Bangui, quartiers sud : "on vit sur la pointe des pieds"


(AFP, Bangui, 12 juin 2001)

"On attend, on dort mal, on vit sur la pointe des pieds": l'angoisse de ce jeune de Pétévo prédomine encore dans les quartiers sud de Bangui, réputés proches des putschistes, où les habitants regagnent peu à peu leurs maisons tandis que les Yakomas tentent de se faire oublier.

L'armée a officiellement repris le 7 juin le contrôle "total" de la ville, après la tentative de coup d'Etat du 28 mai et plusieurs jours de combat.

"C'est encore trop instable et on est prêt à s'éclipser encore au moindre coup de feu", ajoute ce jeune homme qui ne souhaite pas dire son nom, comme tous les témoins rencontrés dans la capitale centrafricaine.

Au marché du quartier Pétévo, une des dernières poches de résistance des auteurs du coup d'Etat manqué dans la capitale centrafricaine, les toits en tôle de plusieurs échoppes ont été traversés par des obus de mortiers.

Près d'un bar où sont attablés des jeunes, une roquette a arraché un bout de mur d'une bicoque et déchiqueté la toiture.

"Les Yakomas (membres de l'ethnie de l'ex-général André Kolingba, chef présumé des putschistes) ont peur. Ils sont revenus dans les quartiers mais n'osent pas passer les barrages militaires vers le centre-ville", affirme un client du bar qui précise: "On les reconnaît à leur lieu de naissance ou à leurs noms qui commencent par +K+, +Y+, ou +G+".

Selon des témoignages anonymes, les Yakomas seraient encore victimes d'exactions. Plusieurs auraient été tués lundi au centre ville, dont un colonel loyaliste du nom de Konzi.

Certains militaires Yakomas surpris par le putsch n'auraient pas regagné leurs casernes, par crainte de représailles.

Non loin de Pétévo, au quartier Mbossoro, une femme poussant une carriole métallique chargée de sacs, entourée de ses quatre enfants en bas âge, rejoint son mari, resté seul à la maison pendant les combats.

Les enfants épuisés par les 35 km de marche parcourus depuis le village familial de Kapou (sud) retrouvent le sourire en même temps que les copains du quartier. La voisine est rentrée vendredi. Elle n'a retrouvé ni marmites, ni vêtements.

"Beaucoup de vieillards sont morts d'épuisement pendant la fuite", raconte un adolescent.

Selon les rares habitants restés au quartier pendant les troubles, il n'y a pas eu de mort et les Forces armées centrafricaines (FACA) ne se sont guère livrées au pillage pendant leurs opérations de ratissage.

A en croire les riverains du fleuve Oubangui, les rebelles congolais de Jean-Pierre Bemba ont au contraire systématiquement pillé le quartier Ouango (est) et tout emporté à leur départ, organisant des convois de pirogues vers l'ex-Zaïre, sur la rive opposée.

On parle d'un "marché du pillage" à Zongo, la commune de RDCongo située face à Bangui. Mais un piroguier assure que les rebelles acceptent de restituer les biens emportés "si tu présentes la facture d'achat". Un Banguissois aurait ainsi récupéré sa moto...

Au quartier Batalimo 1 (sud), face à l'émetteur de la radio nationale endommagé par les putschistes, un commissaire de police à la retraite assure que tout est rentré dans l'ordre.

Lui aussi est revenu après avoir fui le quartier avec les 18 membres de sa famille: "nous sommes partis avec même pas 500 francs CFA (5 FF) en poche. On dormait dans la brousse. On mangeait des feuilles de manioc, du maïs cru, on buvait l'eau de rivière".

"Je voudrais dire aux autorités que nous ne sommes pas un quartier de mutins" poursuit le vieil homme, favorable aux patrouilles militaires "qui nous aident à faire disparaître les rebelles".

Quant aux putschistes de la première heure et ceux qui les ont rejoints plus tard, ils sont introuvables.

Selon des Banguissois de retour dans la capitale, ils fuiraient vers le sud de la RCA ou le Congo-Brazzaville. Certains auraient trouvé refuge sur l'île Kogbouko, à 100 km. Mais beaucoup sont restés à Bangui, ont caché leurs armes et repris l'habit civil...