Le président GBAGBO s'avance-t-il vers une négociation avec les mutins ?
Les rebelles ivoiriens refusent de désarmer
Par Silvia Aloisi
BOUAKE, Côte d'Ivoire (Reuters), mercredi 9 octobre 2002, 16h00 - Les rebelles ivoiriens qui contrôlent le nord du pays ont rejeté mercredi l'offre présidentielle de désarmement préalable à des négociations mais ont au contraire consolidé leurs positions dans leur bastion de Bouaké en prévision d'un nouvel assaut gouvernemental.
Après l'échec de la tentative de reprise de Bouaké depuis dimanche par les troupes loyalistes, le président Laurent Gbagbo s'est dit prêt mardi à négocier avec les rebelles du Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI) une fois que ceux-ci auraient déposé les armes.
"Maintenant qu'il n'a pas réussi à reprendre Bouaké, il affirme être prêt à négocier. Il nous fait marcher et je n'ai pas confiance dans ses propos", a déclaré l'adjudant Tuo Fozié, qui se présente comme le chef des insurgés de la deuxième ville du pays après Abidjan.
"Nous n'allons pas déposer les armes avant de négocier", a ajouté le sous-officier rebelle devant des journalistes.
Laurent Gbagbo a rejeté dimanche les propositions de cessez-le-feu formulées par les médiateurs de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) et soutenues par la France, au motif qu'elles revenaient à légitimer les rebelles qui se sont soulevés le 19 septembre et à geler la ligne de front coupant de facto la Côte d'Ivoire en deux.
Le nord musulman du pays est aux mains des rebelles, qui en sont pour la plupart originaires, alors que l'armée contrôle le sud essentiellement chrétien.
GBAGBO S'OPPOSE AUX ACTES XENOPHOBES
Le ministre togolais
des Affaires étrangères, Koffi Panou, qui faisait partie du groupe de médiateurs
ouest-africains, a accueilli avec prudence l'apparente modération adoptée mardi
par le président ivoirien.
"Il semble que nous ne soyons toujours pas sur la même longueur d'ondes (...) On revient toujours à la case départ: pour nous, le dépôt des armes n'est pas un préalable au cessez-le-feu mais il l'accompagne, sous la surveillance d'une structure neutre", a-t-il rappelé.
La rébellion a accru les tensions ethniques en Côte d'Ivoire, dont un quart des 16 millions d'habitants sont d'origine étrangère, certains observateurs craignant qu'elle ne dégénère en conflit régional.
Après avoir dans un premier temps accusé des puissances étrangères, en particulier sans le nommer le Burkina Faso, d'être à l'origine des troubles, Laurent Gbagbo a invité mardi ses concitoyens à ne pas s'en prendre aux étrangers, dont les habitations ont été la cible de nombreuses attaques dans le Sud depuis le début du soulèvement.
La France, qui apporte un soutien logistique à l'armée ivoirienne, a salué mardi la condamnation par Gbagbo des "manifestations xénophobes".
Plus de 300 personnes sont mortes depuis le début de la rébellion.
Côte d'Ivoire : Guy Labertit (PS) très critique envers
le quai d'Orsay
Vincent Riou ( Digipresse) - mercredi 9
octobre 2002, 15h06
Le président ivoirien Laurent
Gbagbo, en refusant de signer dimanche les accords qui auraient pu aboutir à un
cessez-le-feu avec les forces rebelles, s'est mis à dos la communauté
internationale. Son vieil ami de l'Internationale Socialiste, le M. Afrique du
PS Guy Labertit, fustige l'attitude du quai d'Orsay, qui "semble avoir oublié
tous les principes de respect d'un Etat de droit".
Le ministre français des affaires étrangères Dominique de Villepin avait jugé
qu'il était "important que Laurent Gbagbo signe l'accord de cessez-le-feu"
négocié sous les auspices de la Cedeao (Communauté économique des Etats
d'Afrique de l'Ouest) "car il faut sortir de cette crise par le dialogue et la
réconciliation". "Il n'y a pas de solution militaire ; chacun serait bien
inspiré d'en tirer les conséquences", a poursuivi M. de Villepin, qui a aussi
menacé les autorités ivoiriennes : la France pourrait en effet aller jusqu'à
"reconsidérer son aide logistique aux autorités légales".
Le Président ivoirien a expliqué sa position par le fait qu'il ne pouvait
accepter d'être traité sur le même plan que les rebelles du Mouvement
patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI). "Rentrer en négociations avec les
assaillants pour déposer les armes, c'est déjà les reconnaître, les légitimer,
c'est aussi légitimer l'occupation des villes de Côte d'Ivoire", a-t-il déclaré
hier dans un discours radiotélévisé. Ses pairs africains l'ont pourtant exhorté,
mais en vain, à arrêter les hostilités, tentant de le convaincre que cela ne
remettait nullement en cause sa légitimité. Les rebelles du MPCI contrôlent
presque tout le nord du pays alors que le conflit déclenché le 19 septembre a
déjà fait plus de 300 morts. Les divisions ethniques sont aujourd'hui exacerbées
comme jamais dans le pays entre le sud catholique et le nord musulman, et la
terreur règne dans l'ensemble de la région. La logique jusqu'au-boutiste des
autorités légitimes ivoiriennes ne peut donc que faire craindre à la communauté
internationale une dangereuse dérive ethnique.
Le M. Afrique du PS, Guy Labertit, ami de longue date de Laurent Gbagbo, se dit
choqué par la position du quay d'Orsay. Certains dirigeants africains, comme MM.
Wade (Sénégal) et Eyadema (Togo) étaient selon lui d'accord avec M. Gbagbo sur
le fait que les médiateurs de la Cedeao s'étaient "écartés de l'accord d'Accra".
Le président ivoirien a d'ailleurs affirmé hier avoir eu de nouveaux contacts
avec le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, et Abdoulaye Wade, président en
exercice de la CEDEAO.
Pour M. Labertit, le texte d'Accra prévoyait que les mutins "déposent les armes"
préalablement à tout accord de cessez-le-feu, et stipulait que les négociations
politiques ne pourront s'engager "que si la légalité républicaine s'applique".
Pour lui, le cessez le feu tel qu'il était proposé ne pouvait que "déboucher sur
la partition de la Côte d'Ivoire, et était donc inacceptable". Le socialiste
déplore que M. de Villepin ait eu "une mauvaise compréhension de l'accord
d'Accra". Il s'inquiète par ailleurs qu'un ministre français des Affaires
Etrangères "dicte à un président ivoirien ce qu'il doit faire" et s'indigne de
cette "conception du droit international. Les principes rigoureux de respect dû
à un Etat de droit sont ici bafoués : on ne peut pas placer sur un pied
d'égalité un président élu démocratiquement et des rebelles dont le but est de
le renverser". Les ivoiriens loyalistes ne comprennent évidemment pas non plus
l'attitude française, puisque des slogans hostiles à la France ont été repris
par la foule lors d'une manifestation rassemblant 2 000 personnes lundi à
Yamoussoukro. "Est-ce que la France a demandé aux Américains de négocier avec
Ben Laden?"; "Non!", répondait la foule (info Reuters).
Par ailleurs, M. Labertit, dans l'interview qu'il nous a accordé, s'est étonné
du courant de sympathie médiatique dont font l'objet les mutins : "On parle de
manifestations de soutien aux rebelles de 200 000 ou 300 000 personnes : je
crois que les observateurs sont victimes de fantasmes" a-t-il déclaré, en
estimant par contre que "les nombreuses manifestations populaires de soutien aux
autorités légitimes ne sont pas convenablement relayées". Il s'est cependant
montré confiant sur l'issue du conflit : "Gbagbo est l'homme de la situation en
Côte d'Ivoire. Les rebelles ne le renverseront pas. Il a montré, depuis qu'il
est au pouvoir, sa volonté de rassembler". M. Labertit en veut pour preuves les
élections municipales et départementales, auxquelles tous les partis ont
participé : "des membres du RDR ont des postes importants dans le Gouvernement
d'Union Nationale, et un certificat de nationalité ivoirienne a été délivré à M.
Ouattara". "Cette tentative de coup d'Etat, qui arrive dans un contexte
d'avancées démocratiques, ne peut être perçu que comme la volonté de détruire un
processus qui avance" a déploré M. Labertit. Ce dernier a insisté sur la bonne
gestion de M. Gbagbo, qui a permis à la Côte d'Ivoire de reprendre les
négociations avec les institutions financières internationales, et sur la
courageuse réforme de l'Etat qu'il a commencé à entreprendre, à travers
notamment la décentralisation.
Dans ses "Billets d'Afrique et d'ailleurs..." d'octobre, l'association Survie
insiste sur le fait que "les trois successeurs d'Houphouët (Bédié, Guei, Gbagbo)
avaient utilisé le clivage Nord-Sud et l'islamophobie, la focalisant sur l'ex-
Premier ministre Alassane Ouattara. "L'Elysée risque d'être débordé, estime
l'association. La Françafrique s'était complue au jeu des quatre coins de la
politique ivoirienne (Bédié, Guei, Gbagbo, Ouattara), avec un bout de réseau
derrière chaque ambitieux, et plein de coups tordus. Un moment de lucidité avait
conduit la France à favoriser une réconciliation spectaculaire entre les quatre
leaders. Mais passion et intérêts ont rompu la trêve".
Pierre Janin (notre vidéo), chercheur à l'IRD, a longtemps séjourné à Bouaké, la
deuxième ville du pays, où les combats ont repris dimanche. "Une ville très
représentative de la physionomie ethnique de l'ensemble du pays" indique-t-il.
Dans un article d'octobre 2000 paru dans le Monde Diplomatique, et intitulé
"Peut-on encore être étranger à Abidjan ?", il revenait sur le concept d'ivoirité
et expliquait combien il était difficile d'être non-ivoirien en Côte d'Ivoire.
Et il concluait : "La difficulté d'être étranger en Côte-d'Ivoire s'explique, en
outre, par le sentiment diffus de suspicion sécuritaire. Certaines plumes ont
mis en rapport la saturation démographique et le risque d'insécurité. D'autres,
dont le général Robert Gueï, ont mis en avant un hypothétique complot islamique
nordiste visant à affaiblir la cohésion nationale...". Le général putschiste de
Noël 1999 est mort, assassiné le 20 septembre dernier, alors qu'on lui avait
attribué la paternité de la mutinerie... Mais la thèse du complot, avancée aussi
dés le début des événements, est plus que jamais d'actualité.
Laurent Gbagbo a déclaré hier dans son discours que "tout Etat africain doit
veiller à ce que, sur son territoire, il n'y ait pas de camp d'entraînement pour
attaquer un pays voisin". Les autorités ivoiriennes affirment en effet être
victimes d'une "attaque terroriste" venue de l'extérieur et des médias proches
du pouvoir ont à plusieurs reprises accusé le Burkina Faso voisin de soutenir
les militaires qui combattent le régime. Le gouvernement burkinabè n'avait pas
hésité à dénoncer lundi les exactions dont sont victimes ses ressortissants en
Côte d'Ivoire et surtout, à fustiger "la barbarie des forces ivoiriennes et de
groupes civils instrumentalisés". Guy Labertit, lui, parle de "complicité
passive" du Burkina Faso. Selon lui, les mutins qui prétendaient avoir au début
du conflit des revendications matérielles disposaient pourtant d'"une certaine
aisance financière". "D'où venait cet argent ? Pourquoi certaines armes
utilisées ne sont pas celles de l'armée Fanci ?" s'interroge-t-il. En dehors des
soldats démobilisés par l'armée ivoirienne parce qu'ils "étaient des hommes de
Guei", et des déserteurs, M. Labertit affirme que l'on a identifié parmi les
rebelles "des mercenaires libériens et sierra-léonais, en tout cas anglophones".
"La défense de la démocratie ivoirienne et de ses institutions est en jeu, aussi
imparfaites soient elles.." a déclaré lundi le porte-parole du président
ivoirien Toussaint Alain. L'imperfection de ce système démocratique est
justement la raison avancée par les partisans des rebelles, principalement des
musulmans immigrés, qui ne supportent plus leur "statut de citoyen de seconde
zone" : "Tout ce que nous voulons c'est la justice et l'égalité pour tous les
Ivoiriens (...) Nous voulons donner le droit à tous les citoyens et à tous les
partis politiques de se présenter aux élections", avait confié le lieutenant
Elinder (son nom de guerre), commandant des opérations militaires des rebelles,
à notre confrère Libération. Depuis dimanche, et contrairement à ce qui avait
été déclaré hier par les autorités, qui avaient annoncé que la ville avait été
reprise, Bouaké est toujours le théâtre d'affrontements entre l'armée loyaliste
et les forces rebelles. Et tant que les mutins ne rendront pas les armes,
Abidjan refusera toute négociation. "Je souhaite que les Ivoiriens ne se
trompent pas de combat (...) Ne vous attaquez pas aux étrangers, ne vous
dispersez pas", a lancé M. Gbagbo à ses sympathisans. Mais dimanche soir, la
télévision officielle ivoirienne appelait à l'expulsion d'un demi-million de
Burkinabés dans leur pays d'origine...
Vincent Riou ©Digipresse 2002
Jean Paul II appelle à la fin des combats en Côte d'Ivoire
CITE DU VATICAN (AP), mercredi 9 octobre 2002, 12h55 - Le pape Jean Paul II, qui se dit angoissé par les combats en Côte d'Ivoire, a appelé mercredi la communauté internationale à aider ce pays d'Afrique de l'Ouest à retrouver la paix.
Le souverain pontife a invité les 10.000 pélerins venus assister à son audience générale sur la place Saint-Pierre de Rome à prier avec lui pour la réconciliation et le dialogue entre Ivoiriens.
Les forces du gouvernement ivoirien tentent actuellement de reprendre les villes contrôlées par les mutins qui avaient mené un coup de force le 19 septembre dernier, alors que le président Laurent Gbagbo se trouvait en visite en Italie.
M. Gbagbo, qui est catholique, avait alors dû annuler son audience avec le pape pour regagner son pays.
Dans sa déclaration, Jean Paul II a évoqué les "inquiétantes nouvelles de Côte d'Ivoire", provenant d'un continent "déjà durement frappé par les calamités et les conflits".
Attaques terroristes contre la Côte d’Ivoire
Ivoiriens, Ivoiriennes,
Chers compatriotes,
Depuis les 18 et 19 septembre 2002, une armée sans visage nous a imposé une
guerre. Les régions de Bouaké et de Korhogo ont été envahies. La Ville d’Abidjan
a été investie. Le camp de gendarmerie d’Agban, l’Ecole de gendarmerie, le
domicile du commandant supérieur de la gendarmerie ont été attaqués. La BAE
(Brigade anti-émeute) a été attaquée. Les domiciles des ministres de l’Intérieur
et de la Défense ont été attaqués. Et le ministre de l’intérieur, Emile Boga
Doudou, a été froidement abattu… Le même jour et la même nuit, nos forces armées
ont libéré Abidjan. Hier, 7 octobre 2002, nos troupes sont entrées dans la ville
de Bouaké. Bien entendu, cette ville n’est pas totalement sous le contrôle de
nos troupes. Quelques quartiers abritent encore des ennemis que nous n’avons pas
encore réussi à déloger.
Mais, en ce moment précis de notre histoire, je voudrais rendre l’hommage de la
Nation à nos Forces armées nationales, à nos Forces de gendarmerie, à nos Forces
de police qui, malgré la situation injuste qui leur a été imposée, malgré les
attaques injustes, ont libéré la plus grande agglomération de Côte d’Ivoire,
Abidjan, et qui sont en train de libérer la deuxième ville, Bouaké. Honneur aux
Forces armées,
Honneur à la population ivoirienne,
Honneur aux jeunes,
Honneur aux femmes.
Je voudrais aussi saluer la mémoire de toux ceux qui sont morts dans ce combat
injuste : les hommes politiques, les officiers, les soldats. Je voudrais saluer
la douleur et la peine de ceux qui sont blessés. Je voudrais saluer la tristesse
de leurs familles.
Chers compatriotes, un problème est aujourd’hui à l’ordre du jour dans ce
conflit, dans cette guerre sale : la médiation de la CEDEAO. Oui, je suis pour
le dialogue !
Comment pouvons-nous penser que celui qui, dès 1987, a lancé l’appel de la voie
pacifique à la démocratie peut être contre les discussions ?
Comment peut-on penser que celui qui, en 1990, a choisi de façon délibérée
d’aller aux élections pour montrer la voie, tourne le dos au débat, à la
discussion ?
Comment peut-on penser que celui qui a lancé la formule “Asseyons-nous et
discutons” tourne le dos à la voie de la discussion ?
Comment peut-on penser que celui qui a organisé, sans que rien ne l’y
contraigne, le Forum pour la réconciliation qui a duré trois mois et qui a donné
la parole à tous ceux qui voulaient la prendre refuse d’emprunter le chemin de
la discussion ?
Je suis pour la discussion, je ne suis pas pour la guerre. Cette guerre, nous la
faisons parce qu’on nous l’impose. Je suis pour la paix par le débat, par la
discussion.
Quand le président Abdoulaye Wade, président en exercice de la CEDEAO, nous a
fait la proposition d’un sommet extraordinaire sur la situation en Côte
d’Ivoire, j’ai immédiatement accepté. J’ai seulement souhaité que cette réunion
se tienne à Accra, à 40 mn d’Abidjan, au lieu de se tenir à Dakar, à 3 heures de
vol d’Abidjan, pour des raisons évidentes. Dans la période de ce combat, moins
je suis absent de Côte d’Ivoire, mieux ça vaut. Plus je suis présent en Côte
d’Ivoire, au milieu du peuple, au milieu des soldats, mieux cela vaut…
Je me réjouis de la tenue du sommet d’Accra et cela, pour plusieurs raisons.
- Sur quinze chefs d’Etat de la CEDEAO, onze étaient présents. Ce qui montre
l’intérêt que les Etats de la région accordent à la paix et à la stabilité de la
Côte d’Ivoire.
- A Accra, nous avons reçu le soutien unanime des chefs d’Etat de la CEDEAO.
Tous ont soutenu la Côte d’Ivoire dans son combat juste et ont reconnu que le
gouvernement de Côte d’Ivoire était le seul gouvernement légal, légitime et
constitutionnel. Et que, par conséquent, il fallait tout mettre en œuvre pour le
soutenir.
- Le sommet d’Accra a été aussi l’occasion pour le chefs d’Etat de la CEDEAO de
condamner de façon unanime et massive l’agression dont notre pays fait l’objet
et de condamner les agresseurs pour lesquels ils n’ont pas eu assez de mots
durs.
Le sommet a adopté vingt résolutions rassemblées dans un communiqué final. Ce
communiqué final, en ses résolutions 8 et 9, indique clairement que la CEDEAO
doit prendre contact avec les assaillants et leur demander de déposer les armes.
Une fois les armes déposées, la CEDEAO invite le gouvernement de Côte d’Ivoire à
engager la discussion avec les assaillants déjà désarmés. C’est ce que nous
avons décidé à Accra et c’est ce que le gouvernement de Côte d’Ivoire a accepté.
C’est ce que notre président a accepté.
Je pense que la première mission de la CEDEAO effectuée à Abidjan s’est un peu
écartée de ce schéma. C’est pourquoi il y a eu le malentendu. C’est pourquoi,
après le départ de la mission, j’ai appelé tous mes pairs de la CEDEAO, ainsi
que le Secrétaire général de l’ONU qui, d’ailleurs, nous a délégué un
porte-parole qui est encore avec nous, pour leur dire que je ne peux pas entrer
en négociation avec les assaillants avant qu’ils n’aient déposé les armes (…)
Entrer en négociation avec les assaillants pour leur demander de déposer les
armes, c’est déjà les reconnaître et les légitimer. C’est aussi légitimer
l’occupation des villes de Côte d’Ivoire. Pour contourner cette difficulté, nous
sommes tombés d’accord qu’il fallait que la CEDEAO elle-même, par
l’intermédiaire de son groupe de contact, discute, négocie avec les assaillants
et obtienne d’eux qu’ils déposent les armes. A partir de là, tout était
possible. A partir de là, tout est possible.
Au moment où je vous parle, mes chers compatriotes, je viens encore de parler
avec le Secrétaire général des Nations unies. Je viens encore de parler avec le
président Abdoulaye Wade qui a compris la position de la Côte d’Ivoire. Si la
Côte d’Ivoire faiblit et donne une légitimité quelconque aux assaillants, ce
sera fini pour la légitimité de tous les pouvoirs africains. Il suffira alors
que n’importe quelle bande se donne quelques armes et elle fera plier n’importe
quel gouvernement africain.
Souvenez-vous, nos Etats sont fragiles. Nous n’avons pas le droit de les
fragiliser encore plus. Souvenez-vous, nous avons des Etats, nous n’avons pas
encore des nations totalement construites. Nous n’avons pas le droit de donner à
toutes les bandes des occasions de se signaler et de se légitimer sur le dos de
la loi…
Propos recueillis par César Etou, Notre Voie (Côte d'Ivoire), 09 octobre 2002
Des Refugies Fuient Bouake, Toujours Aux Mains Des Rebelles
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Côte-d'ivoire: Bouaké entre
deux guerres
Les mutins
contrôlent encore la ville; reprise, selon Abidjan.
Par Virginie
GOME,
Bouaké envoyée spéciale -
mercredi 09 octobre 2002
Les mutins ont confirmé la prise de Vavoua, une ville située beaucoup plus à l'ouest, et demandé à la France de respecter une stricte neutralité.
Passant devant l'école baptiste où sont positionnées les troupes françaises, une colonne d'une quinzaine de véhicules des Forces armées nationales de Côte-d'Ivoire (Fanci) est entrée dans Bouaké par l'est, dimanche soir. Début de la grande offensive, a-t-on pensé, retenant son souffle. Mais après quelques tirs, les soldats gouvernementaux sont ressortis de la ville dans la nuit par le même chemin. Stratégie de dissuasion ou mission de reconnaissance ? Le lendemain, l'attaque a d'abord été lancée à l'ouest. Des pick-up de rebelles circulaient en tous sens sur la grande artère bordée de lampadaires menant vers Sakassou, une localité du sud-ouest, enjeu d'affrontements entre les parties. Certains criaient : «Partez, les Fanci arrivent, on va chercher du renfort», et quittaient à vive allure le théâtre des combats. D'autres débarquaient en sens inverse, et se massaient à l'entrée de la ville. Des mouvements désordonnés révélateurs des «petits problèmes de communication» entre mutins. Quelques blessés étaient transportés à la hâte à l'hôpital, certains, atteints par des éclats d'obus, hurlaient de douleur, écorchés vifs. La morphine manque à l'hôpital. Finalement, le front de l'ouest s'est apaisé, les mutins, toujours positionnés sur l'axe, ont crié leur opposition à la présence française. «Des Blancs combattent avec les gouvernementaux», vociférait l'un d'entre eux, hors de lui. Dans ce climat de tension extrême, un présumé pilleur, transportant un ventilateur, a été exécuté à bout portant.
Feu d'artifice morbide. Puis les Fanci sont entrées de nouveau par l'est et les affrontements ont repris lundi après-midi. En se canardant, les combattants ont progressé jusqu'au centre-ville, qui a résonné des détonations de mitrailleuses lourdes, de mortiers, de canon de 20 mm, accompagnés de tirs nourris de Kalachnikov. Feu d'artifice morbide, au crépuscule, des échanges d'obus et de balles traçantes ont traversé le ciel. Les forces loyalistes ont fait une incursion dans les quartiers centraux à bord de blindés. A Abidjan, les médias nationaux et le ministre de la Défense, Moïse Lida Kouassi, en ont profité pour annoncer la prise de Bouaké. Dans le même temps, des témoins affirmaient que des véhicules des Fanci avaient quitté la ville, toujours par l'est.
Contre-attaque. Finalement quand le silence est revenu, personne ne savait qui contrôlait Bouaké. Dans certains quartiers, n'apercevant à l'horizon aucun uniforme, ni mutin ni gouvernemental, les habitants ont tenté une sortie. Quelques heures plus tard, les rebelles ont refait leur apparition, annonçant qu'ils avaient repoussé complètement l'offensive gouvernementale et capturé trois véhicules. Les sous-officiers, qui organisent l'opération militaire sur le terrain, ont été vus vivants et déterminés à attaquer à leur tour. Ils ont également confirmé la prise de Vavoua, une ville située beaucoup plus à l'ouest, et demandé à la France de respecter une stricte neutralité.
Mardi, Bouaké s'est réveillé après une nuit calme aux cris de «ils sont revenus par l'est». Au loin, des rafales sporadiques d'armes lourdes et légères ont retenti. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, chacun s'est attendu à une intensification des combats, jusqu'à ce qu'on apprenne le repositionnement des Fanci en dehors de la ville, toujours au même endroit. Les mutins patrouillent et «contrôlent la situation».
Profonde division. L'ambiance, tendue à cause des combats, passés et à venir, devient délétère. Trois corps carbonisés, non identifiables, ont été retrouvés en ville ce matin, leurs blessures laissent supposer qu'ils ont subi le supplice du «collier», un pneu enflammé passé autour de la taille du supplicié. Des civils se promènent armés de gourdins et de machettes. Une femme mal en point, le pied horriblement blessé, dit avoir été prise à partie. Des dizaines de milliers de gens ont défilé pour soutenir les mutins et protester contre la présence française, mais d'autres restent chez eux. Indifférents et lassés de tout, ils veulent juste que les banques rouvrent pour aller retirer leur salaire du mois. Ceux qui se sentent plus proches du gouvernement restent aussi cloîtrés. Cette division de plus en plus profonde de la population est l'une des inconnues les plus inquiétantes de la crise ivoirienne.