Vente aux enchères de Lyon :
six lettres faisant allusion à lesclavage non présentées
Le commissaire-priseur
explique avoir voulu éviter la polémique
vendredi 14 janvier 2005, par Habibou Bangré
Six lettres faisant allusion à lesclavage nont
pas été vendues aux enchères, mercredi à Lyon (France), et
ont donc été rendues à leur propriétaire. La polémique
suscitée par cette vente, qui ne concernait pas que des
manuscrits ayant un lien avec la traite, est à lorigine du
retrait des documents historiques. Le commissaire-priseur et
certaines associations regrettent lampleur dune
affaire qui ne devait pas en être une et dénoncent des
manipulations.
Certains documents faisant allusion à lesclavage ont été
retirés, mercredi, de la vente aux enchères de Lyon (Sud-Est),
où quelque 4 500 manuscrits devaient être présentés. En
effet, six lettres du XVIIIe siècle « traitant peu ou
proue de lesclavage », mais où « les termes
négrier, traite ou
esclave » apparaissaient, nont
« pas été présentés à la vente », annonce Jean
Chenu, commissaire-priseur de cette vente. Il explique avoir pris
cette décision pour mettre fin à la polémique quil y
avait autour de ces enchères. Les associations de la communauté
noire la contestaient car elles voulaient notamment obtenir la
garantie que les archives seraient toutes préemptées par
lEtat. Les documents non présentés ont été retournés
à leur propriétaire et leur sort dépend de son bon vouloir.
Cette affaire laisse un goût amer à Jean Chenu et à certaines
associations, qui dénoncent des manipulations.
Les associations voulaient que lEtat préempte tous les documents
Interrogé mercredi peu avant les enchères, le ministère de la Culture a souligné que lEtat ferait jouer son droit de préemption sur « un certain nombre de pièces majeures et capitales pour létude de cette période ». « Les plus belles iront dans des collections publiques. Nous étions au courant de cette vente depuis plusieurs mois et nous avons donc envoyé des experts, qui ont jugé de limportance des documents. Ceux que nous avons retenus restent secrets pour ne pas fausser les enchères », avait-il ajouté.
« Une certain nombre de pièces ». Pour plusieurs associations, pour la plupart africaines, antillaises, réunionnaises et guyanaises, cest là où le bât blessait. Elles souhaitaient notamment que toutes les archives soient préemptées pour assurer que toutes soient accessibles au public. Et notamment à leurs enfants, puisque, soulignent-elles, les livres dhistoire relatent très peu cette période. Mais, daprès Jean Ajasse, lexpert qui a travaillé sur ces enchères, les lettres nauraient rien apporté de très important à lhistoire de lesclavage : « Les lots retirés contenaient presque exclusivement des informations sur léconomie de la Mayenne et le lien avec lesclavage ne se faisait que par analogie ».
Mais pour les associations, qui craignaient le pire pour les documents quils jugeaient essentiels, ont manifesté mercredi matin et après-midi, soutenus par de nombreux présidents associatifs et certaines personnalités, pour obtenir satisfaction. Interrogé par lAgence France Presse (AFP), Me Philippe Missamou, avocat du collectif des filles et fils dAfricains déportés, a expliqué avoir déposé, mercredi, un recours en référé devant le tribunal de grande instance de Lyon pour faire interdire la vente, estimant que les manuscrits, « patrimoine historique du peuple noir (...) étaient frappés de facto de linaliénabilité ». Toute cette mobilisation a peut-être causé plus de mal que de bien.
Le commissaire-priseur choisit le retrait de certaines lettres
Les archives retirées risquent en effet dêtre perdues. Car, comme Jean Ajasse lavait expliqué à Afrik.com lundi, les documents non présentés ont été retournés à leur propriétaire et risquent de se retrouver sur « un marché parallèle » ou même être détruits. Jean Chenu ajoute : « Le propriétaire peut contacter lEtat directement ou encore les représenter pour une autre vente aux enchères. » Mais Alain Ajasse dassurer que « cest une perte pour lHistoire et lHumanité », dautant plus qu« ils (les documents, ndlr) aillaient bien être préemptés par lEtat ».
Retour sur la non-présentation des documents. Lorsque nous lui avons demandé si le référé en est à lorigine, Jean Chenu répond par la négative car « le référé de lassociation sera seulement étudié aujourdhui (vendredi, ndlr) ». Il assure par ailleurs : « Javais pris cette décision avant la vente à cause de la polémique. Nous ne sommes pas là pour provoquer. Cest pourquoi je nai pas présenté des lettres traitant peu ou proue de lesclavage, mais où apparaissaient les termes négrier, traite ou esclave. Ce qui posait à certains un problème. Nous ne sommes pas là pour faire de largent sur lesclavage ou sur nimporte quel autre thème. Le propriétaire qui a apporté ces archives voulait juste sen débarrasser, il nétait pas du tout dans cet état desprit. Si nous avions su que les choses allaient tourner de cette façon, nous aurions pris les devants. Je lai déjà fait auparavant : on mavait proposé des affiches sur lantisémitisme, que jai refusée, sachant que cela allait poser un problème. »
Un responsable de lantenne lyonnaise du Collectif des Antillais, Guyanais, et Réunionnais, qui a pris part à la manifestation, estime quant à lui quil est difficile de savoir ce qui a motivé la non présentation des lots. « Les juges de Lyon auraient, daprès une association parisienne qui a fait un référé à son attention, décidé mercredi après-midi dannuler la vente. Environ une demi-heure avant le début de la vente, le commissaire-priseur en aurait été informé par huissier. Mais nous ne savions pas si cette information était une intox (il y en a tellement dans cette affaire...) car, à lannonce douverture, le commissaire-priseur a déclaré que des lots avaient été retirés de la vente, mais sans dire lesquels et pourquoi. Il aurait dû mentionner les causes du retrait pour plus de clarté », indique Emmanuel Charles, qui a assisté aux enchères. Jean Chenu répond de son côté quil na « pas eu à donner les raisons de ce choix car elles étaient évidentes de par la polémique ».
Trop de tapage médiatique
Toute cette affaire laisse pour certains un goût dincompréhension et de colère. Jean Chenu a confié, daprès les propos recueillis par lAFP, que « la vente de documents évoquant lesclavage, parfois de manière plus directe, arrive souvent à Paris, à Nantes ou à Bordeaux, sans susciter la même polémique ». Et de nous expliquer que « larticle tendancieux dun journal (Le Monde, ndlr) qui laissait entendre que toutes les enchères concernait lesclavage. Les autres ont suivi, car les journalistes ont toujours besoin de sensationnel. Du coup, le message quon compris les associations est que Me Jean Chenu faisait une vente sue lesclavage. Ce qui nétait pas du tout le cas. Mais ils nen avaient pas conscience ». Jean Ajasse incrimine aussi les médias et ajoute à sa lite certaines personnalités politiques, comme le « maire de Lyon qui a averti les journalistes de cette vente » ou le « maire de Paris qui navait pas à sexprimer sur le sujet ». Emmanuel Charles estime aussi quil y a eu un battage excessif. « Une loi, votée en mai 2001, reconnaît que lesclavage est un crime contre lHumanité. Et en conséquence, tous les documents qui y sont relatifs doivent être reversés à lEtat ou aux archives nationales », souligne-t-il. Mais il pointe aussi du doigt, entre autres, lexpert et le commissaire-priseur. Il soupçonne dailleurs ce dernier dentretenir des zones dombres sur cette affaire ».
Malgré ce climat de tension, Alain Ajasse assure quun responsable du comité de coordination des associations sest excusé pour les « menaces personnelles » quil a reçu et souligne que les « e-mails dinsultes, dinsanités et de menaces » font lobjet dune enquête. Il explique aussi que ce même responsable sest excusé officiellement de cette « perte » darchives, qui ne concernaient la traite que « par analogie ». « Certains ont reconnu et compris, en se penchant sur les documents, quils avaient fait une erreur ». Toutefois, pour Emmanuel Charles, il est quasiment impossible quun responsable ait fait des excuses. « Les associations parisiennes et les lyonnaises nont pas eu le temps détudier dans le détail tous les documents pour savoir à quel point ils étaient en relation avec lesclavage. Alors la personne qui a présenté ses excuses sest soit faite passer pour quelquun défendant notre cause lors de la manifestation ou les déclarations de lexpert sont destinées à faire de la provocation » juge-t-il.
Pour le reste, il insiste sur le fait quil faille attendre « quune commission établisse une traçabilité des documents (pour voir ce quils sont devenues, ndlr). Le commissaire-priseur entretient de nombreuses zones dombres. A notre niveau, nous navons pas dinformations suffisamment précises pour savoir ce qui sest passé. » La boucle nest pas encore bouclée.
Lire (le document ci-après): Les archives sur lesclavage ne seront pas vendues aux particuliers français
Les archives sur
lesclavage ne seront pas vendues aux particuliers français
Des associations craignaient le pire pour les enchères de
mercredi à Lyon
jeudi 13 janvier 2005, par Habibou Bangré
Des archives sur lesclavage seront bien vendues aux
enchères à Lyon (France) ce mercredi, mais aux autorités
publiques et non à des particuliers, comme aurait pu le laisser
entendre un grand quotidien français. La méprise avait causé
un haut le cur à certaines associations de
lHexagone. Elles avaient en effet décidé de manifester et
de faire appel à la classe politique pour une suspension, voire
une annulation de la vente.
La communauté africaine de France peu souffler : les archives sur lesclavage, qui seront vendues aux enchères ce mercredi à Lyon (Sud de la France), ne deviendront pas propriété de particuliers, mais des autorités publiques. Certaines associations avaient compris, suite à un article paru dans un grand quotidien de lHexagone, que ce patrimoine historique allait se retrouver entre les mains de particuliers et donc échapper à la consultation publique. Révoltées, plusieurs associations avaient promis de manifester, dautres appelaient au bon sens de la classe politique pour que soit suspendue, voire annulée, la vente aux enchères honnie.
Ce qui a manifestement provoqué la colère du monde associatif noir, cest que larticle, qui détaille essentiellement les uvres qui seront vendues, ne précise pas que ces enchères ne seront pas publiques. « Près de 500 lettres et manuscrits, provenant darchives familiales ou commerciales, seront vendus à Lyon mercredi 12 janvier. Cet ensemble aborde des thèmes divers, en particulier un sujet jusquà présent peu étudié, la traite des Africains aux XVIIe et XVIIIe siècles », peut-on lire dans Le Monde du 6 janvier 2005.
Les archives nationales ne seront jamais privées
Alain Ajasse, expert auprès de nombreux commissaires priseurs qui a travaillé sur cette vente, apporte un éclairage indispensable. « Les documents en question constituent à peine une dizaine de lots sur toutes les enchères de mercredi. Ils seront exclusivement préemptés par les pouvoirs publics. Et il ne peut pas en être autrement puisquils font partie du patrimoine national », explique le spécialiste, qui précise que ce nest pas la première fois que sont organisées des enchères où sont proposées des documents en rapport avec la traite négrière.
Alain Ajasse revient sur la façon dont les archives sur lesclavage, de même que les autres, se retrouvent aux enchères. « Parfois, les gens veulent se débarrasser dobjets ou documents anciens lors dun tri de grenier, par exemple. Ils peuvent se tourner vers les antiquaires ou encore les brocanteurs, mais certains vont sadresser à un expert pour savoir ce quils valent. Après étude, et selon limportance du document, il en référera à la direction nationale des archives. Elle recherchera sil figure déjà dans les archives, si ce nest pas le cas, il sera vendu aux enchères. Cest la seule façon légale et juste de faire passer un document du domaine privé au domaine public. Cela permet de récupérer des documents dont on pouvait ignorer lexistence, puisquils sont gardés par les familles. Personne ny perd car le patrimoine et la mémoire nationaux senrichissent et la personne à qui appartenait le document est dédommagée », souligne-t-il. Il ny a en somme aucune chance que des archives, quelles quelles soient, se retrouvent vendues aux enchères.
Colère aveugle de certaines associations
Toutefois, certaines associations ont simplement vu, en larticle du journal français, une menace sur lhéritage dun pan peu glorieux de lHistoire. Et une violation de la loi. Patrick Karam, Président du Collectif des Antillais, Guyanais, Réunionnais, a ainsi dénoncé sur le site une mesure qui va à lencontre la loi de 2001 visant à « améliorer la recherche, la connaissance et la diffusion sur la traite négrière et lesclavage et leur donner la place conséquente quils méritent ». Afrikara désigne quant à lui lentorse au Code de déontologie dont les articles 6 et 7 « contribuent à asseoir légalement et moralement la mobilisation pour une interdiction de la vente des documents historiques sur la traite négrière », ajoute lassociation. Lassociation estime par ailleurs que « la vente des manuscrits est aujourdhui lultime phase dexploitation du lucratif filon négrier ».
La tension, la colère même, était tout aussi palpable chez le Collectif des Antillais, Guyanais, Réunionnais, qui voulait saisir les ministères de la Culture et de lOutre Mer. Il appelait, comme plusieurs autres associations, à un « rassemblement mercredi 12 au matin, avant 10h pour réagir à lexposition des objets et archives à la Maison de vente Chenu-Scrive-Bérard, 6, rue Marcel-Rivière, 69002 Lyon », peut-on lire sur leur site. De son côté, Afrikara expliquait dans un communiqué, que nous avons reçu ce lundi, vouloir « alerter lopinion publique et les décideurs, Mme Taubira (députée de la Guyane, ndlr), et autres parties responsables et visibles pour obtenir linterdiction ou au moins la suspension de la vente des archives de la traite négrière ».
Lyon. Le lieu même de la vente a suscité, pour certains, une spéculation. Pour Afrikara, le choix de cette ville nétait pas anodin : « Les villes de provinces sont plus tranquilles que la capitale, et une manifestation politique et revendicative de personnes à Lyon ne pouvait guère défrayer la chronique », indique Ze Belinga lun des pères de lassociation.
Une manifestation mettrait en péril la sauvegarde des documents
Au final, des responsables associatifs ont contacté Alain Ajasse, dont le nom est cité comme contact pour ces enchères, pour protester. « Lun des interlocuteurs sest montré très agressif et refusait dentendre ce que je lui expliquais. Jai fini par lui dire que ce nétait pas moi qui vendais, que je ny étais pour rien et quil devait contacter le commissaire priseur », raconte lexpert.
Et de mettre en garde contre la tenue de la manifestation : « Si elle est maintenue, les enchères risquent dêtre suspendues et les documents seront remis à leurs propriétaires, qui les vendront alors sur le marché parallèle ou les brûleront ». Une responsable du Collectif des Antillais, Guyanais, Réunionnais explique que la tenue ou non de la manifestation fait lobjet de discussions au sommet, « les choses nétant pas très claires ». Une fois les enchères terminées, si elles ont bien lieu, les archives seront visibles par le public à Bordeaux, Nantes ou encore Paris, selon lorigine des armateurs. Un choix stratégique pour éviter la surcharge des archives nationales en renvoyant les documents aux archives locales.
(le site afrik.com : http://www.afrik.com/article8013.html)
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