La coopération franco-africaine : "la France absente des obsèques de Léopold Sédar Senghor"

La presse internationale et les médias africains ont noté l'absente quasi totale de la France aux côtés aux côtés du Sénégal lors des obsèques de celui qui fut ministre français, le prisonnier de guerre, le grammairien de la constitution française, l'immortel (académicien français), et de celui qui aida à l'Afrique indépendante du général De Gaulle de 1958 à 1960. Les africains s'interrogent et se posent la question des échanges Nord-Sud, de la coopération et de la monnaie : y aura-t-il une autre dévaluation?


Des absences perçues comme une deuxième dévaluation de l'Afrique francophone (AFP, Dakar, 30 déc. 2001 - 13h14) -
"Peut-être n'avaient-ils pas le temps...", avançait dimanche un Dakarois, déçu que le président français Jacques Chirac ou le Premier ministre Lionel Jospin ne soient pas venus aux obsèques de Léopold Sédar Senghor, qui fut tout au long de sa vie un ami inconditionnel de la France au risque de s'aliéner le soutien de ses compatriotes.

A l'annonce de la mort de Senghor, le 20 décembre, de nombreux Sénégalais demandaient si M. Chirac "allait venir". "Je ne peux le dire", avait déclaré à la presse l'ambassadeur de France, en ajoutant qu'il pouvait en revanche assurer que la France serait "bien représentée".

Raymond Forni, président de l'Assemblée nationale, Charles Josselin, ministre délégué à la Coopération et à la francophonie, Michel Dupuch, conseiller pour les affaires africaines du président Chirac, Fodé Sylla, député européen, Hélène Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuel de l'Académie française, Hervé Bourges, président de l'Union internationale de la presse francophone, faisaient partie de la "délégation venue de France".

Trois jours avant les obsèques, certains journaux et radios annonçaient encore que M. Jospin allait venir. Ils avaient sans doute mal compris. Jospin, Josselin... les deux noms se ressemblent.

Pensant sans doute jusqu'à la dernière minute que, peut-être, l'Elysée ou Matignon allaient changer d'avis, les journaux sénégalais n'ont pas ouvertement critiqué la France avant les obsèques.

Mais le quotidien français Le Monde a dit tout haut ce que beaucoup à Dakar osaient à peine croire: "des obsèques de Léopold Sédar Senghor, l'histoire retiendra une chose: la France n'y était pas", a écrit le journal.

Pour les Sénégalais, Senghor fut en effet le plus grand ami africain de la France.

La défense de la francité, de la francophonie ou d'un commonwealth à la française avait valu au président-poète les critiques les plus acerbes de ses opposants, qui contestaient jusqu'à son engagement pour la négritude, concept que Senghor avait "inventé" avec le Martiniquais Aimé Césaire.

Senghor, premier africain agrégé de grammaire, membre de l'Académie française, membre éminent de l'Internationale socialiste où il côtoyait François Mitterrand et Pierre Mauroy; Senghor, dernier des grands survivants parmi les "pères de l'indépendance" africaine et pionnier de la démocratisation en Afrique, n'a donc pas été payé en retour.

Le manque de reconnaissance à cet ancien prisonnier de guerre de 1939-45 renvoie à l'image de ces Tirailleurs sénégalais qui, après avoir contribué à la libération de la France, ont dû attendre plus de 40 ans pour avoir le droit de percevoir une pension équivalente à celle de leurs homologues français.

Après la dévaluation en 1994 du franc CFA, monnaie des anciennes colonies françaises garantie par le trésor français, l'absence de hauts dirigeants aux obsèques de Senghor est perçue comme la deuxième dévaluation de l'Afrique francophone.

La présence du président Chirac à un hommage qui sera rendu à Senghor en janvier à l'Académie française n'atténuera sans doute pas ce sentiment. Pas plus que l'immense gerbe de fleurs posée sur la tombe du président-poète, au cimetière catholique de Bel-Air, au nom du "président de la république française et Mme Jacques Chirac".

Quoi qu'il en soit, Senghor, décédé en France où il s'était retiré après avoir abandonné volontairement le pouvoir en décembre 1980, aura reçu dans sa terre natale tous les honneurs, avec des obsèques nationales, solennelles et dignes, conduites par le président sénégalais Abdoulaye Wade, son ancien opposant.


Le Sénégal rend des adieux émouvants à Léopold Sedar Senghor (Le Monde, Paris, 29 déc. 200120h08)
Le "poète-président", décédé le 20 décembre en Normandie, devait être enterré à Dakar, samedi 29 décembre, après un office religieux et l'hommage de la nation

Décédé le 20 décembre en France, où il vivait depuis son départ du pouvoir en 1980, l'ancien président du Sénégal devait être inhumé, samedi après-midi, "dans l'intimité familiale", dans un cimetière dakarois où repose l'un de ses fils, tué accidentellement. Auparavant, lors d'une messe à la cathédrale et d'une "cérémonie républicaine" à la présidence, une demi-douzaine de chefs d'Etat africains lui ont rendu un dernier hommage. Pour leur part, ni le président de la République ni le premier ministre français n'ont fait le voyage de Dakar pour saluer la mémoire d'un chef d'Etat africain, démocrate et homme de culture "immortel". Quant aux habitants de la capitale sénégalaise, ils ont réservé, depuis le transfert de la dépouille, jeudi 26 décembre, des adieux emprunts de grande ferveur populaire au père de leur indépendance.

(Le correspondant à Dakar)

Le Sénégal tout entier s'est retrouvé uni pour célébrer la mémoire de son défunt président. Depuis l'arrivée, jeudi soir 27 décembre, de la dépouille de Léopold Sedar Senghor, Dakar a vécu dans le recueillement, au rythme des hommages rendus au père de la nation. Et ces hommages furent véritablement populaires. Des milliers de Sénégalais se sont inclinés en silence devant le cercueil de leur premier chef d'Etat.

Sur le parvis de l'Assemblée nationale, où a été exposé son corps, ce furent certes les corps constitués et les personnalités officielles, tel l'ancien président Abdou Diouf, qui sont venus d'abord se recueillir. Mais tout au long de la journée de vendredi, une foule, calme et disciplinée, n'a cessé d'envahir les rues bordant la grande bâtisse blanche. Des citoyens, de tous âges, tentaient de voir, pour une dernière fois, le président Senghor.

Arrivés aux portes où le cercueil en chêne reposait sur un catafalque noir, certains ont simplement fait un signe de croix. D'autres se sont penchés au-dessus du cercueil pour apercevoir, au travers d'une ouverture vitrée, le visage du défunt. La procession a été interminable. De jeunes Sénégalais, qui n'ont connu le père de l'indépendance qu'à travers des livres ou les récits de leurs parents, étaient là également. "Je n'étais pas né quand il a quitté le pouvoir, a expliqué l'un d'eux, mais je suis venu avec mes deux frères pour lui rendre un dernier hommage."

Quant aux plus âgés, ils étaient heureux d'évoquer leurs souvenirs. "Nous l'avions vu dans notre école en Casamance, racontaient deux quadragénaires. Il nous avait encouragés à aller plus loin, parce que, pour lui, la culture, c'était essentiel." Et quand arrivent les joueurs de l'équipe nationale de football, auréolés de leur qualification pour la prochaine Coupe du monde, une autre facette du personnage revient à la mémoire. Celle de l'homme qui, fidèle à l'adage mens sana in corpore sano, faisait sa gymnastique tous les matins.

A lire : J'ai honte, par Erik Orsenna

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