Sous-dévéloppement et moins d'Etat : les privatisations en Afrique

 

En Afrique Subsaharienne les mouvements de désétatisation n'ont pas encore été ressentis comme un moyen pour atteindre un objectif. Ils ont été plus considérés comme une solution perturbatrice de l'équilibre socio-politique de la région (déjà précaire), imposée de l'extérieur (entre autres par le F.M.I. et la Banque mondiale) pour sortir du sous-développement. Ce constat est conforté notamment par la réticence des décideurs politiques locaux à se débarrasser d'entreprises qui sont encore capables de faire des bénéfices. Sans se poser la question par rapport à la pertinence d'une telle prise de positions; au regard de besoins financiers et technologiques de la région et des évolutions récentes du paysage économique et politique. Il importe de se poser des questions simples pour éclairer les décisions futures relatives aux privatisations dans la région : pourquoi privatiser ? Quel a été l'impact des privatisations sur l'économie de la région après plus de dix ans d'un intense mouvement de "désétatisation" ? Ce mouvement de privatisations ne nécessite-t-il pas des améliorations et des compléments en terme de profondes réformes notamment de l'Etat ?

I. Les deux principales justifications de la privatisation...

Les avantages qui justifient habituellement la nécessité d'une privatisation sont principalement de deux ordres : macro-économique et micro-économique. Sur le plan macro-économique, la privatisation contribue à rétablir les grands équilibres, particulièrement au niveau du budget de l'Etat. Au niveau micro-économique, la privatisation est supposée apporter sur le plan technique une grande efficacité par rapport à la gestion publique. L'entreprise privée du type managérial met en place plusieurs garde-fous et de mécanismes de contrôle et de meilleure circulation d'information à moindre coût. L'entreprise publique quant à elle, crée un environnement défavorable à l'efficacité économique sur au moins quatre aspects : par sa situation de monopole qui lui fait acquérir des comportements de retraités en vacances, face à la concurrence; par son faible degré de contraintes par rapport à la faillite et à l'insuffisance de trésorerie; par son anémie envers la notion de risque et l'absence de répartition claire de responsabilité en son sein, ainsi que par ses coûts de production exorbitants. Dans le cas de l'Afrique Subsaharienne, il semble que quelques réserves, marginales selon certains, peuvent être émises, à l'encontre de ces deux types de justifications.

...qui demeurent controversées en ce qui concerne l'Afrique Subsaharienne

D'une part au niveau macro-économique, quelques questions n'ont pas encore trouvé de réponses, puisqu'elles semblent ne pas être à l'ordre du jour dans ces Etats. Qu'advient-il des secteurs vitaux pour la population, dédaignés par les investisseurs privés ? La causalité entre l'entreprise publique et les déséquilibres macro-économiques est elle systématique ? Il semblerait que non, la spécificité du système et les structures politico-économiques en Afrique Subsaharienne ont été trop vite négligées, notamment l'économie de rente et le comportement des dirigeants d'entreprises publiques, etc..

D'autre part, les fondements micro-économiques de la privatisation relatifs à la comparaison entre entreprise privée et entreprise publique, sont ils adaptés à des pays où le tissu industriel est quelques fois quasi inexistant ou souvent embryonnaire ? Par ailleurs, le raisonnement centré exclusivement sur l'efficacité économique, ne dénie t-il pas une redistribution de revenus nécessaires à un équilibre social ( indispensable au succès de la privatisation) ? A cette dernière question les faits permettent de répondre positivement à court terme, mais la privatisation demeure à long terme un facteur d'équilibre et de régulation optimale. Cependant, au-delà de la nécessité de la privatisation en Afrique, les stratégies adoptées jusqu'ici, sont-elles les plus efficientes et judicieuses ?

II. Des résultats somme toute décevants à court terme...

L'on peut dire avec assurance que les années 1980 ont été celle de la privatisation en Afrique Subsaharienne : plus d'un quart des privatisations dans les pays en voie de développement y ont été réalisées, correspondant en moyenne à 17 % du PIB de la région. Cependant, la valeur des privatisations en million de dollars est négligeable, moins de 1% de la valeur des entreprises privatisées dans les pays en voie de développement. Ce pourcentage qui relativise la portée des privatisations dans la région, peut s'expliquer d'une part par la faible participation de ces entreprises à la fabrication de produits à haute valeur ajoutée; du fait notamment de la spécialisation régionale dans la production de matière première. D'autre part la privatisation a été souvent une sorte de liquidation judiciaire pour des entreprises en situation de "coma avancé". Enfin, les modes de cessions - souvent partielles - de ces entreprises, ont été la plupart du temps réalisés dans une perspective de déréglementation que de privatisation. La nuance est de taille : la déréglementation suppose un renforcement des mécanismes de la concurrence dans un cadre où l'Etat reste très présent, alors que la privatisation suppose un transfert de l'Etat au privé à concurrence d'au moins 50% de ses participations.

Au regard de ce résultat, l'on peut rester perplexe à propos du double objectif assigné à la privatisation dans la région : d'une part, l'assainissement des finances publiques par la réaffectation des recettes de la privatisation et le ralentissement de la croissance de la dette publique, ainsi que son amortissement; d'autre part atteindre une sorte d'optimalité parétienne (égalitaire ?) dans la répartition des ressources par les entreprises privatisées. Cette dernière hypothèse semble effectivement velléitaire, au regard de deux procédés timidement utilisés : le développement de l'actionnariat particulier - malgré l'insuffisance notoire de l'épargne locale formelle - et la possibilité accordée aux salariés de participer au capital de l'entreprise. Les inégalités auraient pu être atténuée, si ces privatisations auront eu lieu dans un contexte où les appareils judiciaires ont fonctionné de manière optimale.

Si les privatisations, ou la dévaluation du franc CFA, sont nécessaires, leur influence financière et organisationnelle (au sens de restructuration de l'espace de production et de la sphère commerciale) en Afrique Subsaharienne demeure marginale; du fait notamment de la taille des entreprises privatisées, de leur état lors de la vente, des modalités et du contexte de leur cession. Ce bilan plus que décennale, somme toute décevante peut cependant être amélioré.

...qui doivent, pour plus d'efficacité, être améliorés et complétés

Sans doute ces privatisations ont eu une double contribution. D'une part, elles améliorent la performance des entreprises concernées et la situation macro-économique de ces Etats, ne fusse que par l'endiguement de dettes publiques qui auraient pu être aggravées par le maintien de certaines entreprises sous perfusion. D'autre part, elles participent à un accroissement de l'efficacité économique en mettant en place un Marché qui sanctionne les mauvais choix d'investissement. Toutefois, pour atteindre leur plénitude en terme d'efficacité, les stratégies de privatisations adoptées jusqu'à maintenant dans la région, doivent être réformées de manière interne : les modalités,...mais aussi externe (l'environnement dans lequel la privatisation a lieu).

Ainsi l'appel à des investisseurs extérieurs et variés pour éviter des situations d'oligopole et de clientélisme est nécessaire à deux titres. En effet, elle va permettre d'une part une allocation optimale de ressources; d'autre part dans l'état actuel des marges de manoeuvres limitées des Etats africains sur les marchés financiers, ces entreprises peuvent permettre des transferts d'expérience (technique,...), de savoir-faire (qualification,...), de connaissances, mais aussi de devises (nécessaires à une relance économique dans la région). Ces facteurs de développement endogène (sans doute parfois générateurs d'externalités) ont jusqu'ici été négligés dans les stratégies de désengagement de l'Etat en Afrique, en particulier en Afrique francophone. L'argument selon lequel, il est nécessaire de maintenir les entreprises dites "stratégiques" dans le giron de la gestion publique peut laisser perplexe : d'une part quand on connaît la réalité et la signification actuelles du mot "indépendance" dans la sous-Région; d'autre part, rien n'interdit à l'Etat en question de garder l'oeil sur ces entreprises en limitant sa participation à une minorité de blocage ou de contrôle.

En outre, si les modalités de privatisations peuvent être améliorées, dans un contexte économique où notamment le commerce extérieur - nerf de la guerre en la matière - ne repose plus exclusivement sur l'avantage comparatif. Il serait suicidaire pour les Etats africains de se contenter de livrer l'appareil de production au privé. Ce serait simplifier la réalité économique que de lier systématiquement l'efficacité économique et la concurrence à la structure du capital, comme pendant la période post-coloniale de l'hymne à la nationalisation. La concurrence et l 'efficacité économique dépendent en fait de la liberté de prix et de la structure du marché. Outre les nécessaires réformes de l'Etat, tout au moins des institutions (notamment juridique : garant du respect des règles de la concurrence), l'Etat doit accompagner et soutenir avec ses faibles moyens le développement du secteur privé, les investissements lourds, les progrès techniques, la formation. L'échec de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis dans ces domaines doit faire réfléchir, par rapport au Japon et à l'Allemagne. Il revient à l'Etat d'organiser efficacement des espaces de sociabilité, de responsabilité et de l'effort, pour le relayer dans les domaines où ses faiblesses ont été patentes ces trente dernières années. L'entreprise privée ne pourrait pas être la seule à occuper ces espaces; elle doit avoir comme appoints des structures coopératives, associatives, ... Il faut se souvenir que l'orthodoxie du non-Etat ou de l'Etat minimal n'est qu'une vue de l'esprit que les économies développées n'ont même pas daigné s'auto-appliquer.

G.L. Philippe LOUNGOULAH

 

Retour à Ressources . Retour au début de page
Webvmaster@sangonet.com