TOGO : La faim contraint des familles de déplacées à rejoindre leur
domicile
ATAKPAME, le 2 juin Nations Unies (IRIN) - Les femmes et enfants qui ont fui Atakpamé, la capitale de la région centre du Togo, pour échapper aux violences
post-électorales, commencent à regagner leur domicile car leurs parents
dans les villages n’ont plus les moyens de les prendre en charge.
Des milliers de partisans de l’opposition ont fui cette ville
luxuriante nichée sur les flancs des collines, lorsque des manifestations contre
le très controversé scrutin présidentiel ont dégénéré en combats de rue
et en émeutes il y a cinq semaines.
Nombreuses sont les personnes qui se sont enfuies par peur des
persécutions des forces de l’ordre et des partisans du parti au pouvoir. Mais
pour la plupart, ces personnes ont rejoint leur domicile aujourd’hui.
Selon les travailleurs humanitaires, ce sont généralement les hommes
qui ont fui le pays pour échapper aux représailles de la police, laissant
derrière eux femmes et enfants à la charge des parents et amis vivant
dans les villages de la forêt environnante.
Mais en Afrique de l’ouest, c’est le début de la période de soudure.
Les stocks alimentaires ne sont plus suffisants pour nourrir des bouches
supplémentaires.
"La vie est dure au village. Il m’est difficile de trouver suffisamment
de nourriture pour mes cinq enfants et moi-même à cette période de
l’année", s’est plainte Amy, une veuve entre deux âges. Elle s’était
réfugiée auprès sa famille, mais a été contrainte de rentrer chez elle,
sachant que son beau-frère n’avait plus les moyens de subvenir à ses
besoins.
Amy fait partie de ce groupe de six femmes qui est rentré des villages
voisins. Les femmes mariées n’ont aucune nouvelle de leur époux, même
si chacune d’elles pense qu’il doit figurer parmi les 35 000 réfugiés
exilés au Bénin et au Ghana.
Une vague de réfugiés a franchi les frontières togolaises il y a cinq
semaines après les élections présidentielles pour échapper, selon eux, à
la chasse à l’homme menée contre les partisans de l’opposition.
D’après les organisations non gouvernementales (ONG) et les agences des
Nation unies, près de 10 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur
du Togo. Mais dans le contexte actuel caractérisé par l’insécurité et
la peur quotidiennes, certains représentants de l’ONU reconnaissent
qu’il est bien difficile d’avoir des chiffres précis.
"Dans une dizaine de villages proches d’Atakpamé, nous avons dénombré 2
000 personnes déplacées à qui nous avons commencé à distribuer des
vivres", a indiqué Séraphin Abokitse, responsable de l’organisation de la
charité pour un développement intégral (OCDI) à Atakpamé.
"Certes, bien plus de personnes ont besoin d’une assistance, mais nous
sommes au maximum de nos capacités" a-t-il expliqué.
Et de nombreux déplacés refusent de se déclarer même aux chefs de
village, ce qui rend encore plus difficile leur identification.
Des troubles à Atakpamé
Atakpamé est un grand centre urbain situé à 150 km de la capitale Lomé.
Selon certains diplomates, la ville a été le théâtre des plus graves
scènes de violence que le pays a connu après la proclamation des
résultats donnant Faure Gnassingbe vainqueur des élections présidentielles que
l’opposition considèrent comme ayant été entachées de nombreuses
irrégularités.
Pour les habitants d’Atakpamé et les agences humanitaires qui y
travaillent, les persécutions policières auraient fait plus de 100 victimes
dans cette ville qui compte 30 000 habitants. Aucun chiffre officiel sur
le nombre de morts n’a cependant été fourni par les autorités ni n’a
été publié par l’hôpital.
"A Atakpamé, les gens sont descendus dans les rues et ont résisté après
l’annonce officielle des résultats des élections; et la répression des
forces de l’ordre a été très dure", a expliqué un diplomate qui a
requis l’anonymat, convaincu que sa ligne téléphonique est sur écoute.
Faure Gnassingbe est le fils Gnassingbe Eyadema, un homme politique
resté fidèle à la France, l’ancienne puissance coloniale, pendant 38 ans
d’une dictature qui a pris fin avec sa mort le 5 février dernier.
Pendant son règne, de nombreux opposants ont été contraints à l’exil.
Et pour ceux qui sont restés au Togo, ils couraient le risque de se
faire exécuter par les forces de sécurité, expliquent les rapports
d’Amnesty International, une organisation non gouvernementale de défense des
droits de l’homme.
Gnassingbe junior s’emploie à promouvoir une image de jeune président
moderne. Mais selon les habitants d’Atakpamé, ce sont toujours les mêmes
hommes de main qui continuent de tuer, de battre et de menacer en toute
impunité des opposants connus ou suspectés.
Habitant d’Atakpamé, Tony se fait discret de peur d’être arrêté. Selon
lui, les troubles ont commencé le 24 avril, le jour des élections.
"Des partisans de l’opposition s’étaient regroupés autour des bureaux
de vote. Convaincus que le scrutin allait être entaché d’irrégularités,
il se sont mis à manifester", a expliqué Tony.
Selon lui, certains militants du Rassemblement du peuple togolais (RPT)
avaient reçu de fausses procurations de vote pour gonfler le nombre de
suffrages favorables au RPT. Il a conservé comme preuve une de ces
procurations vierges déjà validées par les autorités locales.
"L’armée et les milices sont intervenues pour protéger les partisans du
RPT afin qu’ils puissent poursuivre leurs opérations de fraude, mais
l’opposition a érigé des barrages routiers pour leur bloquer l’accès aux
bureaux de vote", a-t-il confié dans une arrière pièce étroite et peu
ventilée de sa maison. Et malgré la sueur qui perlait sur son visage,
Tony refusa de s’exprimer publiquement en plein air dans la cour.
Selon Tony, N'Ma Bilizim Kouloun, un officier à la retraite appelé
"Eyadema d’Atakpamé" – parce qu’il est le neveu du président défunt Eyadema
– a montré l’exemple en ouvrant le feu sur des manifestants, tuant un
jeune garçon de douze ans.
"Ici, il y a aussi un Libanais, le principal soutien financier du RPT.
Il a fourni les camions qui on permis d’acheminer vers les différents
bureaux de vote les miliciens qui ont couvert les opérations de
fraudes", a expliqué Tony.
"Les gens parlent trop ici", s’est plaint Karim Abbou, le principal
concerné. "Ces informations sont fausses".
Oui, l’opposition a eu peur
Abbou se présente comme étant un citoyen togolais d’origine italienne
parlant arabe et bien d’autre langues. Deux banderoles affichant "Votez
Faure Gnassingbe" étaient placées sur la façade d’un bâtiment considéré
par les habitants d’Atakpamé comme le quartier général du RPT, même si
Abbou s’en défend, indiquant qu’il s’agit de sa résidence privée et de
rien d’autre.
"Nous avons des partisans au RPT – comme il y a des partisans de
l’opposition – c’est normal. Mais je ne comprends pas ça…la milice. Ce n’est
pas ça…jamais !" a-t-il lâché en colère.
Quant à Kouloun, explique Abbou, en tant que "représentant spécial du
président", il a entamé une tournée dans la région pour exhorter les
personnes déplacées à revenir à Atakpamé.
Abbou n’est pas au courant des morts qu’il y a eu à Atakpamé.
"Oui, il a eu de nombreux actes de violence, mais des morts, je n’en ai
pas entendu parler", a fait remarquer Abbou.
Selon lui, ceux qui se sont enfuis étaient "des voleurs et des bandits"
qui ont eu peur de tomber sous le coup de la loi togolaise.
"L’opposition a bloqué les rues ! Elle a manifesté et incendié des
maisons !" a-t-il indiqué sous le portrait officiel de son "bon ami"
Eyadema.
"Oui, ils ont eu peur !" a lâché Abbou. "Ils ont eu peur, très peur !
Ils ont commis des délits et bien sûr ils ont peur maintenant".
Amy, son prénom d’emprunt, reconnaît qu’elle a eu très peur. Elle s’est
enfui après que son jeune fils ait été tué par les forces de sécurité.
Il ne participait pas aux manifestations de l’opposition,
insiste-t-elle, il se promenait tout simplement.
"Je ne sais pas ce qui s’est passé. Je
n’ai pas assisté à la scène. Mais il a été abattu et transporté à l’hôpital où
il est mort", explique Amy en essuyant calmement ses larmes.
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