Le gouvernement ivoirien
entre dans une logique de guerre
par Jacques LHUILLERY - AFP, 7 octobre 2002, 00h50
En refusant brutalement dimanche de signer tout accord de
cessez-le-feu avec les forces rebelles, qui contestent son pouvoir depuis
bientôt trois semaines, le président ivoirien Laurent Gbagbo est entré dans une
logique de guerre.
Contre toute attente, et surtout contre les avis de tous ses pairs africains qui
l'ont exhorté à maintes reprises à stopper les hostilités, tentant de le
convaincre que cela ne remettait nullement en cause sa légitimité, le président
ivoirien a choisi de résoudre la crise par la force.
Au terme d'une semaine de médiation patiente et obstinée tentée par la
Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), Laurent Gbagbo
a refusé toute discussion avec les rebelles, qui tiennent pratiquement la moitié
du pays. Les médiateurs ont décidé de plier bagages sans plus attendre, allant
jusqu'à refuser une invitation à dîner du chef de l'Etat.
"La réunion s'est très mal passée. On nous a fait tourner en bourriques depuis
des jours", pestait dimanche soir un ministre des Affaires étrangères du "groupe
de contact" de la CEDEAO.
"Il n'y a pas eu le moindre signe de bonne volonté" des autorités ivoiriennes, a
poursuivi le même ministre furieux.
Lors de la rencontre avec les chefs de la diplomatie des pays chargés de la
médiation par le sommet d'Accra, le 29 septembre dernier, le président Gbagbo a
affirmé que les négociateurs s'étaient "écartés de l'accord d'Accra".
"C'est totalement faux, c'est un mensonge", a martelé un ministre du "groupe de
contact" en sortant de la présidence.
Selon ce ministre, il a bien été clairement question d'un cessez-le-feu lors du
sommet d'Accra, en marge de la session plénière.
Le sentiment de s'être faits rouler par les plus hautes autorités ivoiriennes
était manifeste dimanche soir dans la mission de médiation. La veille ils
avaient "poireauté" pendant pratiquement une journée entière à Yamoussoukro, la
capitale administrative du pays, dans l'attente d'un document promis par les
autorités pour permettre à un colonel ivoirien de signer au nom du gouvernement
un accord de cessez-le-feu.
"Nous sommes venus avec les meilleures intentions. Pour revenir nous devrons
être invités", a laissé tomber le ministre ghanéen de la Défense, Kwame Ado
Kufuor, le propre frère du président ghanéen, en quittant son hôtel d'Abidjan
avec ses valises.
Maintenant, "c'est le problème de la Côte d'Ivoire", a-t-il laché en guise d'au
revoir.
Un conseiller de la présidence ivoirienne a toutefois affirmé dimanche soir à
l'AFP que M. Gbagbo était "toujours disposé au dialogue et n'était pas opposé au
principe d'une cessation des hostilités" pourvu que les rebelles déposent les
armes. "Les médiateurs (de la CEDEAO) doivent savoir que la légitimité est du
côté de Laurent Gbagbo", a ajouté ce conseiller.
Sur le plan purement intérieur, certains hommes politiques se sont inquiétés
dimanche de cette logique jusqu'au-boutiste. "Nous sommes dans une dangereuse
dérive ethnique", estimait dimanche soir un politicien de premier plan sous
couvert d'anonymat.
Le quotidien le plus proche du PDCI, l'ancien parti unique du temps du président
Félix Houphouët Boigny, le Nouveau Réveil s'inquiète lui aussi en "une" depuis
deux jours du scénario catastrophe qui s'annonce en titrant "Sauver la patrie ou
sauver Gbagbo?". Le même quotidien dénonçait samedi la nomination au poste de
ministre de la Sécurité d'un homme originaire du même village que le président
Gbagbo.
Dimanche soir la télévision officielle ivoirienne n'a pas fait dans la dentelle
et a pris des airs de "radio Mille collines" à la rwandaise en appelant à
expulser un demi-million de Burkinabés.
"Selon les chiffres du recensement général de la population et de l'habitation
de Côte d'Ivoire réalisé en 1998, les Burkinabè représentent 50% de la
population étrangère vivant en Côte d'Ivoire, avec un nombre de 2.338.540
individus", a insisté le journaliste.
"Pourquoi la Côte d'Ivoire, qui est en temps de guerre, ne mettrait pas dehors
ceux qui sont principalement à la base de nos malheurs?", s'est-il interrogé.
"Il suffirait tout simplement d'expulser vers le Faso (le Burkina Faso voisin)
ne serait-ce que 500.000 Burkinabè pour que le chef du pays des hommes intègres
(le président Blaise Compaoré, ndlr), chef actuel de la guerre contre la Côte
d'Ivoire, et ses suppôts, comprennent bien le rôle de la Côte d'Ivoire" en
Afrique de l'ouest, a estimé la RTI.
Echec des négociations en Côte d'Ivoire,
selon un médiateur
Le ministre togolais des Affaires étrangères Koffi Panou a déclaré aux journalistes après un entretien avec le président ivoirien Laurent Gbagbo que le gouvernement ivoirien ne voulait pas être traité sur le même plan que les rebelles, qui détiennent à présent la majeure partie du nord du pays.
"La signature n'aura pas lieu", a déclaré Panou. "Nous allons rentrer chez nous et rendre compte à nos chefs d'Etat."
Les médiateurs désignés par la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest ont échoué à faire aboutir un cessez-le-feu qui devait initialement être conclu samedi. Les rebelles avaient accepté de le signer et de mettre fin à une insurrection qui dure depuis 18 jours, et qui a fait plusieurs centaines de morts.
Convaincus que des éléments des Forces armées nationales de Côte d'Ivoire (FANCI) se sont infiltrés dans Bouaké, les mutins ont lancé une opération de "ratissage". Des combats ont éclaté au "camp commando" de Bouaké ainsi qu'à la sortie sud de la ville, sur la route menant à Tiébissou, a-t-on constaté.
"Il n'est pas normal que nous soyons sur la défensive alors que c'est nous qui devrions lancer l'offensive", a déclaré à l'AFP le sergent Chérif Ousmane, un responsable des mutins de Bouaké.
Une centaine d'hommes, présentés par les militaires opposés au régime du président Laurent Gbagbo comme des "gendarmes infiltrés", ont été arrêtés en début d'après-midi près de Bouaké après une escarmouche, a constaté un journaliste de l'AFP.
"Ils se sont infiltrés pendant la nuit pour nous attaquer, ils nous tirent dessus", a déclaré un des mutins pendant l'opération contre le camp de gendarmerie situé au sud de la ville.
Un des soldats mutins a été blessé à l'épaule dans les échanges de tirs et des armes ont été saisies par les mutins.
Une centaine d'hommes ont été rassemblés devant l'entrée de la gendarmerie par les mutins, avant d'être emmenés en voiture et à pied vers le 3ème bataillon d'Infanterie de Bouaké, qui sert de base au mutins depuis qu'ils contrôlent la ville.
Des renforts de troupes loyalistes ont convergé en direction de Bouaké en provenance du sud-ouest et du sud-est, et des combats ont également été signalés à Sakassou (42 km au sud-ouest).
Le convoi, qui emporte également des armes, est composé notamment de jeeps militaires et de véhicules civils 4X4.
Un membre de l'"état-major" des mutins de Korhogo a confirmé à un journaliste de l'AFP le départ "d'un nouveau convoi (dimanche) après-midi", sans vouloir préciser le nombre de véhicules et la nature des armes transportées.
"De toutes les manières, c'est la lutte finale. Nous étions informés. Nous faisons toujours confiance au groupe de contact (les médiateurs ouest-africains), mais (le président ivoirien Laurent) Gbagbo voulait nous piéger pour gagner du temps et du terrain", a affirmé la même source.
Plusieurs dizaines de véhicules chargés d'hommes, certains emportant également des canons et des mitrailleuses, avaient quitté Korhogo samedi soir, en direction de Bouaké, la deuxième ville du pays où des combats opposaient les rebelles à des loyalistes dimanche.