La réussite des nouvelles puissances industrielles (NPI) asiatiques -Corée du sud, Hongkong, Singapour, Taiwan- a remotivé les projets industriels qui étaient encore en friche dans les Tiers Nations. L'espoir qui trouvait sa justification dans les révolutions industrielles en Occident s'est ainsi concrétisé. Ces expériences réussies en Asie ont renforcé ce qui n'était pour beaucoup d'Etats africains qu'une aspiration. A tel point que certains cherchent des similitudes dans le fétichisme totémique : à l'exemple des dragons d'Asie, nous avons maintenant des éléphants d'Afrique. L'expérience et les faits montrent qu'il ne suffit pas d'afficher des intentions en matière de technologies et d'accumuler massivement des objets techniques n'ayant a priori qu'une faible utilité locale. Encore faut-il construire un projet technologique cohérent par rapport aux besoins du développement local. En d'autres termes, les technologies ne se réduisent pas aux seuls aspects techniques des produits et des procédés. Elles sont fondamentalement une vision stratégique claire et une prise en compte de l'essence de la société et de l'espace dans lesquels elles s'insèrent. En cela, les technologies constituent un procès socio-économique total.
L'état technologique des Etats africains subsahariens nous autorise en la matière à tirer quelques leçons constructives pour l'avenir. Si dans la sous-région l'industrie est encore embryonnaire -à l'exception du Nigéria- trois éléments explicatifs majeurs des échecs d'industrialisation peuvent être révélés.
D'une part, l'industrialisation diffuse, variable, rampante et spécifique à chaque pays, s'est faite en important des technologies et des objets techniques sophistiqués avec des charges devenues très vite écrasantes pour des Etats jeunes, dépendants et fragiles.
D'autre part, l'arbitrage pro-rural, la réflexion globale et approfondie sur le processus des transferts de technologies et surtout l'interrogation sur l'applicabilité locale des objets techniques transférés, ont été rapidement occultés au profit du luxe, de l'effet " tape à l'oeil " et de la recherche coûte que coûte de l'apparence de la modernité.
Enfin, contrairement à l'Europe de l'Est pendant la Guerre froide, si l'Afrique subsaharienne n'a pas vu s'opposer un contrôle politique des technologies, elle s'est tout de même laissé dicter les voies à suivre. Ces voies ont été en particulier : celle des politiques d'industrie industrialisante en partie au Cameroun à ses débuts, celle de substitution des exportations dont furent adeptes les Tiers Nations au sud du Sahara, sans oublier celle de substitution des importations qui a été marginale. L'une des rares réussites dans la sous-région est insulaire, celle de Maurice axée sur le développement tiré par les exportations.
En somme, les transferts de technologies en Afrique ont été de pseudo-transferts qui ne laissent pas aux récepteurs de faire le choix des paquets technologiques proposés. Car, la globalisation contraignante de ces paquets ne permet pas aux récepteurs d'identifier les éléments pouvant servir à une éventuelle stratégie technologique. D'autant plus qu'à l'absence de stratégies technologiques, le Nord planifie aisément son obsolescence technologique : c'est le cas des cabines téléphoniques " à pièce " déboulonnées en France que l'on retrouve actuellement dans la plupart des pays de la zone "franc".
Les Etats de l'Afrique subsaharienne doivent par conséquent surmonter le préjugé de l'unicité de solutions techniques économiques rationnelles qui se limiterait au transfert de technologies. Ils doivent au préalable avoir un projet industriel cohérent qui aura comme vecteur des technologies légères, variées, à coût abordable, à prépondérance privée et intégrant les dimensions socioculturelles locales. Ce projet doit nécessairement intégrer la reprise de certaines technologies locales afin de les rendre plus productives tout en développant des domaines nouveaux où le bond technologique est possible - tels que l'informatique - La spécialisation géographique et technologique à l'exportation liées à l'histoire et à la politique internationale doivent être réorientée et diversifiée : ne plus dépendre seulement d'une seule puissance ou presque -à contre-exemple des pays de la zone "franc" dont plus de la moitié des investissements proviennent de la France-
D'autre part, la sous-région doit saisir l'opportunité des délocalisations industrielles, du fait de sa vivacité démographique offrant un capital travail qui attend d'être mis en valeur. Même si ces délocalisations doivent être maîtrisées quant aux externalités négatives -catastrophes écologiques, sanitaires, ...- qu'elles pourraient entraîner. Cette dernière option serait difficile à honorer à cause des firmes multinationales (FMN). En effet, les FMN constituent le principal vecteur de l'évolution technologique. Or une FMN a pour but le profit, fonde les axes importants de ses stratégies sur les risques-pays et exploite moins la main d'oeuvre locale. L'Afrique subsaharienne ne peut par conséquent utiliser ces délocalisations technologiques, que pour développer des plates-formes d'exportation et un réseau d'entreprises régionales. En incorporant des objets technologiques périphériques locaux aux technologies transférées, un maximum de valeurs ajoutées locales serait ainsi recherché : sous-traitance, bien d'équipement, ingénierie d'investissement. Dès lors il faudrait simplement, rigoureusement recenser et coordonner les apports locaux, mais aussi les évaluer et les exécuter par des personnes connaissant le terrain.
Toutefois, les principaux dysfonctionnements organisationnels, politiques et économiques dont le Nigeria est un des exemples probants, doivent être préalablement surmontés, notamment en disciplinant par la formation la majorité de cette population jeune et en organisant des entités supra-étatiques. Une politique de dissémination et de développement technologiques ne pourra intervenir efficacement que dans un espace démographique et économique plus vaste; ce que les micros et insignifiants Etats africains actuels ne peuvent entreprendre.
Enfin, les transferts de technologies ne peuvent à elles seules suffire à permettre un développement industriel et technologique dans la sous-région. L'Afrique subsaharienne par la vivacité de son secteur informel doit promouvoir et développer la création d'objets techniques locaux complémentaires aux transferts. L'Etat devrait mettre en place un cadre d'incitation et de développement d'initiative privée, notamment par des formations techniques locales. Ainsi, devraient coexister des Hommes, des marchés et des objets techniques de tous âges sur un terrain innovateur et réceptif dans un Etat incitatif qui travaille dans le sens d'une intégration régionale.
Philippe LOUNGOULAH
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