La CEDEAO condamne le coup détat au TOGO et exige le retour à lordre constitutionnel. Entre grève générale et menace de sanctions
LOMÉ, le 10 février 2005
Nations Unies (IRIN) - Les chefs dEtat de la
communauté économique des Etats de lAfrique de
louest (CEDEAO) réunis au Niger mercredi ont vivement
critiqué la transmission du pouvoir de père en fils au Togo
quils ont assimilé à un coup détat militaire et
exigé le retour à lordre constitutionnel pour organiser
des élections présidentielles dans les deux prochains mois.
Neuf chefs dEtat des 15 pays qui composent la CEDEAO ont
condamné laction de larmée dans la prise de pouvoir
de Faure Gnassingbe après le décès de son père, Gnassingbe
Eyadema, mort dans lexercice de ses fonctions.
"Les chefs dEtat ont fermement condamné
lintervention des militaires qui a eu pour conséquence
dinstaller Faure Gnassingbe comme successeur du défunt
président Eyadema," a indiqué la CEDEAO dans un
communiqué après une réunion de cinq heures à Niamey, la
capitale nigérienne.
"Ils ont à lunanimité estimé que cette action des
militaires constitue un coup détat et ont également
condamné la manipulation de la
constitution opérée par lassemblée nationale,"
précise le communiqué.
Une délégation de haut niveau de la CEDEAO, composée des
présidents du Ghana, du Mali, du Niger et du Nigeria, se rendra
à Lomé vendredi pour exiger des autorités togolaises le retour
à lordre constitutionnel au risque de sexposer à
des sanctions.
"La délégation se rendra au Togo pour demander aux
autorités de revenir au statu quo antérieur," indique le
communiqué de la CEDEAO. "En cas de refus, des sanctions
seront imposées de manière rigoureuse."
Après lannonce samedi du décès dEyadema, qui a
présidé aux destinées du Togo pendant 38 ans, les forces
armées togolaises ont nommé à la tête de ce petit pays
dAfrique de louest son fils de 39 ans, Faure
Gnassingbe.
Cette confiscation du pouvoir est une violation flagrante de la
constitution qui stipule quen cas de vacance du pouvoir, le
président de lassemblée nationale, Fambare Ouattara
Natchaba, doit assumer lintérim et sera chargé
dorganiser des élections présidentielles dans les 60
jours.
Après la vague de condamnations internationales,
lassemblée nationale togolaise, dominée par les députés
du parti dirigeant dEyadema, le Rassemblement du peuple
togolais, a convoqué une session extraordinaire dimanche pour
entériner de manière rétroactive le prise de pouvoir de
Gnassingbe.
Au cours de cette session, le président de lassemblée
nationale, Natchaba, a été destitué et remplacé par
Gnassingbe. Lassemblée nationale a par ailleurs amendé la
constitution pour permettre à Gnassingbe de gouverner le pays
pendant les trois prochaines années pour achever le mandat de
son père.
Cette manipulation na pas pour autant impressionné les
chefs dEtat africains qui sont déterminés à mettre fin
aux coups détat sur le continent.
"Nous pensons que ce qui sest produit au Togo est un
grave recul de la démocratie en Afrique", a indiqué le
président sénégalais Abdoulaye Wade, dont le pays na
connu que des régimes civils depuis son accession à
lindépendance en 1960.
"Les autorités de Lomé nont aucun intérêt à
persister dans cette voie qui ne sera acceptée ni par la CEDEAO,
ni par la Commission de lUnion africaine, ni par la
Communauté internationale", a-t-il déclaré à la presse
après le sommet de la CEDEAO à Niamey. "Je voudrais leur
demander de revenir à la raison."
LOrganisation Internationale de la Francophonie, qui
regroupe la France et ses anciennes colonies dAfrique, a
suspendu mercredi ladhésion du Togo à lorganisation
après lusurpation du pouvoir par Gnassingbe.
LUA, quant a elle, a menacé dimposer des sanctions
et certains représentants de lUnion européenne ont
laissé entendre que les négociations sur la reprise de
laide financière au Togo, après 12 années
dinterruption, pourrait être gelée.
Gnassingbe, qui occupait précédemment les fonctions de ministre
des Travaux publics, des mines et des télécommunications avant
sa spectaculaire ascension politique du week-end dernier, a, dans
son premier discours à la nation mercredi, promis
dorganiser de nouvelles élections et dentamer le
dialogue avec lopposition.
Mais le nouveau président togolais na fixé aucune
échéance pour les élections, ni na précisé si les
élections promises seront pour les 5 millions citoyens togolais
loccasion de choisir un nouveau président et délire
une nouvelle assemblée nationale.
Eyadema, qui a dirigé le Togo dune main de fer pendant
près de quarante ans, sétait engagé à organiser des
élections législatives en 2005 dans la perspective
daméliorer les relations de son pays avec lUnion
européenne.
La Commission européenne avait suspendu son aide au Togo en 1993
pour protester contre les violations des droits de lhomme,
la mauvaise gouvernance et labsence de démocratie sous le
régime dEyadema. Mais certains diplomates en poste à
Lomé ont laissé entendre quavant la mort dEyadema,
le Togo sétait engagé à organiser des élections
législatives, condition préalable à la reprise de laide
financière.
Les autorités togolaises nont pas réagi immédiatement
aux déclarations acerbes de la CEDEAO, mais les partis
dopposition ont exprimé leur réelle satisfaction.
"Nous, comme la CEDEAO exigeons le retour à la légalité
constitutionnelle", a indiqué jeudi à IRIN Martin Aduayom,
le responsable de la Convention démocratique du peuple
africain(CDPA). "Nous sommes dans un coup détat
maquillé par une modification dacte
constitutionnelle."
Selon lui, lopposition envisage une marche pacifique à
travers Lomé samedi pour protester contre la prise de pouvoir de
Gnassingbe, malgré les deux mois dinterdiction de
manifestation décrétés en depuis de semaine par le nouveau
gouvernement.
Entre temps, la presse indépendante togolaise a été mise en
garde contre toute critique à lencontre de
laccession au pouvoir de Gnassingbe.
Larmée, dont la plupart des hauts dignitaires sont Kabiyé
et originaires du nord du Togo, comme Eyadema, a publié un
communiqué jeudi mettant en garde les journalistes contre leur
manière de couvrir les événements.
"Les médias se livrent à un jeu dangereux aux résultats
imprévisibles. Nous avons tous les moyens de mettre fin à
cela" a-t-elle averti.
Mercredi, les autorités ont brouillé les émissions de Radio
France Internationale à Lomé et demandé à trois radios
privées darrêter la diffusion de leurs programmes où les
auditeurs peuvent intervenir en direct sur les ondes et critiquer
publiquement le nouveau régime.
Entre grève générale et menace de sanctions la présidence controversée de Faure Gnassingbe
LOMÉ (Togo), le 9 février 2005 Nations Unies (IRIN) - Lomé semblait vivre au ralenti mardi, au premier jour de la grève générale décrétée par lopposition en réaction à la nomination controversée de Faure Gnassingbe à la présidence de la république suite au décès de son père.
La circulation dans les rues de la capitale était plus fluide que d habitude et la plupart des écoles étaient fermées. Les banques et les marchés sont restés ouverts, mais navaient laffluence des autres jours.
Les autorités togolaises ont brouillé les émissions de Radio France Internationale (RFI) à Lomé et exigé de certaines chaînes de radio locales quelles arrêtent de diffuser des informations hostiles à linvestiture du président Faure Gnassingbe.
Faisant fi des dispositions de la constitution, la hiérarchie militaire togolaise avait installé samedi à la tête de ce petit pays dAfrique de l ouest Faure Gnassingbe, après le décès de son père et doyen des chefs d état africains, Gnassingbe Eyadema, lors de son évacuation sanitaire pour des soins à létranger.
En réaction à la condamnation internationale de cette confiscation du pouvoir considérée comme un coup détat, lassemblée nationale du Togo a précipitamment amendé la constitution dimanche pour légitimer la nomination de Faure Gnassingbe
Mais cette initiative des parlementaires togolais ne semble pas avoir atténué les critiques de la communauté internationale.
Lundi dernier, le conseil de la paix et de la sécurité de lUnion africaine (UA) a sévèrement critiqué la prise de pouvoir de Faure Gnassingbe, la qualifiant "violation manifeste et inacceptable de la constitution togolaise" et a menacé dimposer des sanctions à son régime.
"Les sanctions seraient une suspension du pays de toutes les instances de lUA, ce qui lui interdirait toute participation aux réunions," a indiqué à IRIN Adam Thiam, le porte-parole de lorganisation.
Réagissant à la décision du nouveau président dinterdire pendant deux mois toute manifestation publique au Togo, les chefs des partis d opposition ont appelé la population à rester à la maison pendant deux jours pour manifester leur colère contre le non respect de la démocratie au Togo.
Grégory, un fonctionnaire de lEtat, fait partie des milliers de personnes qui ont répondu à lappel des partis dopposition.
"Cest aux togolais mêmes de réagir, car ce sont eux qui souffrent," a-t-il confié mardi à IRIN.
Mais pour les autres habitants de Lomé, ce jour na rien de particulier. Chacun vaquait à ses occupations habituelles.
"Moi, je suis désolé, je ne suis plus partant pour les grèves de l opposition, car nous avons fait une grève pendant près dun an dans ce pays et cela na rien donné" a fait remarquer un habitant sans décliner son identité.
A lextérieur de la capitale, les opinions étaient tout aussi partagées.
"Les rues sont un peu moins chargées, mais nous sommes venus au travail et la journée se déroule normalement," a déclaré au téléphone un travailleur humanitaire togolais depuis la ville de Dapaong, proche de la frontière avec le Burkina Faso.
Crainte et pauvreté
Pour certains diplomates, larrêt complet des activités nest jamais une option réaliste étant donné le niveau élevé de pauvreté de ce pays de cinq millions dhabitants et le fait que la plupart des togolais étaient en colère après les événements du week-end dernier.
"Il est difficile dobserver un arrêt total du travail dans un pays où la situation économique sest dégradée. Les personnes qui ont un travail ne peuvent se permettre de faire la grève," a indiqué un diplomate occidental en poste à Lomé. "Et puis les gens ont très peur des forces de sécurité. Des décennies de répression et de violation des droits de lhomme ont créé un très fort sentiment de peur."
Mardi, les premiers signes de censure de la presse sont apparus. Les émissions de Radio France Internationale (RFI) ont été brouillées à Lomé et ses relais coupés à lextérieur. Par ailleurs, les responsables de trois stations de radio privées ont été rappelés à lordre par les autorités et invités à cesser la diffusion de programmes en direct où les auditeurs exprimaient leurs opinions sur les derniers changements survenus dans leur pays.
"Cette décision entrave la liberté de la presse et la libre expression," a déclaré à IRIN Aristide Kpopufe, le directeur de la radio Nostalgie FM, une des stations de radio concernée par cette mise en garde des autorités. "Les gens doivent avoir la possibilité dexprimer ce quils pensent de la situation au Togo. "
Alors que le président nouvellement nommé devait sadresser à la nation à la télévision nationale, les condamnations se multiplient à travers le monde contre le Togo, une ancienne colonie française coincée entre le Ghana et le Bénin.
"Nous exhortons les autorités à assurer une transition pacifique pour organiser au plus tôt des élections présidentielles crédibles et démocratiques", a indiqué dans un communiqué le ministère britannique des Affaires étrangères.
La France, les Etats-Unis et le Nigeria, la superpuissance régionale, ont appelé à une transition rapide et démocratique après quatre décennies de pouvoir autoritaire et personnel du défunt président.
En vertu de lancienne constitution, de nouvelles élections présidentielles devraient avoir lieu dans les 60 jours suivant le décès du président Eyadema et lintérim devrait être assuré par le président de l assemblée nationale Fambare Ouattara Natchaba.
Mais, dominé par le parti politique du président défunt, le Rassemblement du peuple togolais, lassemblée nationale a précipitamment été convoquée en session extraordinaire pour destituer Natchaba et le remplacer par Faure Gnassingbe, 39 ans, afin de légitimer son investiture à la tête de l Etat togolais.
Lassemblée nationale a également amendé la constitution pour permettre à Faure Gnassingbe de terminer le mandat de son père qui expire en 2008. Les chefs dEtat de la Communauté économique des états de lAfrique de l ouest (CEDEAO) ont convoqué un sommet extraordinaire au Niger pour débattre de la crise togolaise.
Pour lUnion européenne (UE), la manière dont le transfert du pouvoir s est opéré au Togo suscite bien des interrogations sur la reprise de laide financière à ce pays.
Laide de lUE avait été suspendue depuis 1993 pour mauvaise gouvernance, absence de démocratie et violation des droits de lhomme. Les deux parties avaient renoué le dialogue lannée dernière, le Togo espérant ainsi bénéficier bientôt dune reprise laide financière de lUE.
"La situation actuelle nous ramène à la case départ. Elle repose le problème de la démocratie et de la place de larmée dans le régime togolais" a déclaré à RFI Louis Michel, le commissaire européen au développement et à laide humanitaire.
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