Penser et non panser la Citoyenneté en Centrafrique.
Réponse de
l'appel à contribution du C.C.F.
Par Gervais DOUBA
Enseignant-chercheur en sciences de gestion
Cofondateur de l'OPPE et de DEI-France.
Université de Rouen.
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs; chers compatriotes,
auteurs de l'appel à contribution pour une refondation sociopolitique en Centrafrique du CCF..
Je suis ravi d'accuser réception de l'appel à contribution que vous avez bien voulu me faire parvenir. Merci de me reconnaître la liberté d'être laconique et sibyllin dans mon approche de la question de refondation sociopolitique de la République Centrafricaine.
" L'exploitation du pauvre peut être supprimée, non en faisant disparaître les quelques millionnaires, mais en faisant disparaître l'ignorance du pauvre et en lui enseignant à ne pas collaborer avec ceux qui l'exploitent. Cela convertira ces exploiteurs également."
Mohandas K. Gandhi, Haryan, 28 juillet 1940.
1) Sans polémique aucune, refondation laisse penser qu'il y a déjà fondation et qu'il faut corriger les erreurs architecturales. Or, si la Centrafrique était un immeuble, ses murs qui n'arrêtent pas de fissurer et de lézarder sont le résultat d'un choix architectural et cadastral depuis les indépendances nominales. Les régimes qui se sont succédés ont laissé - à des fins dont eux seuls ont le secret - se fossiliser une logique et une pratique patrimoniale du pouvoir politique qui a tourné et qui tourne résolument le dos à la citoyenneté. Pour ce qui me concerne, je considère que de 1979 à nos jours, les morts dont le seul tort est d'être nés Centrafricains, le sont, parce que l'obscurantisme mêlé à la confusion ,de la coalition civile et militaire qui a toujours cherché à préserver ses acquis et ses rentes de situation féodale. Tant pis- d'après eux- pour un projet de société avec un idéal lisible et crédible. .Nous avons toujours été un peuple sans idéal et sans idéaux, sans identité à l'exception de notre patrimoine commun qu'est le " sango" ; cette poule aux ufs d'or que nous avons tuée !
A mon humble avis, la question se pose plus en terme de modèle de société à conquérir et d'identification sans complaisance des ruptures qui engendrent l'insécurité et les exclusions sous toutes leurs formes et qui aboutissent à un Etat déliquescent..
Sur ce point, ou votre diagnostic est complaisant ou il cache une manuvre politicienne et est " mesquin" parce que s'abrite derrière la théorie de l'imputation.
2) La politique de connivence de la baronnie civile et militaire qui engendre des mécanismes structurelles de domination et de concurrence par la consommation effrénée de l'éphémère..
Votre diagnostic omet de mettre en évidence , c'est-à-dire ne procure pas le principe explicatif du fonctionnement de notre administration et de notre Etat avec son corollaire ".à parents errants, enfants mutants. Nos parents sont passés maîtres dans l'art de naviguer à courte vue dans un monde de plus en plus complexe et compliqué. Les tyrannies et autres régimes monarchiques et autocratiques ont besoin que de sujets , des groupis à bâillonner et jamais de citoyens conscients , informés et formés.
Je n'ai pas le souvenir d'un dirigeant africain qui raté un éléphant dans un couloir Cependant, je sais - au point d'en être incurable - que Patassé et le MLPC l'ont fait.. Le MLPC a fait sa mue et , dans ce dévoiement et cette bifurcation est devenu Le Mouvement de Libération des Prédateurs en Centrafrique Le credo n'est pas différent de celui de son prédécesseur le MESAN et les autres tristement célèbres partis issus des scissions réactionnaires des différentes lignes de l'UNECA et /ou de l'ANECA .
Dans politique de connivence, j'entends l'ensemble des pratiques communes aux barons civiles et militaires depuis les indépendances jusqu'à nos jours pour tenir la vérité captive et organiser insidieusement le partage du pouvoir dans le mépris complet du contribuable citoyen et en compromettant de façon irrémédiable l'avenir et le devenir de notre chère patrie. Tous ceux qui ont eu l'occasion d'exercer le pouvoir organisent bec et ongle, son inaccessibilité aux citoyens et avec un seul credo" devenez tous hommes d'affaires, propriétaires et enrichissez vous avant qu'il ne soit trop tard " Tous les instants sont mis à profit pour affûter les mécanismes invisibles de domination et d'asservissement. tout en sachant que le monde vit un système économique fondé sur la gestion des savoir et des savoir-faire ( Et non la roublardise) Nous les Centrafricains, avons excellemment réussi à mettre en scène la fable du " chat, de la souris et la belette" . Le chat étant celui qui finira par manger aussi bien la souris que la belette, tellement les dés et les règles de jeu sont pipés d'avance !
Notre pays a sombré dans une perte de repères inimaginable à tous les niveaux. Nous; intellectuels civils, militaires et religieux, avons réduit les Centrafricains aux consommateurs passifs d'activités sociales et culturelles, alors qu'ils sont avant tout des créateurs qui devraient vivre de ce qu'ils transforment. A l'exception de l'Etat qui affecte les fonctionnaires sur l'ensemble du territoire, quels les autres secteurs de la vie économiques et sociales qui permettent aux Centrafricains du Sud ou du Nord et d'Est en Ouest de traverser le pays et de vivre de leurs activités ? Les débats contradictoires sont de véritables foires d'empoigne...
Loin de moi la prétention d'être le premier à faire ces observations. Je tiens à vous féliciter de vouloir vous engager pour les autres. Néanmoins, une question me vient spontanément à l'esprit. Un collectif est par définition un groupement hétéroclite des représentants de plusieurs organisations désireuses d'élaborer une charte et de travailler sur la base de cette charte avec mandat impératif vis-à-vis de leur mandant. Partant de cette définition, je pose ma question : quelle est votre légitimité c'est-à-dire quelles sont les organisations qui vous ont mandaté ? Et pourquoi - eu égard à l'enjeu de votre démarche, vous n'aviez pas franchement décliné les identités respectives de ces organisations ?
Après ces remarques, voici les grandes lignes de m a contribution.
Les remarques précédentes constituent à mes yeux des facteurs déclencheurs d'une quête de paradigme pour une innovation des fondements actuels de la Société Centrafricaine dans toutes ses composantes socio culturelles et son orientation politique et administrative.
Je pars de la problématique suivante: Quel paradigme pertinent et crédible garantirait l'aspiration à la citoyenneté aux Centrafricains et les dissuaderait d'avoir à se référer aux tribalisme dans leur engagement politique ou l'exercice de leur métier ? Comment promouvoir et garantir en Centrafrique, l'aptitude à s'affranchir de la tribu pour appartenir à la compétence, à la liberté et développer une culture citoyenne?
Sur le plan politique et administrative, j'entrevois trois axes:
Faire un choix de société; quel sens et quelle direction impulser à l'ensemble des acteurs économiques et socio pour les décennies à venir où notre pays est oublié par la mondialisation ? Faire le bilan de la déconcentration ( et non de la décentralisation comme le disent impudiquement Patassé et toute la classe politique actuelle ) et arrêter de favoriser l'émergence des institutions territoriales à des fins uniquement de propagande sans avoir les moyens financiers et humains de les faire vivre de façon pérenne.
Construire et développer pour les Centrafricains et avec les Centrafricains et leurs partenaires, la culture de la médiation et de l'expertise citoyenne fondée sur la quête du dialogue permanent entre l'Etat, et les collectivités, entre les générations, entre les professions et métiers.
Il s'agit de bâtir des communautés ( famille et communauté, profession et communauté, associations, partis politiques , syndicats et communauté ) Par exemple Pourquoi les communes rurales ou les communes urbaines de la Centrafrique ne se jumellent-elles pas entre elles ? Elles pourraient apprendre des unes et des autres, mutualiser leurs expériences et favoriser les rencontres citoyennes autour des fêtes traditionnelles , avoir des quartiers pour telles ou telles communautés sans en faire des guéthos ou des lieux de replis identitaires. Les Centrafricains ne se connaissent qu'à l'étranger et prétendent que nous avons une unité nationale . C'est une véritable farce et un mensonge grotesque.
Cela n'a rien à voir sur le plan épistémologique et éthique avec les " conférences nationales" ou les soi-disant " Etats généraux ". qui se sont contentés de panser les frustrations de prise de parole dans l'espace publique au lieu de penser la citoyenneté , de faire des choix, de se donner des outils d'évaluation et de faire un bilan à chaque fête des indépendances ( Le 13 Août )
Enfin, ce n'est pas la prolifération des institutions communautaires ou administratives qui convient mais c'est le fait de repenser la méthode de traitement des problèmes. La médiation c'est faire des compromis sans compromission et faire le choix de la diversité dans le refus de l'universalisme ou de l'unité métaphysique qui apparaît dans tous nos concerts ...
La citoyenneté dans la communauté est un processus qui implique que soit aussi posée la question de la représentation. La représentation électorale à tous les niveaux et le respect de la légitimité.(Ce n'est les vocables pompeux de Honorable, Révérend , excellence ou père de la nation - d'ailleurs ce sont tous des infanticides- ) qui importent. L'efficacité et l'efficience ne s'encombrent pas des vocables ronflants et datant du Moyen âge. D'ailleurs les appellations ou qualifications professionnelles sont révélatrices d'une attitude féodale qui ne dit pas franchement son nom, c'est un masque! C'est le fait de s'acquitter de sa mission qui importe. Il me semble que " le comment des choses et le pourquoi des choses " doivent l'emporter sur le " combien , le où et pour caser qui " .
Bâtir les communautés pour les insérer dans le concert des communautés internationales; politiques, syndicales, et scientifiques. Difficile pour un pays comme la Centrafrique de se maintenir en marge des communautés internationales ou d'entretenir inutilement un climat de frilosité avec certaines institutions internationales ou d'être brillamment absent des rencontres scientifiques mêmes Africaines. Que l'université de Bangui ou l'ENS ou l'ENI et autres prennent l'habitude de la confrontation scientifique internationale. C'est un autre volet de l'expertise scientifique citoyenne.
Cette quête a un prix et seul un engagement budgétaire de l'Etat peut favoriser sa réalisation.
Le monde est compliqué et complexe et son appréhension claire doit être l'uvre des intellectuels. Leur participation dans la chaîne et l'entreprise de médiation citoyenne est à souhaiter. D'ailleurs s'ils n'ont pas une lecture épistémologique de haut niveau des complexités du monde, par exemple le traité de l'OMC, les orientations du consensus de Washington ou du club de Paris et leurs effets dévastateurs sur nos concitoyens paysans, la médiation ne sera que du brouillard. Ils se mettra à la disposition des forces néolibérales pour retarder au mieux la réussite du paradigme. D'ailleurs, les cadres travaillant dans les institutions internationales et ressortissants des pays du Tiers du monde en général et de la Centrafrique en particulier, sont majoritairement réacs et participent de loin à l'avènement d'une vraie démocratie citoyenne dans leur pays d'origine.
Une vraie mobilisation des forces économiques et sociales organisées. La Centrafrique n'est pas moins créative ou moins inventive que les artistes et autres des pays amis tels que le Mali, Le Burkinafaso etc Comment se fait-il que ces pays sont de véritables laboratoires de démocraties économiques et le nôtre, loin d'être attractif ? Ne savons nous que consommer ! L'ivrognerie et la beuverie sont-elles notre seule savoir - faire et notre signe de reconnaissance
Mettre en chantier des projets susceptibles d'attirer les ONG .( projets culturels, projets de production, d'amélioration de l'artisanat, des métiers de bouche!
Travailler à retirer de l'emprise des institutions privées - surtout religieuses- l'avenir et le devenir de nos jeunes en matière de politique éducatifve. Si l'on peut, établir une véritable charte sur les programmes scolaires et de formation professionnelle.. e décalage entre les connaissances des jeunes Centrafricains et les diplômes qu'ils prétendent détenir, donne du vertige. C'est un véritable saut entre le vide et le creux.
N'étant pas le seul à proposer une contribution, je m'en tiens à ces trois points. Je suis désolé de ne pas adhérer à votre diagnostic car, la situation que traverse notre pays n'est que la conjonction de nombreuses années d'erreurs fossilisées. Rompons avec cette amnésie collective mais volontiers trieuse et ne développons pas la théorie de l'imputation ou la recherche du bouc émissaire. Pire encore, tout le monde ne peut pas être Président de la République ou de l'Assemblée nationale ou chef de gouvernement ou ministre. Si les fondements de la société sont solides, ils résisteront à la mégalomanie des uns, à l'incompétence des autres . Panser les frustrations de nos parents, panser ponctuellement leur blessure économique , relève plus du paternalisme ( approche patrimoniale du pouvoir et de la politique) n'est pas penser la Centrafrique. Les conflits qui nous déchirent, sont la résultante de cette approche du pouvoir, de cette logique du pouvoir. C'est une lapalissade que de protéger bec et ongle son territoire; source de clientélisme et de domination. C'est cette logique qu'il faut combattre, c'est la racine de tous nos maux, le point d'ancrage de tous les dérives politiques qui gangrènent notre patrie.
Arrêtons de perpétuer ce mauvais cogito de " Je panse donc je suis un homme politique"
Je souhaite à tous bon courage !
Gervais Douba
Regards et points de vue des partis politiques et mouvements centrafricains