Etats-Unis: La discrimination positive maintenue, mais limitée

La Cour suprême américaine a réaffirmé le droit pour les universités de favoriser les étudiants issus de minorités. Elle a toutefois limité l'application de ce droit, en se prononçant contre des quotas ou l'attribution systématique de points. Cette décision devrait sauvegarder le principe de la discrimination positive, attaquée par l'administration Bush.

RFI Dossiers d'actualité - De notre correspondant à New York, Philippe BOLOPION

La décision de la Cour suprême américaine est équilibrée. A une courte majorité, les juges ont estimé qu'il était acceptable de privilégier un étudiant noir sur un étudiant blanc, dans le but d'assurer la diversité du corps étudiant. Le principe élémentaire de la discrimination positive (affirmative action) est donc sauvegardé. En même temps, la haute cour en a limité les applications concrètes en déclarant inconstitutionnelle l'application de quotas préétablis ou l'attribution automatique de points supplémentaires pour les étudiants issus de minorités. Ce jugement perpétue une pratique mise en place dans les années 60 pour assurer une présence accrue des minorités au sein des universités et des administrations où elles étaient dangereusement sous-représentées. Même si la décision d'hier ne concerne que les universités en partie financées sur fonds publics, elle permettra d'asseoir la pratique de la discrimination positive dans le monde de l'entreprise, dans l'administration ou dans l'armée, à un moment où l'administration Bush semblait chercher à l'affaiblir.

La Maison Blanche s'était en effet jointe aux plaintes de trois étudiants blancs, qui estimaient avoir été écartés des concours d'entrée de l'Université du Michigan et de sa faculté de droit à cause de leur couleur. Les deux premiers, Jennifer Gratz et Patrick Hamacher, avançaient qu'en dépit de leurs bons résultats, ils avaient été recalés au profit d'étudiants issus de minorités. Comme de nombreuses universités, celle du Michigan reconnaît prendre en compte la race comme un critère de choix pour admettre un étudiant. Pour départager les candidats, l'établissement leur attribue même des points mesurant leurs performances académiques, avec des points supplémentaires pour les candidats originaires de minorités sous-représentées, ainsi que pour les enfants de parents ayant fréquenté l'université et les sportifs de haut niveau. Par six voix contre trois, ce système a été condamné par la Cour suprême.


L'intérêt supérieur de la société américaine

En revanche, dans le cas de Barbara Grutter, une mère de deux enfants dont on a refusé l'entrée dans la faculté de droit, les juges, par cinq voix contre quatre, ont décidé que la prise en compte de la race au cas par cas, sans attribution de points ou application de quotas, était une pratique en conformité avec la constitution. La juge Sandra O'Connor, qui a a voté en faveur de la discrimination positive, a justifié ce choix au nom de l'intérêt supérieur de la société américaine. «Cette Cour a reconnu depuis longtemps que l'éducation est à la base d'une bonne citoyenneté, a-t-elle expliqué. La participation véritable des membres de tous les groupes raciaux et ethniques à la vie civique de notre nation est essentielle si l'on veut réaliser le rêve d'une nation une et indivisible». Elle a toutefois déclaré espérer que «d'ici les prochaines 25 années, l'utilisation de la préférence raciale ne ser(ait) plus nécessaire». Cette même juge, qui a permis à la tendance plus libérale de l'emporter sur la question de la discrimination positive, a en revanche voté contre le système de points. «La politique de l'université, qui distribue automatiquement 20 points, soit un cinquième des points nécessaires pour garantir l'admission, à chacun des candidats issus d'une minorité sous-représentée uniquement à cause de sa race, n'est pas conçue de manière adéquate pour remplir l'objectif de diversité dans l'éducation», ont décidé les juges.

C'est la première fois depuis 1978 que la Cour suprême se prononce sur le principe de la discrimination positive. Saisie à l'époque à la suite de la demande d'un étudiant blanc recalé à deux reprises par l'université de Chicago, la haute cour avait condamné la pratique des quotas, en expliquant que la promotion des minorités ne devait pas se faire au détriment des blancs. Mais elle avait en même temps admis que la race pouvait être prise en compte comme un facteur déterminant dans l'admission d'un candidat. Depuis, la discrimination positive a fait l'objet de nombreuses attaques des milieux conservateurs qui veulent y mettre un terme. Ils espéraient être servis par la Cour suprême où siège actuellement une forte proportion de juges considérés comme proches du parti républicain. Ainsi, le président de la cour, le juge William H. Rehnquist et deux de ses confrères ont estimé que la faculté de droit appliquait en fait un programme constituant «un pur effort pour atteindre un équilibre racial» selon lui «manifestement inconstitutionnel». Le juge Clarence Thomas, le seul juge noir de la Cour, a pour sa part estimé que «à chaque fois que le gouvernement met des citoyens sur des registres en fonction de leur race (...) cela nous abaisse tous.»

Bien qu'il n'ait pas vraiment obtenu gain de cause, le président Bush, qui soutenait les plaignants, a applaudi la décision de la Cour. «Comme la Cour, j'appelle de mes vœux le jour où l'Amérique sera réellement une société aveugle aux couleurs» a-t-il déclaré. Mais ses opposants politiques ont sauté sur l'occasion. Le candidat démocrate a la présidence, le sénateur du Connecticut Joseph Lieberman, a affirmé que «les décisions sont mitigées, mais le message est clair : la discrimination positive est constitutionnelle et les efforts du président Bush pour la saper ont échoué». La présidente de l'université du Michigan, Mary Sue Coleman, a pour sa part déclaré à AP que «une majorité de la Cour a fermement endossé le principe de la diversité. C'est une affirmation retentissante qui sera entendue dans tout le pays, depuis les classes de nos universités jusqu'aux conseils d'administration de nos entreprises».

PHILIPPE BOLOPION (24/06/2003)

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