Afrique Centrale et de l'Ouest : Peu de profit de la manne pétrolière, constatent des évêques
ABIDJAN, 18 juillet (IRIN) - LAfrique
centrale est riche en pétrole et autres ressources naturelles mais ses habitants figurent
parmi les plus pauvres du monde, ont constaté des évêques, qui ont invité les
compagnies pétrolières, les gouvernements, les organismes internationaux et les églises
des pays occidentaux à aider à mettre fin aux inégalités liées à lindustrie
pétrolière dans la région.
Lappel a été publié dans une lettre pastorale conjointe sur limpact du
pétrole dans la région, distribuée à lissue de lassemblée plénière de
lAssociation des Conférences épiscopales de la région dAfrique centrale
(ACERAC), tenue du 7 au 14 juillet à Malabo, capitale de la Guinée équatoriale.
Une région pétrolière stratégique
La quasi totalité des pays de la région est soit un producteur de pétrole établi, soit
un producteur nouveau ou prospectif. Depuis près de trente ans, le Cameroun, le Gabon et
la République du Congo exportent le pétrole. Le Tchad et la Guinée équatoriale entrent
progressivement au rang des pays producteurs de pétrole. Les recherches pétrolières
semblent prometteuses dans le Nord-Est de la République Centrafricaine, ont noté les
évêques.
Le Golfe de Guinée qui comprend le Cameroun, le Congo, la Guinée équatoriale et
le Gabon, de même que le Nigéria - , dans son ensemble, devient une zone stratégique
importante dans lexploitation du pétrole mondial, ont-ils affirmé.
« Il offre une alternative intéressante au Moyen-Orient », ajoute le document intitulé
"L'Eglise et la pauvreté en Afrique centrale: le cas du pétrole". «
Vingt-cinq pour cent du pétrole américain sera bientôt importé dAfrique
subsaharienne, avec une part importante tirée de nos pays ».
Pourtant, la vaste majorité des habitants de lAfrique centrale na pas
bénéficié de son pétrole et ce pour plusieurs raisons, indiquent lACERAC (en
anglais : Association of Episcopal Conferences of the Region of Central Africa).
Alors que les Etats membres de lOrganisation des Pays Exportateurs de Pétrole
(OPEP) ont nationalisé leur secteur pétrolier, le pétrole d Afrique centrale en
revanche est aux mains des compagnies étrangères privées, tant et si bien que son
revenu arrive sous forme de taxes. Les pays de lOPEP effectuent des coupures de
production pour maintenir leurs prix à niveau. Les compagnies dAfrique centrales
nont pas un tel levier.
Les évêques ont également dénoncé ce quils perçoivent comme une « complicité
» entre les compagnies et les politiciens de la région, où les revenus pétroliers sont
utilisés pour maintenir les régimes au pouvoir et où « les contrats sont élaborés et
signés dans le secret absolu ». « Les contrats que nos Etats signent avec les
compagnies [pétrolières] sont sûrement à lavantage de ces dernières et
renforcent notre dépendance économique », ont-ils souligné.
Le peu de dividendes qui découlent de tels contrats nont pas contribué à
latténuation de la pauvreté et les taux élevés danalphabétisme, de
mortalité et de malnutrition caractérisent encore la région, tandis que les
infrastructues routières, sanitaires et scolaires « laissent totalement à désirer ».
Les peuples de la région paient un lourd tribut.
Pour les évêques, les bénéfices négligeables quen ont tirés les peuples de la
région sont diminué par rapport au tribut quils ont eu à payer.
En dépit du fait que lexploitation en mer présente habituellement peu de danger
direct sur la vie des populations, elle affecte néanmoins la population maritime et les
déversements occasionnels dans la mer portent nécessairement atteinte à
léquilibre de lenvironnement. « Une étude est en cours au Congo où ont
été constatés des changements en bordure de mer dans les zones pétrolières », a
informé lACERAC. Les effets de lexploitation pétrolière sur terre sont plus
aisés à voir : « la biodiversité est en danger et la population directement soumise
à linflation et aux maladies endémiques ».
Lexemple du pipeline Tchad-Cameroun lillustre clairement, poursuivent les
évêques, en faisant allusion à un projet prévoyant la construction dun oléoduc
par le biais duquel le pétrole des nouveaux champs dans le sud du Tchad sera pompé vers
le port de Kribi, dans le sud-ouest du Cameroun. En dépit des assurances données par les
différents partenaires engagés dans ce projet, des effets néfastes sont constatés dans
différentes localités, a encore noté lACERAC. Lharmonie est perturbée dans
certaines communautés du fait de la flambée des prix des denrées de première
nécessité, des réclamations daugmentation des salaires, de la recrudescence de la
prostitution avec son corollaire le Sida, de la perturbation des murs et de la
destruction obligée de la nature, ont noté les évêques.
Le constat est fait du « déséquilibre entre les préjudices subis du fait des
expropriations dune part et les mesures compensatoires dautre part ». « Les
entreprises pétrolières violent les engagements pris dans les domaines de la
protection de lenvironnement, de loctroi des emplois et des marchés »,
daprès les hommes déglise, qui soulignent que lautorité
administrative locale abuse de son pouvoir pour faire pression sur les populations afin
quelles se soumettent à des décisions injustes des exploitants du pétrole.
Le pétrole a également attiser des conflits dans la région, ont-ils remarqué, notant
quà lintérieur des Etats, une certaine animosité règne entre les zones
abritant les sites pétroliers et les autres. « La localisation territoriale des puits de
pétrole et linégale répartition des revenus pétroliers sont devenus des
arguments en faveur dun nouvel émiettement de nos pays », ont souligné les
évêques. Et dajouter que les relents sécessionnistes, régionalistes et
ethnicistes qui hypothèquent la cohésion des Etats se justifient entre autres par
linjustice dans lexploitation des ressources naturelles que regorge une zone
donnée. Le contrôle de la manne pétrolière est au centre de plusieurs
luttes pour le pouvoir dans la région. Les revenus pétroliers ont servi au financement
de lachat des armes et à lentretien des milices privées dans certains
Etats de la région, « quelquefois avec la complicité des compagnies pétrolières »
qui, « en fonction de leurs propres intérêts, ont apporté des appuis financiers et
logistiques à des partis belligérants dans la région ». Les conflits ainsi engendrés
ont largement contribué à la diffusion des armes dans la sous-région, armes qui sont
devenues lune des principales causes de linsécurité « aux frontières comme
à lintérieur de nos pays ». Il est à craindre que demain, certains pays
régionaux n entrent en guerre les uns contre les autres au nom de la violation des
zones pétrolières frontalières, ont-ils averti.
Ce que doivent faire les gouvernements et les transnationales Les évêques ont salué
luvre de ceux qui semploient à éliminer l injustice, la
corruption, les violations des droits de lhomme et la dégradation écologique en
Afrique centrale, mais ont relevé quils sont encore rares. Ils ont appelé les
autres personnes à se défaire de la peur et de légoïsme et à se joindre à la
lutte pour le respect de la dignité humaine, la préservation des droits des peuples et
de la justice sociale.
Ils se sont félicités des mesures régulatrices et correctrices prises ou prévues par
certains Etat dans des secteurs tels que la gestion des revenus pétroliers, la protection
de lenvironnement et les accompagnements sociaux, et ont exprimé le vu que
dautres Etats leurs emboîtent le pas et, surtout, que les mesures soient
appliquées.
LACERAC a invité les gouvernements à :
oeuvrer pour la juste répartition des fruits du pétrole par l
investissement des revenus générés dans les secteurs sociaux offrant les services à
coût réduits à tous les citoyens et citoyennes ;
gérer les ressources naturelles de manière prévisionnelle en créant des fonds fournis
pour les générations futures et en investissant dans la diversification des activités
économiques ;
favoriser la transparence en impliquant la société civile dans tous les processus de
prise de décision, notamment par la diffusion des informations relatives à
lexploitation du pétrole et des autres ressources, et par les consultations des
groupes organisés lors de l élaboration des contrats.
Ils ont également demandé aux gouvernements de « veiller au respect des engagements
pris par les compagnies pétrolières et toute autre entreprise engagée dans
lexploitation du pétrole ; et à « prévenir les conflits en investissant non dans
larmement, mais dans les activités dédification de la paix ».
Ils ont aussi salué loption prise par certaines compagnies pétrolières d
élaborer des codes de conduite pour corriger les erreurs du passé et soigner leur image
de marque. Les évêques ont cependant exhorté toutes les compagnies pétrolières
transnationales au respect total de « la vie de nos peuples, de notre environnement et de
nos droits personnels et sociaux ».
Il a également été recommandé aux compagnies délaborer des plans de
compensation justes allant au-delà de laspect matériel pour intégrer les
préjudices moraux causés par leur action sur lharmonie des peuples et des nations
; et de considérer les populations locales comme des partenaires en leur offrant la
possibilité de définir leurs besoins en matière de compensation communautaire et
douvrage social à réaliser.
Il leur a été demandé de sabstenir de toute implication directe ou indirecte dans
les conflits de la région ; et de contribuer à la transparence et à la lutte contre la
corruption en publiant les revenus pétroliers quelles reversent aux Etats.
Comment la Banque mondiale et les églises occidentales peuvent-elles aider ?
Les évêques ont apprécié limplication des institutions financières
internationales dans le processus dexploitation du pétrole. La Banque
Mondiale par exemple met aujourdhui un accent particulier sur lutilisation des
revenus du pétrole pour la réduction de la pauvreté.
« Que ce vu noble devienne réalité par le refus de la Banque à cautionner tout
engagement qui sécarte de cette ligne directrice », ont déclaré les évêques.
« Quelle mette en place des mécanismes de suivi participatif des projets
pétroliers dans notre région et qu'elle évalue lefficacité de ses directives
opérationnelles et mette en place des moyens et critères pour les rendre davantage
concrètes ».
Les évêques se sont déclarés infiniment reconnaissants aux églises particulières
dautres pays et dautres continents qui manifestent constamment leur
solidarité à lendroit de celles dAfrique centrale.
« Les compagnies pétrolières qui sont en activité dans notre région ont leur base
dans vos pays », ont-ils poursuivi. « Nous souhaitons que vous soyez lécho de nos
voix dans vos pays respectifs ».
« Que toutes les bonnes volontés qui, dans vos pays, engagent des actions en faveur de
lhumanisation de lexploitation du pétrole dans notre région trouvent auprès
de vous un réel support ».
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