prix Nobel de la Paix s'est déroulée en la présence de plus d'une vingtaine d'anciens lauréats du prix, qui ont lancé un appel pour la création rapide d'un tribunal pénal international et pour l'élimination de toutes les armes de destruction massive.

Kofi Annan plaide à Oslo pour l'ingérence et la tolérance (Reuters, OSLO, lundi 10 décembre 2001, 20h41)

Kofi Annan a prononcé lundi à Oslo un vibrant plaidoyer en faveur de la tolérance et du respect des différences ainsi que pour une certaine forme d'ingérence dans les affaires intérieures des Etats en cas d'atteintes graves aux droits de l'Homme.

Recevant le prix Nobel de la paix 2001 décerné à lui-même et à l'Organisation des Nations unies dans son ensemble, le secrétaire général de l'Onu a pris l'exemple de l'Afghanistan pour déclarer, à la suite d'autres, que sauver une seule vie, c'est sauver l'humanité tout entière.

"La souveraineté des Etats ne doit plus être un prétexte pour faire office de bouclier des violations les plus flagrantes des droits de l'Homme", a-t-il dit.

"Ce qui commence comme un échec à préserver la dignité de la vie de chacun se termine trop souvent par une calamité pour des nations tout entières".

Taxant le XXe siècle de l'un des pires de l'Histoire, le diplomate ghanéen a été récompensé cette année pour avoir insufflé "une nouvelle vie" à l'organisation mondiale dans son combat pour les droits de l'Homme, et contre le sida et le terrorisme.

Selon lui, la mission de l'Onu au XXIe siècle sera définie par une nouvelle conscience accrue et plus aiguë de la dignité de l'espèce humaine, quelle que soit la race, la religion, le genre ou les circonstances entourant la naissance.

Il a présenté sa vision d'un monde capable d'éliminer la pauvreté chez les plus démunis, de prévenir les conflits et de promouvoir la démocratie et les droits de l'Homme.

L'orateur a donné l'exemple d'une petite fille venant de voir le jour dans l'Afghanistan d'aujourd'hui débarrassé du régime obscurantiste des taliban. Cette fillette, a-t-il dit, sera chérie par sa mère comme toute mère le fait dans le monde mais naître fille aujourd'hui dans ce pays dévasté par près d'un quart de siècle de guerres signifie entamer une vie placée sous le signe de la pauvreté.

"Une humanité indivisible"

"Nous devons concentrer nos efforts, comme jamais auparavant, sur l'amélioration des conditions de vie des individus, hommes et femmes, qui donnent à chaque Etat ou nation sa richesse et son caractère.

"Nous devons commencer avec cette petite fille d'Afghanistan, en reconnaissant que sauver une seule vie, c'est sauver l'humanité tout entière".

Au même moment, devant le bâtiment, quelques manifestants sous une banderole clamant "Annan, arrête la guerre", réclamaient la fin des opérations militaires américaines en Afghanistan.

Faisant allusion aux attentats de New York et de Washington, Annan a ajouté:

"Nous sommes entrés dans le troisième millénaire par une barrière de feu. Si aujourd'hui, après l'horreur du 11 septembre, nous réussissons à voir mieux et plus loin, alors nous comprendrons que l'humanité est indivisible" et "nous lie aussi bien dans le malheur que dans la prospérité.

Annan a également rappelé à son auditoire que si son organisation est née sur les cendres de la Seconde Guerre mondiale, l'horreur n'a pas disparu pour autant avec, notamment, le génocide du printemps 1994 au Rwanda et la guerre civile de Bosnie.

"Un génocide commence avec l'assassinat d'un seul homme, non pas en raison de ce qu'il a fait, mais en raison de ce qu'il est".

Citant le Coran, Confucius, le Talmud et les Evangiles, le lauréat du Nobel de la paix 2001 s'est évertué à plaider pour la tolérance.

"L'idée voulant qu'un peuple détiendrait la seule vérité, l'unique réponse aux maux de la planète ou la solution aux besoins de l'humanité a provoqué des malheurs incalculables à travers toute l'Histoire, tout particulièrement le siècle dernier.

"Aujourd'hui, les véritables frontières ne divisent pas les nations entre elles, mais les puissants et ceux qui sont désarmés, ceux qui sont libres et ceux qui sont enchaînés, les privilégiés et les humiliés.

"Aujourd'hui, aucun mur ne peut séparer les crises humanitaires ou les atteintes aux droits de l'Homme d'une région du monde d'une autre. C'est dans cet esprit que j'accepte avec humilité le prix Nobel de la paix du Centenaire", a conclu le secrétaire général des Nations unies.

Interrogé ensuite par la chaîne américaine CNN, le secrétaire général a réitéré son opposition à l'extension de la campagne anti-terroriste en direction de l'Irak, jugeant cette idée "imprudente" pour la stabilité du Proche-Orient.

"Chacun comprend aujourd'hui que certains problèmes ne peuvent être résolus par un pays seul, aussi puissant soit-il", a-t-il ajouté.

Reuters, NATIONS UNIES, lundi 10 décembre 2001, 13h22) - Kofi Annan, lauréat du prix Nobel de la paix 2001, est un homme qui a gagné le respect des diplomates du monde entier en parvenant à "déminer" plusieurs conflits épineux avec un mélange inédit de douceur, de charme et de franc-parler.

Elégant, courtois et posé, le diplomate ghanéen de 63 ans, est un homme du sérail onusien, dont il gravi tous les échelons avant d'être, par la volonté de Washington, porté en 1997 à la tête de l'organisation mondiale, où il entame sans opposition en décembre un second mandat.

Il a su depuis quatre ans montrer qu'il n'était pas la marionnette des Etats-Unis et a fait preuve d'une habileté, d'une opiniâtreté, d'une intégrité et d'une indépendance d'esprit et de parole qui en ont fait aujourd'hui le lauréat consensuel et presque naturel du prix Nobel de la paix.

Conformément au souhait des pays membres, il a su redonner un seconde souffle à la cinquantenaire maison de verre de Manhattan, créditée d'avoir avancé sous son règne vers "un monde plus pacifique et mieux organisé".

Interlocuteur accepté aussi bien par les Chinois que les Américains, les musulmans que les occidentaux, les Arabes que le Israéliens, le Nord que le Sud, il a grandement contribué durant son premier mandat à remettre les Nations unies au coeur du règlement des conflits.

De la lutte contre le terrorisme à celle contre le sida au niveau mondial, d'une meilleure organisation des relations internationales à la recherche constante de la résolution des conflits et du respect des droits de l'homme, Annan à su rendre l'Onu présente sur tous le fronts.

A la frontière israélo-libanaise, en 2000, comme dans l'escalade américano-irakienne en 1998, il a donné de sa personne pour désamorcer des bombes, mais il est tout aussi incontestable que le "sorcier ghanéen" n'a pu faire des miracles au Timor oriental en 1999 ou en Sierra Leone l'année suivante.

Un anglophone à accent français!

Du moins a-t-il redonné aux Nations unies, qui en avaient bien besoin, une nouvelle autorité morale grâce à sa ténacité, ses talents de négociateur et son charisme, sans compter sa connaissance parfaite des rouages de l'organisation, dont il avait dirigé successivement divers départements.

Du personnel à la sécurité, en passant par les réfugiés, le budget et le maintien de la paix, peu de rouages de l'Onu ont manqué à la carrière de celui qui aurait pu n'être qu'un apparatchik s'il ne possédait pas l'étoffe d'un homme d'Etat dégageant une autorité naturelle.

Même sa capacité à traverser indemne de véritables champs de mines comme les opérations bancales ou catastrophiques de l'Onu en Bosnie, en Somalie et au Rwanda - Kigali est une de rares capitales à critiquer son prix Nobel - sont à mettre au crédit de ce diplomate qui analyse les échecs "sans jamais à se réfugier derrière un argument spécieux".

Membre d'une famille de négociants de l'ethnie Fante (son père était chef coutumier), il est d'une famille de cinq enfants, dont un frère jumeau. D'abord marié à une Nigériane dont il a eu un fils et une fille, il est remarié à une avocate et artiste suédoise, nièce du diplomate Raoul Wallenberg qui s'est illustré en sauvant des milliers de Juifs en Hongrie durant la Seconde Guerre mondiale.

Annan est diplômé d'économie du Macalester College de St Paul du Missouri et a suivi les cours de l'Institut des hautes études internationales de Genève, où il a rejoint l'Organisation mondiale de la santé. Il décrochera ultérieurement une maîtrise de gestion au Massachusetts Institute of Technology.

Calme, voire imperturbable, il est aussi capable d'humour vache. Lors de la course à la succession de l'Egyptien Boutros Boutros-Ghali, où la France s'opposait à sa candidature au motif qu'elle voulait un vrai francophone à la tête de l'Onu, il avait ridiculisé l'argument en exhibant un "anglais avec accent français".

Son seul véritable point noir sur son parcours sans faute est le Rwanda. A l'époque du génocide anti-tutsi du printemps 1994, il était secrétaire général de l'Onu chargé des opérations de maintien de la paix.

Certains reprochent à l'organisation mondiale de ne pas avoir réagi à temps aux massacres en cours malgré les mises en garde adressées à New York par le général canadien Roméo Dallaire, chef des "casques bleus" à Kigali.

Annan a diligenté depuis plusieurs rapports internes sur les dysfonctionnements au sein de l'organisation concernant le Rwanda et la Bosnie, et il a présenté par la suite des excuses au nom des Nations unies.

Le secrétaire général de l'Onu Kofi Annan reçoit aujourd'hui le Prix Nobel de la paix 2001 même s'il juge "presque indécent" de se voir attribuer un tel prix en pleine guerre d'Afghanistan ou de conflit au Proche-Orient.

Annan recevra le prix du centenaire aux côtés du ministre sud-coréen des Affaires étrangères Han Seung-soo, président de l'Assemblée générale des Nations unies, lors d'une cérémonie débutant à 13h00 (12h00 GMT) à la mairie d'Oslo.

Annan et les Nations unies en tant qu'institution se partagent le prix fondé par Alfred Nobel en 1901 pour leurs efforts en vue d'établir "un monde mieux organisé et plus pacifique".

La distinction comprend une médaille, un diplôme et un chèque de dix millions de couronnes suédoises (953.500 dollars).

De nombreux anciens lauréats assisteront à la cérémonie.

Annan a toutefois estimé dimanche lors d'une conférence de presse qu'il lui semblait "presque indécent d'accepter un prix pour la paix quand la paix et la sécurité sont toujours déniées par tant de gens dans différentes parties du monde".

Le diplomate ghanéen a d'ailleurs exhorté Washington à ne pas étendre le conflit contre le terrorisme à l'Irak après la défaite des taliban en Afghanistan où, a-t-il jugé, le monde doit s'atteler à dix années au moins de reconstruction.

Il a également estimé que le président palestinien Yasser Arafat et le Premier ministre israélien Ariel Sharon avaient besoin d'une aide internationale pour reprendre le chemin des négociations au Proche-Orient.

Arafat partage avec l'ancien Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et l'actuel ministre des Affaires étrangères Shimon Peres le prix Nobel de la paix 1994 pour la signature des accords d'Oslo.

D'humeur plutôt pessimiste, Kofi Annan n'a pas moins estimé que l'attribution de son prix avait eu un effet positif. "Cela nous a donné de l'espoir, du courage et nous a incités à aller toujours de l'avant face à ces conflits", a-t-il dit. "On nous a lancé un véritable défi."

Les anciens lauréats du Nobel de la paix publieront lundi une déclaration solennelle appelant à l'élimination des armes de destruction massive, à des contrôles renforcés sur l'armement conventionnel et au respect des droits de l'homme - sociaux, politiques, économiques et culturels.

Par Alister Doyle (Reuters, OSLO) - Lundi, 10 décembre 2001 - 08:21