UN DIALOGUE DE CONVICTION PATRIOTIQUE

Le concept de dialogue est galvaudé tous azimuts dans l'idée de sortie de crise et d'instabilité politique centrafricaine. Tout le monde s'accorde implicitement à reconnaître qu'il n'y a pas débat, encore moins libertés démocratiques, dans son acception la plus large.

 Le dialogue inter-centrafricain paraît urgent et incontournable. La Centrafrique des exclus, mais néanmoins silencieuse et majoritaire, n'attends rien de personne et s'évertue au quotidien à satisfaire les besoins de sa survie.

 Est ce vraiment de dialogue national dont nous avons le plus besoin, en ce moment de l'histoire et de la vie, tant de notre pays que de nos concitoyens?

 En effet, dans nos "jeunes démocraties tropicales", l'expression contradictoire au discours officiel est toujours une entreprise risquée. C'est une coutume bien établie de l'autoriser que lorsqu'on est certain que l'on entendra ce que l'on a envie d'entendre!

L'essence de tout prétendu régime démocratique est pourtant la permanence du dialogue. L'idéal pour une jeune nation comme la nôtre aurait dû être la recherche de sa consolidation et par ailleurs la construction d'une société d'hommes et de femmes convaincus de la destinée commune. C'est à ce prix que tout accord peut se faire pour la renaissance du sentiment républicain. L'héritage du père de la nation Barthélemy BOGANDA a été entamé lourdement par la manque de vision des pouvoirs successifs

Aujourd'hui, il est incontestable, les centrafricaines et les centrafricains doivent se retrouver autour d'une "table", d'un "arbre à palabres", en tout cas entre eux mêmes. Quel type de débat amorcé en intégrant toutes les composantes de la nation?

Le dialogue citoyen chez nous est contingenté par les difficultés du système actuel à se maintenir en place, tel qu'il est, tant l'échec socio-économique, la mauvaise gestion des manifestations consécutives, ont engendré des conséquences périlleuses pour la cohésion nationale et le décollage du pays. Le péril commun est présent et pour les futures générations, si l'on y prend pas garde suffisamment. Il faut en toute responsabilité se pencher au chevet d'une société en pleine décrépitude morale, éthique et qui cherche douloureusement des leviers pour rebondir. La création d'un collectif des artistes et acteurs culturels s'inscrit dans cette dynamique de réflexion et d'action commune.

Nous sommes un certain nombre à plaider pour UN DIALOGUE DE CONVICTION PATRIOTIQUE qui devrait se traduire par la liberté exercée par chaque centrafricain, d'exprimer ses aspirations légitimes de bien être, de sécurité, de justice et de liberté…Le projet d'un tel vivre ensemble ne peut être que l'aboutissement d'un échange, d'une remise totale de la parole au peuple ou du moins à ses représentants, imbus de l'intérêt général et pétris de patriotisme.

Est–il utile d'insister sur les vertus du dialogue? Par contre le principe de réalité et la détermination collective de nous en sortir, doivent être les moteurs de telles retrouvailles avec notre conscience citoyenne. De l'Etat zéro dont il a été question dans un échange épistolaire en 2002 nous tendons de plus en plus vers un Non-Etat dont chacun dans sa chaire, dans sa famille, dans son patrimoine, et dans son sentiment de liberté, sait désormais de quoi il retourne.

Le démantèlement du mutisme et de la résignation par l'expression sur la place publique du village, du quartier, du chef lieu de préfecture et de BANGUI la capital, permettra d'esquisser le Dialogue de Conviction Patriotique, en répondant à une seule question: comment chacun conçoit-il un autre avenir individuel et commun?

Le dialogue dont on ne veut pas chez nous est celui qui consiste à envisager la légitimation des pratiques gouvernementales habituelles, déviées qu'elles sont des missions d'intérêt général: santé, éducation, sécurité et défense du pays et de l'intégrité des citoyens, environnement, solidarité, bonne gestion des ressources et créativité libérée…

Un dialogue qui n'apporte volontairement que quelques ajustements de pure forme, au prétexte du "démocratiquement élu", ne peut générer que des propositions molles et qui ne sont pas à la hauteur du défi de la remobilisation et du retour de la confiance de tout un pays. Il alimentera le prochain coup de force et encore à quel prix humain? En excluant quelle frange de "l'élite politico-militaire"? En poussant à la mort ou à l'exil, quelle quantité de centrafricains?

Celui que nous désignons à dessein de DIALOGUE DE CONVICTION PATRIOTIQUE à des caractéristiques différentes, marqué en particulier par le principe d'ouverture et de la recherche d'épanouissement pour tous.

Une équipe de compatriotes indépendants de la compétition politique et déterminés peut travailler à traverser la RCA en deux ou trois mois afin de récolter les expressions, les vœux, les projets et les aspirations les plus authentiques des gens de ce pays. Tous les corps sociaux, les acteurs économiques, les organisations non gouvernementales…élaboreront de façon synoptique une contribution constructive versée au débat sur l'avenir du pays et la place que chacun souhaite y tenir. Une attention particulière dans la réflexion concernera les types de rapports que nous devrions nouer avec les pays et entités extérieurs, dans le processus de reconstruction nationale. Tous ses aspects seront d'importance égale dans l'optique du dialogue de conviction patriotique, aux antipodes des colmatages effectués jusque là.

Quelques questions demeurent en suspens: les objectifs, le mode déroulement et la forme de l'autorité d'organisation des convergences du dialogue inter-centrafricain, en tout cas tel que nous le concevons?

 Le premier objectif est de s'attacher à la détermination des conditions de la stabilité et de l'efficience de la gouvernance politique et institutionnelle. Elle est indispensable pour l'émergence économique et  socio-culturelle de notre pays. Asseoir les bases d'une vie démocratique saine et constructive, tout en cultivant le consensus sur les services publics essentiels et l'encouragement à l'esprit d'initiatives économiques et de l'économie solidaire. Dessiner ainsi les fondements d'une autre RCA que celle vers laquelle nous tendons malheureusement ici et maintenant!

 Le deuxième objectif pourrait être la définition des contours et du contenu de la transition consensuelle, en rupture avec les modalités présentes de gestion des affaires de l'ETAT. La transition dont l'obtention dépend de la mobilisation et de l'engagement individuel et collectif des centrafricaines et des centrafricains, visera nécessairement la viabilisation de l'Etat, de l'économie, de la société et globalement de notre patrie. Par après, la compétition électorale juste et responsable aura lieu dans un environnement assaini.

 Le troisième objectif sera celui de réconcilier les centrafricains avec eux mêmes. La question de l'identité nationale sortira renforcer lorsque par le dialogue et le respect de la parole donnée, émergera les perspectives d'une société ambitieuse, pragmatique et participative de sa propre renaissance.

 Il ne faut pas appuyer un dialogue confisqué par quelques "élites". Il faudra donner la parole à la Centrafrique profonde, paysanne, jeune, active. Un cahier des aspirations des centrafricains mis en route en direct avec le peuple, tel que nous l'avons décrit précédemment est un préalable.

 C'est aussi à une autorité collégiale, choisie à partir de critères non partisan, doté d'un sens aiguë de l'idée de nation et capable de répartie, à qui pourrait incomber la lourde responsabilité de mener à bien l'expression des convictions patriotiques des centrafricains. Une charte pré-définie inspirera les décisions de cette autorité collégiale en cas de blocage dans le débat.

 L'intime conviction de chaque centrafricain doit être partagée, enrichie des diverses intelligences et mise avec force sur la place publique dans le cadre général du dialogue. C'est de l'avenir immédiat de notre pays qu'il est question et pour les futures générations. Une grande perspective s'annonce, elle consiste à tirer les leçons de nos errements, des différends réels ou supposés. La consistance de nos projections dépendra de notre détermination et essentiellement de notre capacité à aller par le dialogue du cœur et de la raison, vers la renaissance de notre pays dans le concert des nations africaines et du monde au XXI ème siècle.

Jean-Pierre REDJEKRA (06 janvier 2003)

Regards et points de vue des partis politiques et mouvements centrafricains