Contribution au débat sur le choix de Bambari (République centrafricaine) comme nouvelle capitale par Mr Jean-Bosco PELEKET, Par Gaston-King MAHOUTOU.
Par Gaston-King MAHOUTOU
Je viens de lire avec beaucoup d’intérêt l’article de Jean-Bosco PELEKET sur Bambari. Mes réflexions sont peut-être tardives, mais mieux vaut tard que jamais.
Permettez-moi, au préalable, de formuler toutes mes félicitations et tous mes encouragements au compatriote pour la qualité de la forme et du fond de son article.
Ce travail a le mérite enfin de placer la question de l’aménagement du territoire au cœur du développement de la République centrafricaine. Car l’aménagement, qu’il soit urbain ou rural, doit répondre aux besoins des sociétés. Lorsque le concept de l’aménagement du territoire est bien domestiqué, il peut symboliser avec force la démocratie, surtout quand il est pris comme un acte d’assistance en faveur des zones géographiques supposées pauvres. Les différents territoires nationaux auraient ainsi des droits à la péréquation des richesses nationales.
Nombreux sont ceux qui pensent toujours que la clé du développement de notre pays se trouve ailleurs. Ce qu’ils oublient, c’est que l’aménagement du territoire en est le socle. Il y a une interconnexion indéfectible entre la gestion de l’espace national, c’est-à-dire l’harmonieuse répartition des hommes et des richesses, les équipements et les infrastructures, etc.
L’article procède à un diagnostic assez éloquent du malaise de notre capitale. Le compatriote y procède également à une approche spatiale quantitative et géostratégique pour justifier le choix de Bambari comme capitale idéale. Il touche ainsi une question à laquelle je suis sensible.
Enfin, je voudrais lui signifier personnellement que les analyses faites tant sur Bangui que sur Bambari sont dignes d’une monographie. Je l’assure par conséquent de toute la sincérité de mes compliments.
En citant le N° 1 de la revue Architeca, il a certainement pris connaissance de l’article que j’ai naguère écrit sur Bangui et qui possède quelques éléments de complémentarité avec son article.
Cher compatriote, le but de mon intervention se situe au niveau de l’appréciation quant au fond de votre proposition de Bambari comme nouvelle capitale afin de relancer la RCA.
C’est sur le principe même du déplacement de la capitale que nous avons une divergence. Une mise au point s’impose. Vous écrivez : « Les gens manquant de vision, de courage et tous ceux qui n’ont jamais vécu qu’aux dépens des autres, en particulier de l’Etat, des subsides de l’étranger et des organisations internationales trouveront l’entreprise pharaonique, comme si les premiers pharaons, bâtisseurs d’empire n’étaient point des hommes et des Noirs, comme si la création, la production de la richesse serait totalement et définitivement inaccessibles à nous autres Centrafricains ». Je puis vous assurer que je ne fais nullement partie de cette catégorie de personnes, ce qui ne m’empêche d’avoir une pensée différente. Beaucoup de compatriotes se reconnaissent dans ce cas de figure.
Un simple déplacement dans l’espace de notre capitale ne résout en rien le malaise de notre pays. On commettrait l’erreur de transposer dans l’état tous les problèmes dont souffre notre capitale vers une nouvelle, au risque de les accroître sensiblement.
La centralisation des services et des pouvoirs
est la principale cause du malaise de Bangui
Le fond du malaise réside dans le modèle extrêmement centralisateur hérité de la colonisation, de l’absence d’une politique globale et volontariste en matière d’aménagement depuis 1960 et, enfin d’un manque de gestion décentralisée de nos territoires.
L’administration coloniale française a calqué la conception de Bangui sur le modèle français. C’est-à-dire une structure urbaine monocéphalitique avec une gigantesque capitale qui domine tout le reste, qui détient presque tous les pouvoirs et où sont localisés l’essentiel des infrastructures tertiaires et secondaires.
Ce développement inégal s’est caractérisé, en ce qui concerne Bangui, et surtout après 1960, par d’importants mouvements migratoires vers la métropole. Sachant que, par définition, la première manifestation de la croissance d’une ville est l’augmentation de sa population, l’accélération de l’exode rural s’est donc accompagnée d’un mouvement d’urbanisation ample, rapide et incontrôlé.
Les problèmes fonciers induits et les contraintes naturelles vont aboutir à une extension anarchique qui ne prend en compte ni le cadre de vie des citadins ni les règles élémentaires d’urbanisme, sous le regard impuissant des pouvoirs publics. Le fait qu’en matière de migration, dès lors qu’elle se traduit par un changement de domicile, aucune déclaration ne soit faite ne permet pas aux autorités de mesurer statistiquement l’ampleur du phénomène.
Par ailleurs, les centres urbains secondaires, du fait de leur faible degré d’attraction, ne réussissent pas à fixer, à un niveau intermédiaire, la population migrante.
Tous ces ruraux qui débarquent dans la capitale, bourrés d’illusions, se rendent rapidement compte que les structures d’accueil n’existent pas, et finissent par se rendre à l’évidence. Soit ils naviguent dans l’informel, soit ils basculent dans la délinquance.
La décentralisation comme mode
adéquat pour la relance du pays
A ce système centralisé, responsable du développement inégal, s’oppose un système décentralisé. Le développement local peut générer de nombreuses réalisations et de multiples potentialités. Ce développement ne peut pas être assuré par un sous-préfet ou un préfet, qui ne dispose pas de légitimité démocratique et qui n’exerce ses fonctions dans une circonscription que pendant un temps assez bref.
La décentralisation permet de transférer aux communes ou autres collectivités locales la responsabilité de l’usage de leur territoire. C’est la véritable émanation de la démocratie, celle qui dote les populations des moyens de gérer leurs affaires en toute liberté et responsabilité. Elle favorise le développement des centres urbains secondaires en générant des capitales régionales capables de promouvoir autour d’elles des activités multiformes. En permettant une dispersion plus harmonieuse, plus équitable que cohérente de l’élément migratoire qui mine la croissance de Bangui, on voit bien que la décentralisation est la véritable solution alternative du choix fait jusqu’ici dans le domaine de l’aménagement du territoire.
Nous pouvons bien concilier la décentralisation et l’aménagement du territoire. Il n’y a en réalité aucune contradiction entre les deux car qui dit aménagement du territoire dit volonté de faire en sorte que le développement de l’ensemble des parties du territoire soit coordonné, équitable et solidaire. Or cette coordination, cette équité et cette solidarité, seul l’Etat en a la charge. Il y a une recherche permanente d’équilibre de la gestion du pays car si on ne fait que de la décentralisation sans aménagement du territoire national, on en arriverait très vite à avoir deux ou trois villes très puissantes et le reste des villes centrafricaines vides ou affaiblies. Il est encore bien évident que si l’on prétendait tout régler de Bangui, tel qu’il a été pratiqué jusqu’ici, sans donner les moyens aux communes ou à d’autres collectivités locales qui verront le jour, on en arriverait très vite au contraire de l’aménagement du territoire, c’est-à-dire à assécher le territoire de l’ensemble du pays.
La relance de la République centrafricaine ne se résume donc pas à une transposition cardinale de la capitale Bangui vers Bambari ou Berbérati, Bossangoa, etc. Elle est conditionnée, au-delà de tout ce qui est d’ordre macroéconomique, par le double choix de la déconcentration des services, activités de tout genre et de la décentralisation des pouvoirs.
Une fois ce choix effectué des étapes pourraient être définies :
première étape : favoriser le développement local afin de juguler l’exode ;
deuxième étape : le développement des régions peut provoquer un mouvement migratoire inversé, de Bangui vers les provinces et permettre de désengorger quelque peu la capitale ;
envisager une nouvelle politique d’urbanisme, une politique raisonnée de la gestion de l’espace urbain. Il est par exemple inadmissible de continuer à maintenir à proximité immédiate de Bangui un aéroport dont les effets en matière de nuisance sonore et d’insécurité sont considérables pour la santé des populations. On pourra ajouter à cet exemple tant d’autres problèmes plus techniques comme le foncier, le type d’habitat, la voirie, l’environnement, l’hygiène, etc.
C’est pour cette raison que je fais le choix de conserver Bangui comme capitale, mais de la rebâtir plutôt que de s’en passer. L’objectif étant évidemment refonder une capitale digne de notre pays, une véritable vitrine où on peut prendre le plaisir d’y vivre en toute sécurité, en intégrant des espaces de loisir, de culture et d’éducation pour nos enfants.
Enfin, je préfère une ville comme Bangui qui offre un relief varié à une ville dotée d’une topographie monotone. La colline qui la domine, les rapides qui la symbolisent, les cours d’eau qui la traversent ou qui l’entourent, lorsque l’ensemble de ces éléments peut être mis en valeur, ferait de Bangui une ville admirative et enviable sans pour autant minimiser les aspects géostratégiques qui sont d’un autre ordre de débat.
Gaston-King MAHOUTOU
mahoutougking@hotmail.com