De la débrouillardise au racket pour survivre à Bangui : une tragédie
"Mo té kâ mo té ge" est bien connu des
centrafricains. Mais cela ne suffit plus. Les rackets aux risques de pertes de vies
humaines sont devenus mode de ravitaillement de bandes armées très mobiles qui opérent
en toute impunité. Les complices se recrutent à tous les niveau (forces de
l'ordre, fonctionnaires véreux, simples habitants ou voisins en difficulté, etc.). Pour
tenter de passer inaperçu, certains dignitaires de la place circulent à bord de
véhicules sans plaques d'immatriculation. Inutile de se plaindre : tout le monde a été
escroqué ou braqué au moins une fois. Voulez-vous confier votre dossier si vous
êtes victimes ? La brigade de repression s'avouera dépassée, ou alors il
faudra attendre le résultat d'une hypothétique enquête qui risque d'être classée sans
suite faute d'identification et d'arrestation des auteurs. Il est de mise que la solution
du moment est la débrouillardise. Aux cinq verbes de Barthelémy Boganda (éduquer,
soigner, nourrir, soigner, habiller), s'est substitué un verbe bien connu au Bénin et au
Togo : le verbe manger à conjuguer au présent de l'indicatif uniquement,
et sous deux formes possibles - "je mange nous mangeons" - "je mange tu
manges" (le futur est à exclure). Le pot-de-vin et la corruption font désormais
partie des moeurs. L'indigence pousse à des actions les plus sordides jusqu'à la perte
de la chose la plus élémentaire, la dignité.
La préoccupation majeure tourne autour de la survie : comment soigner l'enfant qui
souffre, comment subvenir à ses besoins quotidiens, comment joindre les deux bouts et
procéder aux enterrements des nombreuses victmes de la crise socio-politico-éconique ?
Quelques chanceux arrivent à fréquenter des établissements scolaires privés, à se
soigner à l'étranger. La mort et la vie n'ont plus de sens... Ce qui est encore vrai ,
la nourriture ne manque pas dans le pays : il suffit de se rendre par exemple au "PK
12" pour s'en convaincre, mais personne n'a le moyen de s'en procurer. Les
commerçants, pour leur part, sont à la recherche de l'argent enfoui quelque part; ils
attendent à côté de leurs marchandises qui jonchent à même le sol et sur des
tablettes exposées à des intempéries. Plus loin, on marchande, on brade. Tiens,
quelqu'un vient d'arriver, sussure à l'oreille et des sanglots commencent à déchirer
l'air : encore un décès, et encore un autre.
Victor BISSENGUE - 16 mai 2002
A Bangui, on mendie les taxis
AFP, Bangui, 16 mai 2002 - 9h23 - Les habitants de la capitale centrafricaine, frappés de plein fouet par la crise économique, ne parviennent plus à payer les taxis au prix officiel, a constaté le correspondant de l'AFP à Bangui.
Le marchandage est devenu de mise entre usagers et chauffeurs de taxis et de taxi-bus, qui assurent les déplacements quotidiens de la population au tarif pourtant modique de 150 francs CFA (0,23 euros) par passager embarqué.
"Massa, m'bi kè na 125" ("chauffeur, je n'ai que 125 francs"), implore en langue nationale sango le Banguissois désireux de grimper à bord.
- "A lingbi apè!" ("ça ne suffit pas!"), ou "mbi mou apè" ("je ne prend pas"), répond parfois le conducteur avant de mettre les gaz, comme Christian, qui explique: "le carburant augmente depuis deux ans et le patron ne comprendra pas que je puisse rouler toute la journée sans lui porter sa recette".
Mais, de guerre lasse, la plupart des chauffeurs finissent par céder à la pression des passagers. "Montez! Je ne peux pas refuser ce service puisque c'est dur partout", lâche Anatole, un autre conducteur.
Il n'est pas rare, confie-t-il, que, sur les cinq passagers à grimper dans son antique Toyota aux amortisseurs couinants, aucun ne soit en mesure de payer le prix légal.
La situation empire à partir de 21H00, où les tarifs passent à 250 francs CFA. chaque chauffeur de taxi à l'arrêt entend alors à la même supplique: "j'ai 150 francs", "j'ai 200 FCFA".
Les altercations sont nombreuses. Certains passagers sont obligés de descendre avant la fin de leur trajet. Parfois, le chauffeur en colère s'empare de force d'un objet appartenant au client pour l'obliger à payer la différence.
"J'ai posé clairement le problème au conducteur avant de prendre place dans le taxi, parce qu'il me manquait 25 francs; à l'arrivée, il s'est énervé et m'a pris une de mes chaussures", témoigne Jacques, menuisier de métier.
La suite de son aventure: "Je lui ai pris aussi une chaussure et relevé son numéro en promettant de régler, mais pas sans mes chaussures".
Une fonctionnaire banguissoise, Martine, résume la situation: "les salaires n'ont pas été augmentés depuis des années et ne sont pas versés régulièrement. Mais les tarifs des taxis ne cessent de grimper".
"Je ne peux pas verser 150 francs CFA pour le transport tant que les salaires ne seront pas versés régulièrement", explique cette employée de ministère.
Les arriérés de salaire chez les fonctionnaires centrafricains sont actuellement en moyenne de seize mois, étalés sur plusieurs années, selon le gouvernement qui s'efforce de les réduire. Ces fonctionnaires avaient observé une grève dure de plusieurs mois en 2000-2001 pour cette raison.
Quelques Banguissois légalistes fustigent pourtant cette nouvelle mendicité. "Ce sont les conducteurs qui encouragent ces comportements et c'est choquant, car il y a toujours des gens qui subissent l'injustice en payant les tarifs légaux", se plaint Octave, un étudiant de 23 ans.
"Un jour, raconte-t-il, une vieille dame a prié le conducteur de la prendre à bord pour seulement 100 francs. Mais au moment de payer, elle a brandi un billet de 1000 francs et réclamé sa monnaie. Le pire, c'est que le chauffeur a accepté!"