La semaine dernière, la capitale rwandaise Kigali accueillait une conférence sur le sort des peuples indigènes de la forêt, ou pygmées, en Afrique centrale. Ces habitants des forêts vivent traditionnellement en marge de la société, mais aujourd'hui ils se mobilisent pour se faire accepter et prendre part au processus national de prise de décision.
Les peuples de la forêt installés dans la région des Grands Lacs, connus sous le nom collectif des Batwa, sont particulièrement menacés car ils ont été dépossédés de leurs terres ancestrales puis ignorés par leurs gouvernements.
Zephyrin Kalimba, directeur de la Communauté des peuples indigènes du Rwanda (CAURWA), l'organisation principale des Twa, fait part de son ras-le-bol. Selon lui, les Twa ont toujours été les victimes de 'la pauvreté, de la famine endémique, de l'absence d'éducation et de soins médicaux de base, de l'isolement social et de l'exclusion du processus de prise de décision'.
'Nos droits ont été bafoués,' a-t-il dit à IRIN. 'Les Twa ont été chassés de leur environnement naturel sans aucune compensation. Nous ne recevons aucune éducation, notre culture est menacée.' Par le passé, les Twa pouvaient se soigner en utilisant les plantes de la forêt. 'Depuis que nous avons été déplacés de notre environnement naturel, nous tombons malades et nous n'avons aucun recours médical,' a indiqué M. Kalimba, ajoutant que le taux de mortalité était très élevé chez les Twa.
Dans une lettre adressée récemment au président rwandais Paul Kagamé, il a souligné que depuis l'époque féodale, les Twa avaient toujours été relégués au bas de l'échelle sociale. 'Ils étaient les serviteurs des souverains et étaient maintenus en marge de la société, ' a-t-il dénoncé. 'Ils étaient les intouchables, avec leurs propres paillotes, leurs propres sources d'eau, leurs propres écuelles en bois...' Leurs conditions ne se sont pas améliorées après l'indépendance. 'L'ignorance, la dépravation et l'injustice ont empiré,' a-t-il déploré.
Les pygmées vivant de la chasse et de la collecte sont les habitants indigènes des pays d'Afrique centrale tels que le Burundi, le Rwanda, la République démocratique du Congo, l'Ouganda, le Gabon et le Cameroun, et en tout ils sont estimés à environ 500 000. Dans la région des Grands Lacs, ils ont été largement déplacés par la déforestation et l'arrivée des agriculteurs. Ils sont traditionnellement considérés par leurs compatriotes comme un peuple primitif car leur mode de vie n'a pas évolué. Chassés des forêts, ils ont dû trouver d'autres moyens d'existence et ils se sont tournés vers la poterie, bien que cette activité ne leur permette pas de gagner leur vie, a confié à IRIN M. Kalimba. 'Pour acheter un kilo de fèves, il leur faut vendre six articles de poterie,' a-t-il remarqué. 'Aujourd'hui il est même difficile de se procurer de l'argile.'
Selon des spécialistes de la région, une partie du problème réside dans le fait que les Twa n'ont pas voulu changer leur mode de vie, résistant aux missionnaires et aux autres populations ayant immigré en Afrique centrale. Ils sont restés dans la forêt et ne se sont pas mêlés aux autres groupes de la société. 'C'est comme si le temps s'était arrêté au 18ème siècle,' a constaté un observateur. Il a ajouté que les Twa avaient été pris dans les conflits régionaux - notamment dans la région des Grands Lacs - s'alliant soit aux Hutus soit aux Tutsis en fonction de leurs intérêts et de leur emplacement.
'Nous sommes pris dans des guerres que nous n'avons pas déclarées,' a expliqué M. Kalimba. 'Les groupes rebelles font des zones forestières leurs bases d'arrière-garde, nous privant ainsi de notre milieu naturel.' Il a rappelé que durant le génocide de 1994, quelque 10 000 Twa avaient péri sur un total de 30 000. 'Est-ce que quelqu'un en a parlé?' a-t-il demandé.
Dr Dorothy Jackson du Programme des Peuples de la forêt, basé au Royaume-Uni, souligne que la majorité des peuples de la forêt du Rwanda et du Burundi a été déplacée il y a longtemps, mais ceux des régions du Kivu en RDC, de l'Ouganda et en particulier du Cameroun et du Gabon ont encore des liens très forts avec leur milieu naturel. Au Rwanda, les derniers Twa habitant dans la forêt - les Impunyu - ont été déplacés de la forêt de Gishwati dans les années 70 et 80 par des projets de développement, certains ayant été financés par la Banque mondiale, a-t-elle indiqué.
'Le grand problème pour les Twa vivant au Rwanda et à travers la région des Grands Lacs est le manque de terres, ce qui veut dire qu'ils n'ont aucune sécurité, aucune base de ressources et aucune possibilité de développer des moyens de subsistance,' a-t-elle déclaré. 'En Ouganda, au Kivu et au Rwanda, les Twa des forêts ont été expulsés de leurs terres au profit de projets de conservation (parcs nationaux) et du développement de l'agriculture.' Les droits des Twa de posséder les terres forestières où ils ont vécu pendant des siècles n'ont jamais été reconnus. 'Au Rwanda, les terres des Twa acquises sous le patronage des Mwamis [les dirigeants traditionnels] ont été régulièrement grignotées par le vol et l'expropriation,' a ajouté Dr Jackson.
Une étude réalisée par les Twa en 1993 révélait que 13 pour cent des Twa au Rwanda étaient sans terres et 85 pour cent n'avaient pas suffisamment de terres pour subvenir à leurs besoins (ils n'avaient souvent que la parcelle sur laquelle était construite leur maison). Depuis le génocide de 1994, la situation a empiré. 'La vulnérabilité des Twa et leur statut de marginaux aux yeux du reste de la société leur permet difficilement de revendiquer des terres auprès du gouvernement ou d'en acquérir en vertu du droit coutumier ou à titre légal,' a observé Dr Jackson. 'Les gouvernements devraient prendre des mesures permettant aux Twa d'obtenir et de conserver des terres au même titre que les autres secteurs de la société.'
La Commission pour la réconciliation et l'unité nationale du gouvernement rwandais a déclaré sa volonté de se pencher sur le sort des Twa. 'La marginalisation du peuple Twa est un des points noirs de notre société,' a confié à IRIN la directrice exécutive de la Commission, Aloise Inyumba, lors d'une récente interview. 'Ils ont été systématiquement oubliés, comme s'ils n'existaient pas.' Elle a indiqué que la Commission s'était efforcée de recueillir les opinions des Twa à propos de la réconciliation et qu'elle avait recommandé des mesures positives en faveur de services d'éducation et de santé gratuits pour les Twa. 'Nous voulons également que les quelques Twa ayant reçu une éducation soient prioritaires en matière d'emploi,' a-t-elle poursuivi.
Toutefois, M. Kalimba a déclaré que tant que les Twa ne seraient pas représentés à la Commission ou au gouvernement, il ne s'agissait que de 'simples paroles'. 'Comment peuvent-ils régler nos problèmes?' a-t-il demandé. 'Nous devons faire partie de tout programme visant à résoudre nos problèmes. Ils en parlent et puis ils oublient.' Selon M. Kalimba, les problèmes auxquels sont confrontés les Twa en Ouganda sont bien pires. 'Ce sont les moins éduqués de tous les Batwa,' a-t-il remarqué.
Certaines actions indiquent que les problèmes des peuples indigènes des forêts sont pris en compte. En RDC - le pays abrite environ 150 000 pygmées - la Fondation de l'ONU soutient un programme de l'UNESCO destiné à protéger l'héritage naturel dans les zones touchées par le conflit. Le projet - qui représente un budget de 4 186 600 dollars - comprend la protection des pygmées Mbuti dans la Réserve animale Okapi près de Bunia et d'autres peuples indigènes dont la survie dépend largement des animaux sauvages. 'L' essor de la chasse commerciale nuit considérablement au mode de vie de chasse et de collecte de ces populations,' a indiqué UNESCO dans un communiqué de presse publié en janvier. L'agence a constaté que l'afflux de réfugiés le long des zones frontalières, l'activité rebelle, le banditisme et l'accroissement du braconnage avaient été des facteurs nuisibles à la survie des pygmées.
La conférence de Kigali - la première du genre au Rwanda - et la lettre adressée à M. Kagamé sont des initiatives lancées par le peuple Twa. Selon Dr Jackson, il était important de souligner que les Twa n'étaient aucunement manipulés par des influences extérieures.
M. Kalimba demande que les peuples indigènes des forêts bénéficient de services au sein même de leur environnement. 'Pourquoi ne pouvons-nous pas avoir des écoles et des centres médicaux?', a-t-il observé. 'Nous nous mobilisons aujourd'hui car nous sommes au 21ème siècle, et nous avons le droit d'en faire partie... Nous devons défendre nos droits.'
NAIROBI, le 5 juillet 2000 (IRIN-CEA
)"Grands Lacs: Dossier spécial d'IRIN sur le peuple Twa"