Pas sorciers, les maux du manioc !
Baisse des rendements agricoles, perte de virilité et
avortements inexpliqués… Autant de maux attribués aux sorciers qui sont dus en
réalité à de mauvaises techniques de culture et de préparation du manioc. Une
équipe d'universitaires centrafricains sillonnent villes et villages du pays
afin de l'expliquer aux populations.
Journée exceptionnelle à l’Institut supérieur de
développement rural (Isdr), une école perdue dans la forêt dense de
Tougbato, une célèbre troupe de théâtre du pays, fait son
entrée. Foule en délire. Tonnerre d’applaudissements. Le spectacle commence. La
scène représente un tribunal populaire présidé par Johnny Joslin
Koïsset-Ganitoua, le chef du village. Balekouzou Diana, une jeune femme,
s'avance, l’air triste. Elle brandit des feuilles de manioc tachetées de
plusieurs couleurs, puis les jette devant le chef en accusant : "Voyez !
Mon voisin a ensorcelé mon champ. Ça ne produit plus. Je veux une réparation
!"
A la suite de Diana, Ngueremandji Pélagie accuse son mari
d’impuissance sexuelle. "Il dort la nuit sans se mouvoir", précise-t-elle,
avant d'annoncer le divorce. Eclats de rire dans l'assistance. L’époux mis en
cause, un homme robuste, arrache la parole et déplore à son tour les multiples
avortements causés par son épouse. La rage au coeur, le chef s'en prend aux
sorciers de son village et traite avec dédain l'époux, qualifié
"d’amorphe, de mari irresponsable".
Conseils de fabrication
Debato Chrystel, un chercheur, intervient alors pour
préciser que la baisse de production de manioc, attribuée à tort aux sorciers,
est plutôt due à la mosaïque africaine du manioc. "Cette maladie provoque
une baisse considérable du rendement en tubercules. Sa propagation se fait au
moyen d’un insecte vecteur, la mouche blanche (ou mouche du tabac, Bemisia
tabaci), et à travers le bouturage (mise en terre de matériel végétal
contaminé, Ndlr)", soutient-il. Le regard fixé sur la première plaignante,
il martèle encore : "il faut dorénavant choisir des boutures saines
!"
Etudiants et professeurs, attentifs, prennent des notes.
Répondant aux autres plaintes, le chercheur précise que la consommation du
manioc mal roui est l’une des causes de l’impuissance sexuelle et des
avortements non provoqués. Des prospectus distribués au public présentent le
processus de fabrication conseillé : fermentation dans un fût en plastique,
épluchage, broyage, et séchage sur une aire aménagée. "Nous n'avons jamais
appris cela…", confesse Valery Bianda, étudiante en agronomie.
La parole est ensuite donnée aux spectateurs pour une séance
de questions-réponses. Innocent Zinga, biologiste et enseignant à l’Université
de Bangui, distingue "le bon manioc" qui donne "une boule qui ne
colle pas aux doigts" du "manioc mal préparé" qui abouti à
"une boule fade contenant du cyanure, une substance toxique qui agit au
niveau du cerveau sur l’hypothalamus et provoque l’avortement ou l’impuissance
sexuelle."
Théâtre, bandes
dessinées, émissions
"Nous sommes ici dans le cadre de la seconde phase de '
Une première opération dans les quartiers de Bangui avait
touché plus de 6 000 personnes d'avril à septembre 2005, d'après les
organisateurs. "Nous constatons un changement de comportement de la
population de la capitale par rapport à la consommation du manioc et de
l’eau", se félicite Pierre Poukale, un autre membre de l'équipe.
Par Jules Yanganda (Syfia République centrafricaine)
Lu sur lemessager.net (Le 13-07-2006)