Dix-huit candidats à la candidature pour la présidentielle d'octobre 2000 Côte d'Ivoire

Robert Gueï: fini l'état de grâce
Après une brillante carrière militaire et des services rendus à Houphouët pendant les événements de 1990, à l'issue desquels il est nommé chef d'Etat major, il est limogé par Bédié en 95, puis nommé ministre, puis mis à l'écart, et devient même suspect. Il s'est toujours réclamé d'Houphouët, mais a été clairement un anti-Bédié. En décembre 1999, il sort de l'ombre dans des circonstances encore floues et prend la tête des mutins, transformant avec habileté la rébellion en véritable coup d'Etat. A la tête de la junte, dans un style gaullien un peu forcé, il est confronté à d'énormes difficultés et sort très affaibli de la mutinerie de juillet dernier. Jusqu'à la dernière minute, il a laissé planer le doute sur sa candidature. Cette fois, ça y est, il estycandidat ! Sachant que pour avoir les meilleures chances d'être élu, il lui fallait le soutien du PDCI, il a essayé en vain d'obtenir l'investiture du parti d'Houphouët. Du coup, il s'affirme, toujours houphouétiste, au-dessus des partis, en cherchant à tirer profit de la confusion qui règne dans ce PDCI délabré. Question-clé: Gueï va-t-il démissionner du CNSP et démilitariser son image pour la durée de la campagne? En tous cas, Washington s'est prononcé contre sa candidature, Paris a exprimé quelque doute et les relations de Gueï avec la plupart des pays voisins ne sont pas très bonnes.

Alassane Ouattara: l'heure de vérité
Le leader du RDR suscite des réactions si passionnées en Côte d'Ivoire, qu'il est devenu de facto le personnage central du débat politique. L'ancien premier ministre d'Houphouët-Boigny, rival d'Henri Konan Bédié à la mort du "vieux", en 1993, était la bête noire du président déchu. Dans les mois précédant le "coup d'Etat de Noël", ce dernier avait tout fait pour l'écarter de la présidentielle qui se profilait en contestant sa nationalité ivoirienne. Au lendemain du putsch du 24 décembre, la polémique sur cet ancien directeur général adjoint du FMI n'a connu qu'un court répit. Après les accusations d'un Laurent Gbagbo évoquant un "coup d'État RDR", lors de la formation du premier cabinet de transition, les relations entre Ouattara et la junte se sont dégradées à la mi-mai, suite aux rumeurs de tentative de "déstabilisation". En outre, le débat qu'on croyait enterré sur sa nationalité a ressurgi lors des discussions sur le projet de constitution et a même été repris par l'ensemble des autres grands partis politiques. Celui dont les adversaires les plus féroces jurent qu'il est burkinabé, répète qu'il est de "père et de mère" ivoiriens et n'a donc aucune raison d'être écarté de la course à la présidence. Revendiquant, comme le général Gueï, l'héritage du père de l'indépendance, il présente ses trois années à la primature (1990-1993) et sa longue expérience au sein des institutions financières internationales comme un gage de compétence. C'est pour lui l'heure de vérité. Son sort est désormais entre les mains de la chambre constitutionnelle qui doit examiner dans les prochains jours la validité de sa candidature à la présidentielle du 22 octobre. La décision de cette instance considérée comme largement acquise au général Robert Gueï, sera lourde de conséquences : un rejet signifierait l'exclusion d'un des principaux postulants à la présidence et un accroissement de l'instabilité dans le pays.

Laurent Gbagbo: la course contre la montre de l'éternel opposant
Le premier grand opposant en titre d'Houphouët, patron du Front populaire ivoirien, 55 ans, bété, fort de ses relations personnelles privilégiées avec Robert Gueï, présent en force dans le gouvernement depuis le remaniement du 18 mai dernier, mène avec le PDCI une croisade acharnée contre Alassane Ouattara et le RDR. Universitaire, syndicaliste avant de devenir chef de parti et présidentiable, il s'affiche à gauche, proche du PS français et ami de son délégué aux affaires africaines Guy Labertit. Il a joué en tous cas, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix la carte de l'ivoirité, avant d'accepter, momentanément, le dialogue entre opposition et majorité avec Konan Bédié. Aujourd'hui Laurent Gbagbo, après des années de galère, pense que les circonstances pourraient bien lui être très favorables. Entre Robert Gueï et le candidat officiel du PDCI, son premier objectif est, en tous cas, de franchir le cap difficile du premier tour. Il lui faudra ensuite préparer ses troupes pour que le FPI occupe à l'occasion des législatives une place plus importante au sein du Parlement.

Henri Konan Bédié: les espoirs d'un président déchu
L'ancien président ivoirien, renversé lors du coup d'Etat du 24 décembre 1999, ne désarme pas. De son exil parisien, il assure être le candidat naturel de son parti et compte sur le soutien d'une partie non-négligeable des militants, notamment de la délégation française du PDCI, qui souhaitent son retour au pouvoir. Les partisans d'Henri Konan Bédié ont au moins obtenu une victoire, puisque le général Gueï qui espérait être le candidat de l'ancien parti unique n'est même pas parvenu à faire partie des postulants à l'investiture. "Nous n'allons pas marier notre mère avec l'assassin de notre père", ont-ils scandé. Mais le chef de l'Etat déchu n'a pas encore gagné son pari. Il doit compter avec d'autres personnalités, dont Emile-Constant Bombet, ancien fidèle et personnalité apprécié des militants du PDCI. Et il a contre lui toute une partie du PDCI, pour qui la candidature d'un homme écarté du pouvoir sous les applaudissement en décembre 1999 serait suicidaire. Henri Konan Bédié est également fragilisé par les accusations de détournements de fonds publics à grande échelle lorsqu'il était aux affaires. Quatre commissions rogatoires le concernant ainsi que plusieurs de ses proches ont été transmises à Paris. Elle ne visent certes qu'à geler ses comptes en Europe, le temps de poursuivre les enquêtes et aucune procédure judiciaire n'a encore été lancée contre l'ex-chef de l'Etat. Mais la chambre constitutionnelle pourrait en tenir compte, de même qu'une junte militaire plutôt réservée sur le retour d'Henri Konan Bédié. Ce dernier a toutefois un atout: son immense fortune qui, dit-on, ne serait pas étrangère à son maintien formel à la tête du mouvement après le putsch de noël.

Emile Constant Bombet: un cacique de l'ancien régime
Candidat du PDCI à la présidentielle, ancien ministre de l'intérieur d'Henri Konan Bédié, Emile Constant Bombet était un cacique et un personnage clé de l'ancien régime. Entre 1990 et 1999, cet ancien préfet a été membre de tous les gouvernements: Ministre de la Sécurité et de l'Intérieur, puis de l'Intérieur, sous Félix Houphouët-Boigny, puis ministre de l'Intérieur et de l'Intégration, entre 1996 et 1998, et enfin ministre d'Etat chargé de l'Intérieur et de la Décentralisation, jusqu'au coup d'Etat du 24 décembre 1999. A ces divers titres, ce fidèle d'Henri Konan Bédié a été au cœur des dossiers les plus controversés, à commencer par l'affaire de la nationalité d'Alassane Ouattara, dont il a été l'un des principaux instigateurs. Arrêté puis libéré à plusieurs reprises depuis le "putsch de Noël", il a successivement été accusé d'"activités subversives" contre la junte et de détournement de fonds de l'Union européenne, sans pour l'instant avoir été formellement condamné. Fort du soutien d'une partie du PDCI et d'un important réseau d'amitiés, l'ancien ministre se verrait bien présidentiable. Mais son image d'ex-"homme de main" d'Henri Konan Bédié et les accusations de corruption qui pèsent sur lui pourraient compromettre ses projets.

Mohammed Lamine Fadika: pour qui roule le marin?
Marin, spécialiste des affaires maritimes, musulman du nord, pilier du PDCI, il est mis à l'écart en 1987 à la suite d'une sombre affaire de trafic d'armes et de meurtre. Proche de Bédié, il revient en force en 1993 au poste de ministre des mines et de l'énergie. Le président considère alors qu'il peut contrer l'influence de Ouattara dans le nord et cultiver ses relations dans l'armée. Depuis le coup d'Etat, le contre-amiral Fadika a vite rallié Robert Gueï avec Paul Akoto Yao et Balla Keïta. Retenu initialement parmi les candidats du PDCI, tout le monde s'accorde à penser qu'il roulera pour Gueï, en espérant peut-être une nouvelle fois se voir devenir Premier ministre.

Amoakon-Edjampan Thiémélé: PDCI, profil bas...
Ancien ministre et diplomate, puis député et vice président de l'Assemblée nationale, il était proche d'Houphouët, puis de Bédié. Agni du groupe Akan, il est un membre et un responsable du PDCI depuis 1975. Il était l'un des huit candidats présélectionnés par le Parti d'Houphouët Boigny, mais ses chances de jouer un rôle de premier plan dans cette élection présidentielle sont généralement considérées comme faibles.

Emile Atta Brou: conciliant mais isolé
Ancien ministre, puis député d'Abengourou dans l'est du pays, il est devenu président de l'Assemblée nationale en 1997, suite au décès de son prédécesseur Charles Donwahi, jusqu'au coup d'état du 24 décembre 1999. Considéré comme une personnalité conciliante, ce médecin pédiatre faisait partie des candidats à l'investiture du PDCI.

Francis Wodié : le prof est toujours là!
Premier secrétaire du Parti ivoirien des travailleurs (PIT), ancien député et ministre, professeur à l'université, ancien vice-président de la Fédération des Etudiants d'Afrique noire en France (FEANF), il est en 1995 le seul candidat face à Henri Konan Bédié avec un petit score de 3,8 %. Militant syndical, il était député de Cocody. Akan, il est originaire de la même région qu'Henriette Konan Bédié. Minoritaire dans l'opposition, il a toujours été en rivalité avec le FPI de Laurent Gbagbo ou avec Bernard Zadi Zaourou qui avait quitté le PIT en 1990. Actif dans le jeu politique ivoirien depuis une douzaine d'années, Wodié ne peut espérer qu'un petit score au premier tour, mais pourra jouer sur son désistement et un éventuel ralliement qui pourra lui faire valoir un poste dans le futur gouvernement.

Moriféré Bamba: PPS et passé agité
Secrétaire général du petit Parti pour le progrès et le socialisme (PPS) depuis 1993, né à Daloa en pays Bété en 1945, il est pharmacien et professeur à l'université. Député et même vice président de l'Assemblée sous l'étiquette PDCI, il est arrêté en 1989 pour détention de documents d'un parti gauchiste clandestin. En 1993, il crée le PPS qui rejoint le Front républicain avec le FPI et le RDR et parallèlement se lance dans les affaires. De nouveau arrêté et condamné en 1995 alors qu'il était candidat aux législatives, il tente un nouveau retour à l'occasion de ces présidentielles.

Théodore Eg Mel: ex rénovateur et maire de Cocody
Akan, jeune espoir du PDCI, homme d'affaires, maire de Cocody, il a soutenu Bédié. Rénovateur, il n'a pas suivi Djéni Kobina au RDR, mais crée en 1995 un mouvement pour animer la campagne d'Henri Konan-Bédié et récolter des fonds. Cavalier et judoka émérite, il est connu pour ses talents de prédicateur, et vient cette fois tenter sa chance au nom de l'UDCI dans ces nouvelles élections.

Ils sont huit autres candidats à avoir déposé leurs dossiers à la Commission nationale électorale le jeudi 17 août dans les délais : Touré Dramane du Parti écologiste, Pépé Paul du parti national ivoirien, Dioulo Nicolas (indépendant), Jérôme Coulibaly Climanlo (USD), le pasteur Leka (PID), le Général de division Gaston Ouassenan Koné et Lanzani Namogo Poto Coulibaly. La seule femme du lot initial de 19 candidats, Madame Assana Sangaré, une indépendante, s'est retirée de la course.

Hugo Sada, Christophe Champin (Dossier RFI)
01/09/2000


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