La guerre du Kongo-wara et Karnou en Afrique centrale
par Raphaël Nzabakomada-Yakoma
Il se pose un problème de terminologie. Dans les rares ouvrages et les articles où le présent sujet a été abordé, il a été question de " révolte baya ", de " soulèvement " ou " révoltes de la Haute-Sangha "; mais ces expressions ne recouvrent pas à nos yeux toute la réalité de l'événement.
La première limite la lutte à une seule ethnie, les Gbaya, et la seconde la cadre dans la région de la Haute-Sangha. Nous avons préféré employer l'appellation " guerre du Kongo-wara " : elle est l'expression emblématique consacrée par la tradition populaire; elle a l'avantage d'être générale et de désigner tous les actes insurrectionnels des confins orientaux du Cameroun et des régions de l'A.E.F. contre l'occupation française entre 1928 et 1932.
En ce qui concerne le leader de ce mouvement, nous avons choisi de rétablir l'appellation populaire au lieu de reprendre l'orthographe erronée de " Karinou "; nous écrirons donc " Karnou ".
La guerre du Kongo-wara est avant tout une lutte anticoloniale, une insurrection des populations de l'A.E.F. et du Cameroun contre l'impérialisme français. En 1928, au moment où éclata l'insurrection, les différents territoires de l'A.E.F, le Gabon, le Moyen-Congo, l'Oubangui-Chari et le Tchad, furent en effet les théâtres d'affrontements sanglants : conquête militaire, portage, régimes des compagnies concessionnaires, et de l'impôt de capitation, sévices et crimes de toutes sortes, travail forcé - un des principaux instruments de la politique coloniale - avaient gravement éprouvé les populations.
Les habitants des régions orientales du Cameroun et de l'A.E.F., depuis Ouesso, Imfondo, Boda et Mbaïki, jusqu'à Baïbokoum, Moissala, Betare, Batoum et Meigouga, subissaient, depuis près de trente ans, ce sévère régime et leurs tentatives de soulèvement ou leurs révoltes avaient été noyées dans le sang : elles s'apparentaient, d'ailleurs, plutôt à des actes de désespoir face à un implacable système d'exploitation.
L'insurrection de 1928, pensée et conçue par Karnou à partir de 1923, dans un petit village de Nahing situé entre Bouar et Baboua (actuelle République centrafricaine) fut d'un autre type. Par son ampleur, par la mobilisation des différents groupes ethniques, par sa durée, par son écho au niveau de l'Administration locale et en métropole, par l'ardeur des combattants, la révolta, qui débuta en mai-juin 1928, mérite une place spécifique dans l'histoire de la résistance anticoloniale en Afrique noire.
Toutes les passions humaines ont pu, alors, se manifester, aussi bien du côté des révoltés que des autorités coloniales. Les haines endormies se sont progressivement éveillées à l'appel de Karnou. Le sentiment et, aussi, la conscience de vivre un temps nouveau, gagnèrent les différents villages. Les populations se trouvaient, pensaient-elles, à l'aube d'une ère nouvelle, à savoir d'une ère de liberté, perdue depuis l'occupation française. Aussi se jetèrent-elles dans le combat avec courage et abnégation. Les forces de répressions qui avaient l'habitude de ne rencontrer, pendant leurs tournées, que des " des peureux " ou des " fuyards " se heurtèrent, alors, à des hommes " nouveaux ", des " excités ", des " enragés ", selon les rédacteurs des rapports administratifs et militaires.
Il ne s'agissait pas d'un simple coup de sang, mais d'un acte de révolte profonde qui se transforma en insurrection contre le système colonial. Ainsi, en dépit de la campagne de presse coloniale tendant à en réduire la nature, Julien Maigret, journaliste au Monde colonial illustré, écrivait, en avril 1930 : " La révolte de la Sangha est une épisode tragique, plein d'enseignements, de l'évolution qui travaille qui travaille l'âme noire depuis le jour où l'homme blanc, qui fût français, anglais, belge, ou allemand, peu importe, a prétendu imposé aux indigènes de l'Afrique, son éthique et ses méthodes d'organisation politique? " (pp. 14-15)
Raphaël Nzabakomada-Yakoma, L'Afrique centrale insurgée. La guerre du Kongo-wara 1928-1931, Paris, Editions L'Harmattan, 1986
Né, en 1944 à Baboua (République centrafricaine, au cur de la région concernée par la guerre de Kongo-wara), M. Raphaël NABAKOMADA-YAKOMA a fait des études supérieurs aux Universités Paris X et Paris VII. Docteur de 3e Cycle en Histoire - le présent ouvrage est une reprise de sa thèse -, Assistant et Maître-Assistant à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Bangui (1972-1982), Doyen de cette faculté de 1976 à 1979 - il fut destitué par Bokassa après les événements de janviers et avril 1979 -, Chef de son Département d'Histoire (1982), il y exerça ensuite les fonctions de Maître de Conférence jusqu'à sa mort, en 1985.
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