Daloa aux mains des insurgés - Des négociations sans progrès, et le gouvernement déçu des occidentaux
Le gouvernement
ivoirien déçu par les Occidentaux
par Matthew Tostevin
ABIDJAN (Reuters), 2002-10-14 16:02- Le porte-parole du président ivoirien Laurent Gbagbo a déclaré que son pays était déçu par l'inaction des pays occidentaux face à l'insurrection des rebelles et leur manque de soutien au gouvernement élu.
Toussaint Alain a même accusé, sans les nommer, un certain nombre de pays de bloquer les efforts de la Côte d'Ivoire pour réunir des armes et rallier le soutien militaire necéssaire pour combattre la rébellion déclenchée le 19 septembre.
"Nous sommes profondément déçus par le silence coupable de la communauté internationale", a-t-il déclaré dans un entretien accordé à Reuters depuis Paris.
"La rébellion est aujourd'hui à Daloa, et si on ne fait rien, demain, ils seront dans une autre ville. Il faut que les pays occidentaux nous aident", a expliqué Alain.
Gbagbo a subi un nouveau revers ce week-end avec la prise, par les rebelles, de Daloa, une ville du Centre-Ouest au coeur de la "ceinture de cacao" et à la limite entre le Nord à majorité musulmane, actuellement aux mains des rebelles, et le Sud à dominante chrétienne et animiste.
"TOUT CELA EST SCANDALEUX"
Si la plupart des responsables des forces rebelles sont, sur le terrain, des déserteurs de l'armée régulière, les insurgés ont coifé dimanche leur Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI) d'un secrétaire-général, en la personne de Guillaume Soro Kigbaforo, un ancien dirigeant étudiant, qui était proche du parti de l'opposant et ancien Premier ministre Alassane Dramé Ouattara.
Ce dernier est réfugié depuis le début de la crise dans la résidence de l'ambassadeur de France à Abidjan.
Mais Alain a, de son côté, affirmé qu'il fallait chercher dans les artisans du coup d'Etat de 1999, évincés par Gbagbo lors des élections de 2000, les véritables responsables de cette rébellion.Le général Robert Gueï, qui avait à la tête du putsch de 1999, a été tué par des troupes loyalistes le 19 septembre, quelques heures après le début du soulèvement.
Alain a montré du doigt "les chefs militaires, les anciens membres de la junte qui sont dans les capitales européennes au vu et au su de tous les services occidentaux".
"Tout cela est scandaleux", a-t-il ajouté.
La France dispose d'un millier de soldats en Côte d'Ivoire, dont elle affirme qu'ils apportent un soutien logistique à Gbagbo, ce que les rebelles lui reprochent. Mais Paris dit refuser d'aider davantage le pouvoir en place et incite le gouvernement à négocier.
GBAGBO REGRETTE L'ATTITUDE DES FRANCAIS
Pour Alain, le fait que les rebelles aient avancé sur Daloa ce week-end alors même qu'un émissaire sénégalais tentait de négocier avec les insurgés montre bien que ces derniers n'ont aucune intention de discuter et ne veulent que renverser le gouvernement élu.
Dans le même temps, des pays étrangers empêchent, selon Alain, le pouvoir légal ivoirien de recevoir les armes nécessaires pour écraser la rébellion.
"On nous empêche. On interdit. On pose une sorte d'embargo sur la Côte d'Ivoire. Nous avons des difficultés pour nous procurer des armes alors que nous sommes en position de légitime défense", a-t-il estimé.
En des termes un peu plus voilés, le président Gbagbo a déclaré dans un entretien au journal Le Monde daté du 15 octobre qu'il avait prévenu les Français que le Burkina Faso voisin accueillait sur son territoire "des soldats en rupture avec l'armée ivoirienne et qu'ils préparaient un mauvais coup".
Gbagbo y regrette que les Français l'aient jugé "trop alarmiste". "Je ne l'étais pas. (...) On n'a pas pris mes avertissements au sérieux", avance le président.
PO (Burkina Faso), 14 oct (AFP) - 14h06 - Des sourires se dessinent et des mains s'agitent aux fenêtres du bus ivoirien qui franchit la frontière entre Ghana et Burkina Faso, parmi une cohorte de camions de marchandises.
A bord, une centaine d'élèves burkinabè partis il y a quatre jours d'Abidjan se savent enfin à bon port. Via le Ghana, ils viennent de contourner par l'est une Côte d'Ivoire en guerre où ils sont désormais pointés du doigt.
Depuis qu'a éclaté la crise ivoirienne il y a un près d'un mois, le poste frontière de Pô (150 km à l'ouest de Ouagadougou) s'est brusquement réveillé de sa torpeur habituelle.
C'est désormais le point de passage obligé de tout ce qui vient du sud côtier de la Côte d'Ivoire, coupée en deux par les militaires insurgés, et veut se rendre au nord vers les pays sahéliens, Burkina, Mali, Niger.
Un millier de Burkinabè, en majorité des élèves, des femmes et des enfants, mais aussi des centaines de Maliens ont transité par Pô, d'après les services d'immigration ghanéens et burkinabè.
Chaque jour, plus d'une centaine de camions chargés surtout de riz et de blé, passent également par ici. Le trafic a triplé, estiment les douaniers.
"Nous avons laissé nos parents dans des conditions critiques. Chaque jour, il y a des maisons qui brûlent", raconte à sa descente du bus Alimane, une Burkinabè de 22 ans qui rentre poursuivre ses études à Ouagadougou.
Au milieu de l'attroupement, un jeune lance: "On est des Abidjanais, on est soulagés de rentrer". Définitivement? "On ne sait pas. Les Français n'ont qu'à construire des usines au Burkina, on va travailler ici".
Aucun ne dit avoir été personnellement victime des exactions reprochées aux forces de l'ordre ivoiriennes.
Selon ces jeunes voyageurs, ils seraient nombreux dans leur cas à vouloir regagner le Burkina pour la rentrée scolaire. Mais beaucoup manquent d'argent.
"Pourquoi nos autorités n'organisent pas de convois comme le gouvernement malien?", demande l'un d'eux.
Sur le millier de Burkinabè qui sont déjà passés par Pô, une trentaine ont spontanément déclaré avoir subi des exactions. La police Burkinabè recense leurs témoignages.
"Depuis quelques jours, ils disent que ça s'est calmé, qu'on leur parle mal mais qu'il y a moins de violences. Peut-être grâce à l'appel au calme lancé par le président ivoirien", rapporte un officer de police.
Nooga Valea, le seul vieux burkinabè à bord du bus raconte qu'avant de partir, il a été contraint de grimper dans un camion militaire ivoirien avec une dizaines de Burkiknabè.
"Ils nous ont déshabillés et ils ont pris notre argent. Ils disent qu'on est venu chercher l'argent en Côte d'Ivoire et qu'après, on met le feu au pays. Alors pas question qu'on reparte avec cet argent", raconte ce blanchisseur d'un hôtel d'Abidjan.
A l'écart, les chauffeurs maliens campent sur des nattes, à l'ombre des camions, pendant que leurs femmes préparent le repas.
"Au Ghana, on a eu aucun problème, pas de racket, rien", raconte l'un d'eux. Leur voyage vers Bamako va durer une semaine, deux jours de plus qu'à partir d'Abidjan.
"Mais si ça dépendait de nous, on passerait toujours par là-bas maintenant, parce que les Ivoiriens nous emmerdent trop", poursuit le routier.
"Quand tu donnes l'argent, ils disent: +Fous le camp! Dégage con! Reste au Mali!+ Ca fait mal, dit-il en désignant du doigt la couleur de sa peau, parce que l'Afrique, ça appartient aux Africains".
ABIDJAN, 14 oct (AFP) - 13h25 - Les médiateurs ouest-africains ont renoué le contact avec le gouvernement ivoirien et les militaires en rébellion et devaient poursuivre lundi les négociations pour obtenir un cessez-le-feu, qui s'annoncent d'autant plus difficiles que les mutins contrôlent désormais trois des quatre grandes villes du pays.
Le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, a rencontré à deux reprises des représentants des mutins à Bouaké pour leur présenter des "propositions" de son chef d'Etat, également président en exercice de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'ouest (CEDEAO).
"On a essayé avec le plan proposé par le président (sénégalais Abdoulaye) Wade de ne pas simplement signer un accord de cessez-le-feu. On est en train de chercher un accord global", a expliqué M. Gadio dimanche.
Selon lui, cet accord doit permettre "une cessation des hostilités et de créer les conditions d'un dialogue direct entre le gouvernement et ceux qui sont à Bouaké".
M. Gadio s'est toutefois refusé à dévoiler le contenu de ces propositions du président sénégalais.
Au cours d'une conférence de presse conjointe avec le ministre, l'adjudant Tuho Fozié, l'un des principaux chefs des mutins de Bouaké, a affirmé: "Nous nous sommes mis d'accord sur un certain nombre de points et nous entendons poursuivre la discussion dans les prochains jours".
"Pour l'instant nous nous arrêtons là pour rendre compte à nos bases", a-t-il ajouté.
Parallèlement, à Abidjan, le secrétaire exécutif de la CEDEAO, Mohamed Ibn Chambas, et un de ses adjoints ont rencontré M. Gbagbo pour relancer les négociations.
Selon une source proche des médiateurs ouest-africains, le chef de l'Etat "a confirmé son désir de négocier" mais se refuse toujours à entamer le dialogue tant que les rebelles, qui contrôlent la moitié nord du pays, n'auront pas déposé les armes.
Le 6 octobre déjà, c'est ainsi que Laurent Gbagbo avait justifié son refus de signer un accord de cessez-le-feu, déjà accepté en principe par les rebelles, infligeant ainsi une déconvenue majeure aux ministres de la CEDEAO.
Malgré les déclarations optimistes des médiateurs, la CEDEAO risque donc d'avoir beaucoup de mal à trouver un compromis entre les exigences des deux parties.
La négociation devient d'autant plus difficile que les mutins ont pris dimanche Daloa, troisième ville du pays et capitale du cacao, dont la Côte d'Ivoire est le premier producteur mondial. Les militaires en rébellion contre le régime ivoirien depuis le 19 septembre contrôlent désormais toute la moitié nord du pays et trois des quatre grandes villes ivoiriennes: Bouaké (centre), Daloa (ouest) et Korhogo (extrême nord).
Interrogé par l'AFP, un médiateur ouest-africain a reconnu que "la prise de Daloa ne nous simplifie pas la tâche", tout en déclarant que les mutins n'en avaient pas profité pour augmenter leurs exigences.
La possible internationalisation de la crise ivoirienne, avec l'arrivée dimanche de blindés angolais à l'aéroport d'Abidjan, brouille encore un peu plus les cartes.
Enfin, les médiateurs de la CEDEAO semblent également devoir trouver un accord au sein même de leur organisation, où des voix discordantes commencent à se faire entendre sur les modalités du cessez-le-feu.
M. Gadio a expliqué être venu à Bouaké pour porter aux mutins "un message spécial" du président Wade après l'échec d'une première médiation par des ministres du groupe de contact créé par la CEDEAO (Niger, Nigeria, Ghana, Togo et Guinée Bissau).
"Il fallait que le Sénégal crée les conditions pour que le groupe de contact de la CEDEAO puisse revenir et continuer son travail", a affirmé le ministre, soulignant qu'il n'y a pas deux médiations mais "une continuité parfaite dans la démarche".
Au même moment à Lomé, le ministre togolais des Affaires étrangères, Koffi Panou, exprimait son inquiétude sur "des démarches isolées par rapport à la décision des chefs d'Etats qui ont mandaté le groupe de contact".