Pour un concentré d’Adalate…

Henri GROTHE & René Mia-Kossi

 

Après le malaise simulé, l’Assemblée nationale centrafricaine, gagnée par l’émotion malsaine, a rejeté par 58 voix la motion de censure initiée par l’opposition parlementaire.

Sur les cent-neuf (109) "honorables députés " composant la représentation nationale, cent-deux (102) ont effectivement pris part au vote en l’absence de sept (07) de leurs collègues curieusement absents. Un autre choix plus simple, quatre (04) autres ont préféré s’abstenir!

Dans n’importe quel pays démocratique, l’acte parlementaire ainsi posé suffirait à prouver " à suffisance la "confiance retrouvée " avec la Nation - elle n’était plus "indéfectible " - d’un gouvernement remanié sous pressions. Seulement, les nombreux actes d’intimidations, posés contre les "honorables députés ", commandent une autre lecture.

Désabusés, les Centrafricains sont plus que dubitatifs face au rejet de l’initiative parlementaire.

Que l’on se situe du côté de la chambre nationale ou de celui de Dologuélé-II remanié, le rejet de la motion n’est ni un choix cornélien, pour la "mouvance clanique et alimentaire présidentielle ", ni une victoire à la Pyrrhus, pour le "réseau Dologuélé ".

Il n’est pas non plus une "tentative heureuse " d’une opposition parlementaire désarçonnée par ceux qui auraient pu s’y rallier patriotiquement.

Pour la Transition démocratique centrafricaine, ce rejet est encore une défaite. Tout simplement.

Très brièvement !

Nous avons un Président pressé de tous côtés par les affaires, son parti et les centres de décisions externes (Paris, Washington, CEE, FMI, ONU,…). Et voilà qu’une opposition parlementaire se rappelle à lui. En connexion avec quelques caciques et intouchables de la mouvance présidentielle, celle-ci décide d’achever la bête féroce à travers son Premier ministre.

En face du Président, un Premier ministre très affaibli. D’abord par les siens, ensuite par le déferlement de scandales à répétition, enfin par la distance "insondable " qui l’éloigne de la Présidence.

Jusqu’à la reprise en main présidentielle du 16 avril dernier, ce Premier ministre ne souhaitait qu’une chose : partir avant qu’il ne soit trop tard ! L’introduction de sa démission auprès de la Présidence, confirmée par des indiscrétions des services présidentielles, et les rumeurs, savamment dosées sur sa prochaine nomination à la Direction nationale de la Beac, semblaient bien l'attester.

Alors que presque tout mène à la Présidence, le Premier ministre, seul contre tous, apparut très affaibli face aux parlementaires prêts à lui porter l’estocade. Tous savouraient déjà la victoire annoncée du parlementarisme centrafricain contre les affaires et l’incapacité maladive du gouvernement.

Hélas, au dernier moment, la mécanique s’emballe alors que tout était justement bien réglé. La présidence et d’autres relations très influentes n’ayant pas abattu toutes leurs cartes. Il fallut compter sur un outsider insoupçonnable : l’Adalate ou l’émotion maladive.

Comment la partie victorieuse y est-elle parvenue ?

Des trois hypothèses avancées par les observateurs nationaux, nous privilégierons volontiers celle d’un président qui réalisa, avant qu’il ne soit vraiment trop tard, la nécessité cruciale de maintenir coûte que coûte un Premier ministre qui, malgré tout, ne lui rendait plus service. Le couple ou duo Patassé-Dologuélé, et, au-delà, la "solidité des relations claniques " devraient être préservés pour la sécurité de tous. Lâché en liberté, avec Yologaza, Dologuélé deviendrait très compromettant et d’autres révélations en cascade pourraient subrepticement envenimer les relations très tendues d’un Patassé avec ses protecteurs extérieurs…

Ici, l’intoxication Dologuélé fonctionna à fond !

Mais l’esprit supérieur du clan [entendu réseau] comprit l’intérêt d’un ravalement de façade de l’État-Mlpc, sinon les craquelures très prononcées de l’édifice finiraient par livrer indistinctement ses résidents à la pire loi de la sélection naturelle. Dans cet optique, un compromis avec la tendance Dobozendi, confirmé par le remaniement ministériel amoindrit les dégâts.

Pour finaliser le pack et le solidifier définitivement, en plus de la "résolution clanique ", on fit d’abord appel à l’argent (quatre indemnités versées aux députés, achat de vote au-delà de la majorité parlementaire…) ; ensuite à l’activisme de la "Jeunesse du Parti Mlpc " qui ne se priva point de menacer des députés de la mouvance présidentielle des pires représailles, de maintenir la pression en manifestant dans les "quartiers rouges " et devant l’Assemblée nationale.

Malgré tout, on crut déceler dans les rangs de l’Assemblée nationale, des foyers de résistance matérialisés par la circulation d’un texte patriotique. " Six irréductibles firent circuler un texte signé qu'ils voteront la motion de censure quoi qu'il advienne ".

La semaine Sainte inspira alors la partie victorieuse. Elle s’y était d’ailleurs bien préparé, compte tenu de la vive tension des derniers jours. Cyniques et contrairement aux autres, elle sait recourir à toutes les armes. Ici l’émotion, méconnue par elle en tant expression saine, sera exploité. Elle fera son œuvre !

De main de maître, le clou du spectacle du Robert Hossein nationale, Dondon Appolinaire Konambaye, devait absolument cadrer avec le dramatique. Tel Jésus, Dologuélé devrait renaître des cendres. A défaut d’une re-création, la résurrection se devait re-transfiguration. La passion du christ de circonstance passant par la prise d’un concentré d’Adalate.

Ainsi, très abattu et supplicié par le crucifix national, la motion de censure, Jésus-Dologuélé trébucha, vacilla puis succomba à la tâche. Mais il eut néanmoins le temps de souhaiter une interruption de séance.

Ce fut très émouvant !

Tout ne fût pourtant parfait ! Quelques failles suscitèrent la méfiance dans la foule des spectateurs. A travers les honorables Massi et Goumba, Hérode Antipas et Ponce Pilate veillaient au grain. " Quand les députés MASSI et GOUMBA, dans un premier temps, s’approchèrent du crucifié, une fin de non recevoir leur était signifiée. C'est par entêtement que MASSI se rendit compte que Dologuélé avait un comprimé sous la langue.

Ô désespoir !

Et voulant en savoir plus, afin de venir en aide au "Jeune PM ", on entendit distinctement le souffleur Dondon Appolinaire Konambaye faire constater que le comprime c’est de l'Adalate ".

Rire dans l’hémicycle après l'évacuation du Premier ministre. Pour les honorables députés, avant de se présenter face à eux, Dologuélé aurait consommé de la Gala ; ceux qui étaient éloignés n’avaient perçu que deux syllabes du souffleur se rapprochant de "Ga-la… ". La célèbre bière tchadienne… !

Dologuélé n’avait donc pas pris son Adalate avant de se rendre au parlement. Alors "comment le président de l’Assemblée nationale pouvait-il sans sourciller identifier le comprimé sous la langue de Dologuélé, s'il n'était pas lui aussi dans la combine? "

Pour un concentré d’Adalate, la semaine Sainte consacra Jésus-Dologuélé. Patassé botta en touche. Et la Transition démocratique centrafricaine "glisse tranquillement " vers d’autres tensions.

Mais, aussi tranquillement, l’échiquier politique se clarifie vers une "révolution miraculeuse ".

 

Gonesse - Bangui, 21-25 avril 2000, 13h30.


Regards et points de vue des partis et mouvements centrafricains