Plan de relance pour le Centrafrique (Analyse RCA1)
Le constat est aujourd'hui flagrant qu' en République centrafricaine, les autorités tentent en vain de créer des conditions favorables au soulèvement populaire et à la guerre civile. Jamais, nous n'avons eu autant de discours contradictoires et suscitant la haine tribale. Jamais de mémoire de Centrafricain, un gouvernement n'a fait l'objet d'autant de critiques et de méfiance :
Incompétence : c'est à travers le Premier Ministre (PM) que l'on peut juger le travail d'un gouvernement. Et, en Centrafrique, le fait que celui-ci ait occupé les fonctions du ministre de l'Economie et des Finances (portefeuille qu'il gère toujours jugeant sans doute ses collaborateurs incapables de le faire), tout pouvait donner lieu à penser que la continuité serait appliquée dans la gestion de la chose publique. Or, nommé pour assurer la période préélectorale, le PM centrafricain a lui-même foulé au pieds les accords qu'il a signés avec les institutions de Bretton Woods, le Fonds Monétaire International notamment, en engageant de nombreux militants des partis membres de la mouvance présidentielle dans la fonction publique. Cela a été suivi par des dépenses incontrôlées, suite à la " victoire " aux élections présidentielles un exemple est l'envolée prise par le budget de réfection de la primature).
Détournements : sans revenir sur les pots de vin perçus pour la cession des sociétés parapubliques ou encore de l'utilisation de l'appareil public au service des réseaux de blanchissement d'argent, comment qualifiés les nombreux virements effectués sur des comptes privés à la Bred et au Crédit Lyonnais par la primature ? Que dire du silence du PM lorsque son Directeur de cabinet, en mission à l'étranger, reçoit de nouveaux frais de mission sur la foi d'une pseudo perte d'argent (qui si elle est vrai démontre que même au sommet de l'Etat et avec des anciens cadres de la BEAC aux commandes, l'utilisation des virements bancaires est encore méconnue). Comment expliquer l'enrichissement si soudain des principaux collaborateurs du Chef de l'Etat et de son PM lorsque le pays n'est pas en mesure d'assurer le paiement des salaires, pensions et bourses ou le remboursement de sa dette intérieure, choses indispensables au bon fonctionnement de l'économie nationale.
Arrogance et Insolence : pour doper son image auprès des Centrafricains et de la communauté internationale, le pouvoir centrafricain n'a pas hésité à se payer des pages de publicité dans l'hebdomadaire Jeune Afrique (devenu depuis peu L'Intelligent). Je me souviens encore cet entretien avec le Chef de l'Etat dans lequel il déclare que son PM est un homme intègre et intelligent. Mais, il a lui-même oublié que " c'est au pied du mur que l'on reconnaît le maçon " et non par ses discours. C'est fort de sa croyance, selon laquelle il se trouve dans un désert où lui seul a tout connu et tout fait, qu'il s'est présenté devant les députés en prétendant " avoir les mains blanches ". Il apparaît bien clairement que notre PM n'a aucun respect du Centrafricain qu'il considère comme le dernier des ignares. C'est pourquoi, sa vision des difficultés de ses derniers n'est pas pour résoudre le conflit actuel qui l'oppose aux travailleurs.
Mais que faire devant un tel constat qui, en fait, n'est en rien nouveau ?
Quinze partis politiques de l'opposition viennent de proposer au Président de la République de ne pas aller au terme de son mandat afin d'éviter à notre pays le chaos attendu et déjà bien entamé. Sans leur manquer de respect, je serai curieux de savoir ce qu'ils pourraient proposer en remplacement. Si c'est pour nous offrir une lutte acharnée pour le partage des portefeuilles ministériels, c'est gentil mais nous avons déjà eu notre lot de ridicules. Ce que les Centrafricains attendent aujourd'hui, c'est un plan cohérent même drastique pour leur permettre, enfin, de sortir le nez du tunnel d'appauvrissement dans lequel ils ont été ensevelis depuis une dizaine d'années. A commencer par la résolution du conflit actuel. A cela, j'ai ma petite proposition à faire : un plan en cinq points - étapes.
Le plan que je propose n'a pas pour but de trouver une adhésion massive des Centrafricains mais se veut porté sur l'avenir de notre pays et la mise en œuvre d'une véritable politique économique. Je prends pour hypothèse que chaque fonctionnaire accuse un retard de 24 mois de salaires (moyenne tenant compte de l'inégalité de traitement au niveau du Trésor publique).
Le paiement immédiat de 3 mois de salaire : il serait bon de présenter aux Centrafricains les risques que représenterait le paiement, à courte terme et immédiat, de douze mois d'arriérés de salaires. Sans vouloir remettre en cause la légitimité des revendications des agents de l'Etat, l'arrivée d'une telle masse d'argent aurait pour effet immédiat la hausse des prix (inflation à coup sûr) et du banditisme (un nombre considérable d'armes circule encore dans nos villes). Or, notre pays ne dispose pas de moyens nécessaires pour contrôler et limiter ce risque ; insuffisance de moyens logistiques et humains tant au Ministère des Finances qu'à l'Intérieur et à la Défense.
Le fait de payer 3 mois de salaire permettrait aux uns et aux autres de rembourser une partie de leurs dettes et de reprendre des forces pour le travail qui les entend.
Cette mesure ne peut être correcte que si l'Etat consent à rehausser le niveau des traitements de ses agents. C'est-à-dire, que 6 mois de salaires seraient échelonnés, en surplus du salaire normal versé à terme échu, sur 3 ans contre un relèvement des salaires (selon l'indice des prix majoré d'un taux en fonction de l'état actuel de notre pays) à venir dans les 12 à 18 mois suivant les négociations avec les partenaires sociaux et financiers.
Le rachat des 15 mois restant : dans l'hypothèse des 24 mois de salaires, il en resterait 15 à payer. Chose impossible à réaliser dans un délai raisonnable compte tenu des possibilités de production de notre économie et des risques de dérapages déjà soulevés plus haut.
Je propose donc que l'Etat rachète son passif selon un principe simple mais qui garantirait, en même temps, du travail dans les entreprises privées.
Cette opération se décompose en deux axes : l'échange de 3 mois de salaire contre une garantie de l'Etat auprès des banques pour un crédit immobilier à taux zéro et les douze mois restant servant d'apport pour l'acquisition d'une villa (plan des grands travaux que j'évoquerai plus tard) au bout de 3-5 ans.
Ce qui présente l'avantage de créer de nombreux emplois dans le pays et de garantir à tous les fonctionnaires l'acquisition d'un bien immobilier.
L'adoption d'une loi sur le droit d'inventaire : les centrafricains ont besoin d'être rassurés sur la gestion de la chose publique. Je ne crois pas en ces mesures prises par décret ou visant seulement une catégorie des fonctionnaires (agents de douane essentiellement), ce n'est pas de cette manière que l'on peut véritablement lutter contre la corruption dans notre pays. Les dirigeants centrafricains doivent se faire violence afin de donner non seulement la confiance mais surtout l'exemple à leurs concitoyens. Pour cela, une commission composée d'experts et représentants (élus parlementaires et syndicaux notamment) devra être mise en place afin d'enquêter sur l'enrichissement illicite. Contrairement à la mission parlementaire initialement menée, cette commission aura en son sein des experts de la police judiciaire et de la justice, le but étant de ne pas politiser son action et de mener une réelle investigation dans le but de nationaliser les biens mal acquis.
A l'issue de chaque enquête, la justice doit être saisie et en cas de constat de délit, les peines doivent être exemplaires. Ce genre d'action, lorsqu'il est mené correctement, ne peut être considéré comme une chasse aux sorcières dans la mesure où il ne vise pas une catégorie de personnes selon leurs origines tribales mais de par les fonctions qu'elles ont occupées. De surcroît, cela ramène un peu de justice sociale au regard de ceux qui ont toujours souffert des inégalités de traitement des pouvoirs consécutifs. Il reviendra à l'Assemblée nationale (dans son état actuel mais sans doute avec une nouvelle composition de l'exécutif) de définir la période pour une telle mission.
A cela, s'ajoute l'adoption d'une loi qui obligerait tous les élus, responsables politiques et administratifs (en plus des directeurs de sociétés nommés par les pouvoirs publics) à publier auprès de la Cour des Comptes la liste de leurs fortunes personnelles. Ce qui permet de garantir une transparence dans la gestion et d'éviter l'enrichissement illicite et abusif.
De Grands travaux initiés par l'Etat : notre pays reste un vaste chantier où tout est à faire. C'est pourquoi, les ambitions du Président Patassé en matière de développement agricole, de construction d'universités, d'aéroports, de centres commerciaux, etc. répondaient aux attentes des Centrafricains.
J'avais évoqué plus haut la possibilité de convertir une partie de la dette en investissement immobilier. Cela revient, en fait, à mettre en œuvre un véritable plan de construction de logement afin de faciliter, par la même occasion, le développement de nos villes. La priorité de ce vaste plan de construction est de mettre à la disposition des agents de l'Etat des logements à des prix très compétitifs dans un contexte où il est difficile, pour un fonctionnaire honnête, de construire.
Ce plan s'étend peu à peu à la construction d'édifices publics et aux subventions accordées par les pouvoirs publics au secteur privé, notamment dans le but d'accroître notre parc hôtelier. Il en va de même pour les grands axes nécessaires pour désengorger les rares routes que compte notre pays (le fait de n'avoir qu'une route principale pour desservir une grande ville facilite le travail des coupeur de routes et réduit considérablement la durée de vie des routes).
Dans le cadre de la mise en œuvre d'une telle politique, l'armée est fortement mise à contribution, notamment de par la section Génie militaire, car notre économie n'est pas encore suffisamment solide pour nous permettre de tout confier au secteur privé (il faut absolument éviter d'alourdir la dette intérieure). D'autant plus qu'il sera question de prendre de réelles mesures de lutte contre le banditisme et le braconnage. C'est pourquoi, je ne partage pas l'avis de ceux qui pensent que notre armée dispose d'un effectif important.
Des réformes nécessaires pour asseoir une véritable politique de croissance : toutes les mesures évoquées plus haut ne seront réussies que si l'ensemble de l'appareil public et judiciaire subit une profonde réforme. Les grandes lignes de ces réformes restent à définir en fonction du résultat d'un l'audit de l'administration centrafricaine.
Toutefois les secteurs prioritaires seront :
Il est bien entendu que ce plan manque encore de précision, notamment pour tout ce qui concerne son coût. Et l'on peut être tenté de penser que si les choses étaient aussi faciles, pourquoi, les têtes que nous avons eu dans nos gouvernements n'y ont pas pensé ? A cette question, je réponds par une autre : quel membre du gouvernement est-il déjà arrivé avec un plan de travail clairement défini, si ce n'est quelques exceptions tels que Mac Foy, Da Silva, Gabirol, Biganba, Massi et Gbézéra Bria ? D'autres sûrement que je ne connais pas mais certainement très peu et jamais en même temps. Le partage des portefeuilles ministériels en Centrafrique ne se fait pas sur la base des projets présentés par les partis politiques mais selon des convenances plutôt personnelles.
Le fait de présenter un plan, sans prétendre que celui-ci soit bien cohérent (il a fortement besoin d'avis plus expérimentés), devant les partenaires financiers dont nous avons encore besoin pour longtemps, montre une volonté de sortir de l'air de l'assistanat. Jusqu'à présent, nous avons eu besoin d'argent pour régler nos impayés. Cette fois-ci, il s'agira de doper notre économie, afin de la mettre sur le sentier de la croissance. Le principe étant basé sur celui du multiplicateur keynésien classique mais avec une réelle implication du secteur privé, véritable poumon de la croissance économique.
En effet, le fait de payer 3 mois de salaires d'un seul coup permettrait à l'Etat de récupérer automatiquement de quoi assurer le mois suivant dès le terme échu grâce à la TVA puisque la consommation va en prendre un coup. C'est un cercle vertueux qui se met en route au profit des finances publiques sans tenir compte des rentrées fiscales dues aux importations et exportations hors-CEMAC. La mise en route des réformes créera de nombreuses activités économiques qui aideront à baisser le taux de chômage alarmant de notre pays.
Ce plan a besoin d'un financement des bailleurs de fonds pour sa mise en œuvre. Cela aura l'inconvénient d'alourdir notre service de la dette mais déclenchera un mécanisme qui nous permettrait, à terme, de mieux financer les dépenses publiques qui ne pourraient être véritablement revues à la baisse qu'au bout de 8-10 ans. D'où un bras de fer prévisible avec nos partenaires de la CEMAC au regard des nouvelles orientations de la sous-région. Mais là encore, la cohérence de nos prévisions macro-économiques pourrait jouer en notre faveur.
Je pense que notre pays, en ce début de siècle, a plus que besoin de savoir quelle direction prendre. Pour cela, il nous faut dès à présent penser " avenir " et nous mettre résolument au travail. Rien ne sert de s'attarder sur des détails et des questions de personnes. Le temps étant compté, les Centrafricains ont besoins de résultats plus que de discours. C'est en cela que le gouvernement actuel a échoué. Sans doute que les hommes qui le composent sont compétents et intelligents mais nous avons beaucoup de mal à déceler leurs qualités, et ce n'est pas faute de les chercher. Sans doute aiment-ils tous leurs pays et ont envie d'y réaliser de grandes œuvres mais nous attendons d'eux un peu plus d'attention et de clairvoyance dans leurs orientations : le sacrifice ne peut pas être demandé aux Centrafricains qui ont tant souffert pour leur permettre de vivre dans le luxe aujourd'hui, sans contrepartie. S'il y'a lieu de serrer les ceintures, faisons-le tous en même temps pour que vive le Centrafrique.
Mardi 02 janvier 2001,
Ngou.
Regards et points de vue des partis politiques et mouvements centrafricains