LA DERNIERE LETTRE DE MOBUTU A CHIRAC
* Le maréchal Mobutu menace de dénoncer les crimes des Américains en Angola, exprime son amertume au président français. Il constate qu'il a perdu l'efficience auprès de la population. Enfin, il exprime son intention de remettre le pouvoir à Kabila.
* Mais malade, Mobutu continuait à se prendre pour Dieu sur la terre au point de jeter le doute sur la personnalité de Kabila.
Kinshasa, le 11 mai 1997
A Son Excellence Monsieur Jacques Chirac
Président de la République française
Monsieur le Président,
Avant toute chose, je tiens à vous présenter mes salutations sincères. A vous, tout autant qu'à Madame votre épouse. Au nom de la très longue amitié qui nous lie depuis plus d'une décennie.
Aujourd'hui, la situation est pénible pour moi. Devant la gravité du moment. D'abord, au niveau de mon pouvoir où j'ai perdu l'efficience sur la population. Ensuite, au niveau militaire, il m'est impossible de freiner l'avancée des rebelles vers Kinshasa qu'ils peuvent atteindre à n'importe quel moment.
S'agissant de Kinshasa, je ne peux favoriser un bain de sang inutile. Car, en tout état de cause les rebelles l'atteindront bien. Tout étant affaire de temps.
Faut-il vous rappeler que je fais face à une guerre injuste ? Aujourd'hui, les Etats-Unis et la Grande Bretagne par l'intermédiaire de l'Afrique du Sud, de l'Ouganda, du Rwanda et de l'Angola utilisent le chef de bande Laurent Désiré Kabila pour me poignarder dans le dos profitant de ma maladie.
Autrefois, les Etats-Unis ont été mes alliés, souvenez-vous de l'épisode angolais. Je me réserve le droit de publier dans les prochains jours mes mémoires. Alors, le monde entier saura enfin des vérités insoupçonnées jusqu'ici.
Mon ami, vous savez aussi bien que moi que le chef de bande Laurent Désiré Kabila est une personnalité douteuse, génocidaire et inappropriée pour diriger le Zaïre comme chef de l'Etat. J'ai tout essayé pour empêcher cela. Mais ses maîtres occidentaux, les Etats-Unis en l'occurrence le soutiennent et l'encouragent dans cette voie.
Devant l'obstination américaine et la dégradation continue de mon état de santé, je suis obligé de vous annoncer mon intention de transférer le pouvoir à Kabila lors de notre prochaine rencontre sur Utenika le 14 mai prochain.
Que Dieu aide le Zaïre
Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Waza Banga
Président de la République
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Le maréchal du Zaïre a été chassé du pouvoir le 17 mai 1997. Avant cette date fatidique, beaucoup d'initiatives ont été tentées dans le but évident d'épargner au dictateur une chute humiliante en évoquant comme prétexte, le souci d'éviter le bain de sang à Kinshasa et celui de sauvegarder l'unité nationale. Dans la lettre datée du 11 mai 1997 adressée à Chirac, Mobutu sait qu'il ne peut plus rien et n'ose même pas appeler le président français au secours. Tout ce qu'il fait, c'est se lamenter notamment en accusant la Grande Bretagne, les Etats-Unis et certains pays africains de le poignarder dans le dos.
Il n'était nullement question à l'époque de céder le pouvoir pour éviter le bain de sang ou encore pour sauvegarder l'unité nationale. Car, autant les Faz n'ont pas combattu ailleurs, il n'y avait pas de raisons qu'ils résistent à Kinshasa. Car, les événements se sont précipités le 15 mars 1997 avec la chute de Kisangani. Les autres grandes villes ont suivi. Quand Mobutu écrit cette lettre, toutes les initiatives, dont la rencontre du 08 mai à Libreville, ont échoué. Le 10 mai, la réhabilitation de Mgr Monsengwo n'était pas de nature à arrêter l'avancée des soldats de l'Afdl. Les observateurs remarquent une contradiction entre le retour de Mgr Monsengwo, comme remplaçant constitutionnel et l'intention déclarée dans la lettre de céder le pouvoir à Kabila.
En présentant Kabila sous le mauvais jour auprès de Chirac, le maréchal espérait de ce dernier un dernier sursaut impérialiste pour barrer la route à Kabila. Cette stratégie lui avait réussi pendant la guerre froide. C'est le même argument de "personnage douteux" collé à Lumumba qui avait mobilisé les Occidentaux. Si la guerre de Kabila avait eu lieu à l'époque de la lutte contre le communisme, en lieu et place de bain de sang et la sauvegarde de l'unité nationale, Mobutu allait évoquer le danger de l'invasion communiste, argument qui avait pesé dans la condamnation à mort de Lumumba.
Mobutu menace de dénoncer l'implication des Américains et des Britanniques dans le soutien à l'Unita en Angola
"Autrefois, écrit le maréchal, les Etats-Unis ont été mes alliés. Souvenez-vous de l'épisode angolais. Je me réserve le droit de publier dans les prochains jours mes mémoires. Alors, le monde entier saura enfin des vérités insoupçonnées jusqu'ici !" Cette menace est un aveu, une dénonciation. On n'a pas besoin d'attendre la publication des mémoires de Mobutu pour savoir en quoi cela retourne.
La question qui brûle sur les lèvres de tous est certes de savoir si jamais les vérités que contiennent les mémoires de Mobutu seront connues un jour. L'annonce de leur publication sous forme de menace avait suffi pour alerter les Occidentaux. On comprend alors aisément comment et pourquoi les mêmes Américains et Britanniques qui avaient soutenu Kabila dans la guerre de libération, sont aujourd'hui ligués contre lui. La réponse est simple.
Les Américains n'avaient pas eu la peine de convaincre Mobutu qu'il n'en avait plus que pour quelques mois à vivre. Et il suffisait également de le rassurer que Kabila n'en aurait aussi que pour quelques mois de règne. On a fait miroiter à Mobutu le retour aux affaires de ses héritiers tant biologiques que politiques. Comme cela, sa mémoire à laquelle il tenait tant serait gardée. Il n'y avait pas quelque chose qui pouvait rassurer le maréchal et le décider d'attendre tranquillement sa mort à Rabat au Maroc que cette promesse. Il est en fait mort le 7 septembre 1997, soit quatre mois et 10 jours après sa chute. Sa lettre à Chirac, explique en grande partie la guerre imposée à la Rdc depuis le 2 août 1998. En cherchant à écarter Kabila du pouvoir, les Occidentaux veulent respecter leur tradition de n'accepter dans ce pays aucun régime nationaliste. C'est encore une façon de dissuader les héritiers de Mobutu de publier les mémoires accablantes de leur père. La guerre actuelle au Congo est une façon de falsifier l'histoire, de taire la mémoire.
Quand on sait qu'actuellement en France on voudrait exhumer le dossier d'Algérie, on peut se demander jusque quand la vérité sur les horreurs de l'Angola par Mobutu et ses alliés américains sera-t-elle tue ?
EDITORIAL du 30 -11 - 2000 (
L'AVENIR-QUOTIDIEN)La lettre du dictateur congolais à Chirac et que le professeur Vunduawe a repris dans son livre "A l'ombre du léopard" est pleine de renseignements. La première vérité qui s'y dégage, c'est que réellement, comme d'aucuns l'avaient soutenu pendant la "transition démocratique" du Zaïre, Mobutu était ami à Chirac. Mais cette amitié, selon les termes de Mobutu lui-même, remonterait à dix ans c'est-à-dire vers la fin de la décennie 80. A cette époque, on sait que le Congo déjà en pleine crise économique ne présentait plus une image luisante. Au plan politique, Mobutu avait fini de "construire" sa dictature. L'autre vérité, c'est que Mobutu maniait bien l'arme du chantage.
Qu'est-ce que cela veut dire, sinon qu'il est abusif de mêler la France, mieux Chirac au tort causé par le régime du maréchal au peuple congolais. C'est pourtant l'impression que beaucoup de Congolais ont eu au lendemain du discours du 24 avril 1990 dans lequel Mobutu annonçait la démocratisation du pays. On peut remonter jusqu'à Giscard d'Estaing pour relever l'intervention française dans la guerre du Shaba. La vérité c'est qu'à cette époque et particulièrement dans cette guerre, l'intervention française s'inscrivait dans le cadre du bloc occidental dans sa lutte contre l'invasion communiste. Les Français n'étaient pas seuls au Katanga. Les Américains y étaient aussi avec la logistique. C'était la grande époque de l'amitié franco-congolaise certes, mais aussi celle des nocés entre le Zaïre et les Etats-Unis. Mais comme nous l'avons dit, cette amitié ne peut se comprendre en dehors de la stratégie anti-communiste.
Comment donc, en 1990, Chirac a-t-il été considéré comme le forgeron du dictateur zaïrois et la France le pays à bannir? Le combat anti-français a été mené et soutenu par une certaine opposition. Le boycott des produits français a été tenté, alors que les Britanniques et les Américains ont été considérés comme des anges. Et pourtant, Mobutu le dit lui-même, les Américains et les Britanniques ont été ses alliés et non ceux du Congo. Il menace même de les dénoncer. Dieu seul sait si ces mémoires des Mobutu seront un jour rendues publiques. Pendant ce temps, les Américains sont prêts à fouiller dans la vie des dirigeants congolais pour trouver dans leur passé des actes nécessitant la condamnation.
C'est une manipulation qui consiste à détourner l'attention vers les innocents pour permettre aux coupables de se tirer sur la pointe des pieds. La guerre actuelle en Rdc a apparemment pour finalité, le retour aux affaires de ceux qui gardent les mémoires de Mobutu. Pendant longtemps, les héritiers de Mobutu ont essayé de se tenir à l'écart de l'agression, question de ne pas provoquer l'aversion des congolais dont les plaies ouvertes par la dictature dont ils portaient la marque étaient encore béantes. Mais finalement, gagné par l'impatience, Zanga Mobutu a été obligé d'aller se faire expliquer le plan et les raisons du retard pris pour arriver à Kinshasa. Manda Mobutu quant à lui, a multiplié les déclarations. L'attente sera encore longue tant que le peuple, malgré les difficultés, continuera à s'identifier au combat de Kabila.
© Groupe de Presse L'AVENIR - Edition du 30 novembre 2000 -