HARPES ET MUSIQUES TRADITIONNELLES CENTRAFRICAINES
à la Cité de la Musique à Paris
"Mes oreilles se redressent chaque fois que le nom de mon pays, la République Centrafricaine, est cité par les médias français. Je demande chaque fois qu'est ce que les journalistes vont dire ou quelle bévue notre président a encore fait" disait un compatriote à qui je présentais un ami de la presse parisienne.
Le nom de la République Centrafricaine est souvent associé à un personnage peu fréquentable tel que Bokassa, aux massacres des jeunes scolaires et étudiants, aux mouvements sociaux divers, aux mutineries à répétition de l'armée nationale, à la faillite de l'état et à la mal-gouvernance.
Dans cette grisaille, le ciel ne s'éclaircit que rarement pour ne pas dire exceptionnellement. Les moments de joie sont plus fugaces ici qu'ailleurs. J'ai eu le bonheur d'en vivre un ce dimanche 13 juin 1999 à la cité de la musique à Paris en compagnie de deux autres compatriotes, Victor Bisséngué et Frédy Balafoundi.
Nous avons assisté à une série de concerts, musiques pour harpe, donnée par 3 groupes d'artistes dont 2 venus tout droit de la République Centrafricaine.
Les Centrafricains ont enchanté l'auditoire avec une musique surgit du cur d'Afrique (Bê Afrika ou épicentre du monde), tantôt mélancolique, méditative, tantôt enjôleuse, envoûtante, tantôt espiègle, tantôt grave.
Mais avant de parler de cette musique qui a su enthousiasmer les Parisiens et combler de fierté les 3 Centrafricains présents - car les Français nous ont témoigné leur satisfaction "pour cette musique si belle et si profonde"-, quelques lignes sur les instruments et les artistes.
Un conte centrafricain que j'ai capté quelque part à la frontière de la Ouaka et de la Basse-Kotto raconte que la première harpe est née de l'oreille d'un chasseur sensible à la complainte du tendon de son arc.
Le soir venu, pour raconter son endurance, ses peines, sa solitude dans l'immensité de la nature, le bruissement de l'herbe, les chants d'oiseaux et ses exploits à la famille réunie autour du feu, après un bon plat de gibier, le chasseur s'est mué en conteur, en musicien. Son répertoire s'est peu à peu agrandi de ses amours et de ses amitiés.
Les griots de passage dans le village en sont repartis avec ce merveilleux instrument qui fait rire, qui fait danser ou qui fait pleurer, en lui façonnant qui une tête d'homme, qui une tête d'animal, qui le corps de femme en souvenir de sa belle laissée au pays. Les griots ont essaimé la harpe pour le bonheur des hommes, pour transporter et perpétuer la mémoire des ancêtres, la légende du fleuve, de la forêt et de la savane, pour diffuser la bonne nouvelle, pour alerter et mettre en garde notamment contre les envahisseurs étrangers.
La harpe a peut-être été conçue au centre de l'Afrique (na Bê Afrika biani). En tout cas "c'est sur cette terre bénie des dieux mais appauvrie par l'inconséquence des hommes", ainsi parlait mon père, que l'on trouve les plus belles harpes, fabriquées dans les matériaux les plus élaborés et dans les formes les plus variées. Accordée sur cinq, huit, dix ou douze cordes les harpes centrafricaines ont conquis très tôt les colonialistes européens.
Selon Michel Dambert, "les plus séduisantes des harpes d'Afrique en vue à la cité de la musique (une exposition y est organisée en ce moment, jusqu'au 29 août 1999) ont la hampe ornée d'une fine tête de femme à la coiffure sophistiquée où l'on reconnaît la statuaire congolaise (mais en réalité centrafricaine) : Zandé, Mangbétu, Ngbandi ou Banda. D'autres, comme celles des Ngbaka, figurent un personnage entier, reposant sur de courtes jambes, conférant à l'instrument un statut sans équivoque d'être humain, avec la caisse pour torse et le manche pour le cou et la tête".
Dès lors ceux qui font parler la harpe, instrument sacré, sont doués de sagesse. Ils sont écoutés de leurs corrélégionnares d'autant plus qu'ils ont une pratique sociale exemplaire. Ce n'est plus le cas de nos jours ou la musique festive, soutenue par les pouvoirs post coloniaux permettent aux populations d'oublier quelque peu la dureté de la vie, les malheurs qui les assaillent.
Les deux groupes d'artistes centrafricains présents à Paris semblent avoir suivi un autre parcours, celui de l'authenticité :
- costume de coton écru, en chasuble,
- instruments (harpe, flûte, percussion) de bonne facture, sans fioritures,
- répertoire classique, puisé dans la mémoire collective, la légende et l'histoire du pays mais encore dans les tourments de l'existence.
Dans ce dernier exercice, les musiciens excellent dans la satire et la critique sociale. Le public parisien a ainsi eu droit par exemple à :
Nguénza ti ngiriki,
Munzu vuko,
A nzéré a hon ingo, etc.
Aussi bien Martin Malétoungou, Laurent Ngétéou, Antoine Ngoudissara du 2ème groupe dans l'ordre de passage sur scène que Gabriel Ngotombé et Mathurin Service-Méngo dit Mathurin Dieu-Merci du 3ème groupe ont porté haut les couleurs de la République Centrafricaine à Paris Ils ont été ovationnés longuement à juste titre.
Ces "ambassadeurs de la culture centrafricaine" qui ont tant déferlé les médias parisiens sont rentrés le 15 juin à Bangui, dans l'indifférence générale, sans accueil, vous savez, le genre réservé habituellement à ces nantis du pouvoir qui pourtant, n'ont jamais rien apporté à la Nation. Certes ils n'en veulent pas et n'en vivent pas. Nos musiciens authentiques font partie de ces besogneux qui, par leurs efforts, maintiennent encore la tête du pays hors de l'eau, ce qui permet d'espérer.
Nous conseillons vivement aux africains et aux centrafricains de la région parisienne et d'ailleurs d'aller en famille à l'exposition " La parole du fleuve, harpes d'Afrique Centrale" qui se tient à la Cité de la Musique à Paris, métro porte de Pantin, jusqu'au 29 août 1999(1), à défaut d'avoir vu les concerts de nos compatriotes.
Des rencontres, des projections de films rendent très vivantes et profitables cette belle exposition.
Paris le 16 juin 1999
Jean-Bosco PELEKET
(1) A cause du succès, l'exposition est prolongée jusqu'au 17 octobre 1999