Gbagbo demande au gouvernement ivoirien d'assurer l'interim
par Alan Raybould

Le socialiste Laurent Gbagbo, vainqueur de l'élection présidentielle de dimanche, a demandé au gouvernement de son prédécesseur, le général Robert Gueï, de rester en place jusqu'à son investiture.
Gueï, qui s'était proclamé vainqueur, a été contraint d'abandonner le pouvoir mercredi à la suite d'un soulèvement populaire qui a fait une soixantaine de morts en deux jours.
Gueï a pris la fuite en hélicoptère vers une destination inconnue.
Gbagbo a annoncé à la télévision nationale que le Premier ministre Seydou Diarra resterait provisoirement en place.

Diarra, qui avait démissionné, a confirmé qu'il acceptait de rester pour expédier les affaires courantes.
Le Front populaire ivoirien (FPI) de Gbagbo dispose de plusieurs ministres au sein du gouvernement sortant, en particulier le ministre des Finances Mamadou Koulibaly.
Gbagbo a précisé qu'il ne serait investi qu'après la publication officielle des résultats de l'élection par la Commission nationale électorale (CNE).
La CNE a été dissoute mardi sur ordre du général Gueï alors que les premiers résultats partiels créditaient Gbagbo d'une nette avance. Gueï avait ensuite été proclamé vainqueur par le ministère de l'Intérieur.
Laurent Gbagbo a précisé que la CNE avait repris le travail et qu'aux termes de la loi, elle devait annoncer avant mercredi minuit un résultat qui serait transmis à la Cour suprême, laquelle le ratifierait.
Ce n'est qu'à ce stade que j'assumerai mes fonctions en tant que chef d'Etat, a dit Gbagbo, soulignant qu'il entend suivre les procédures légales.
Gbagbo est cependant déjà considéré comme le chef d'Etat par l'armée. La télévision nationale a montré le chef d'état-major lui faisant allégeance au nom des autres corps d'armes.
Le FPI a par ailleurs fait savoir que le couvre-feu nocturne décrété la veille par la junte était maintenu "pour des raisons de sécurité". Cette décision est liée aux manifestations de partisans de l'ancien Premier ministre Alassane Ouattara, qui sont descendus dans les rues d'Abidjan et d'autres villes pour réclamer un nouveau scrutin.
La légitimité de Gbagbo, acquise selon lui avec près de 63% des suffrages - sur seulement 35% de votants -, est en effet d'ores et déja remise en cause par le Rassemblement des Républicains (RDR) de Ouattara, dont la candidature avait été invalidée par la junte au même titre que celle de plusieurs autres opposants.
Aucun heurt entre partisans du RDR et du FPI n'a été signalé à Abidjan, mais ils se sont affrontés dans le port de San Pedro, a rapporté un responsable de la culture du cacao.
"Le FPI et le RDR s'affrontent près du rond-point de Grand Bereby", a dit cette source. "Il y a beaucoup, beaucoup de gens dans la rue et l'armée est absente".
A Bouaké, deuxième ville du pays, des témoins ont fait état de heurts opposant plusieurs centaines de partisans du RDR à des gendarmes. La cause de ces heurts n'a pas été précisée. Les gendarmes s'étaient abstenus d'intervenir à Abidjan contre les partisans de Gbagbo.

 

Appels en faveur d'un nouveau scrutin
Coulibaly, porte-parole du RDR, a lu à Reuters un communiqué réclamant de nouvelles élections. "Nous ne reconnaissons pas le résultat de ces élections", a-t-il dit en dénonçant "l'absence de légitimité" du scrutin.
Le Parti démocratique (PDCI), ancienne formation au pouvoir, qui reste la plus importante de Côte d'Ivoire, et dont le candidat, l'ancien ministre de l'Intérieur Emile Constant Bombet, a lui aussi été exclu du scrutin parce qu'il fait l'objet d'une enquête pour corruption, s'est fait l'écho de cette demande de nouvelles élections.
Bombet a été "victime d'une injustice", a déclaré à Reutrs Ayie Ayie Alexandre, porte-parole de sa campagne.
L'Assemblée parlementaire de la Francophonie et plusieurs pays africains, dont l'Afrique du Sud, se sont prononcés pour la tenue à terme de nouvelles élections, tandis que la France, ancienne puissance coloniale, après avoir dans un premier temps fait preuve de retenue à l'égard de la junte, a condamné la "tentative de coup de force" de Gueï.
Un navire de la marine française, le transport de chalands de débarquement Orage, capable d'embarquer 3.000 civils en cas de crise, croise au large des côtes ivoiriennes avec à bord une compagnie d'infanterie dotée de véhicules blindés. Environ 25.000 Français vivent en Côte d'Ivoire.
Washington a pour sa part prôné "le retour au calme et à la démocratie le plus vite possible".
Les Etats-Unis "exhortent toutes les parties à parvenir à un accord provisoire (...) respectant la volonté du peuple ivoirien", a dit Philip Reeker, porte-parole du département d'Etat.
Un responsable américain a dit sous le couvert de l'anonymat qu'il ne pouvait apporter de précision sur ce que Reeker entendait par "accord provisoire", mais il a noté qu'à l'évidence, la volonté du peuple allait dans le sens d'un départ de Gueï.
Reeker n'est pas allé jusqu'à réclamer un nouveau scrutin, mais il a dit que Washington "envisagerait" d'apporter son soutien à une telle option.
(Reuters, Abidjan, jeudi 26 octobre 2000 - 8h01)


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