Lettre adressée à la Cour Internationale de Justice sur la situation qui prévaut en République Centrafricaine (3 juillet 2001)


A l’attention de Mme Curvers et Mr Couvreur,

Je viens à travers cette lettre soumettre à votre attention et à celle de la Cour Internationale de Justice sur la situation qui prévaut en République Centrafricaine depuis plusieurs années et qui a précipité à l’issue de la tentative d’un coup d'état manqué le 28 Mai 2001.

Le Centrafrique a amorcé en 1993 un processus de " démocratisation " avec l’organisation des élections pluralistes qui ont vu la victoire de l’actuel régime dirigé par son président Ange-Félix Patassé qui a succédé à l’ancien Président, le Général André Kolingba. Les résultats de ces élections ont démontré la volonté des centrafricains de tourner la page des 12 années de pouvoir de Kolingba. Cet espoir dans l’alternance s’est très vite tourné en cauchemar pour toute une génération. Patassé dépourvu de projet concret pour l’épanouissement du pays, s’est emparé du pouvoir en prenant comme mesure prioritaire la reforme de la constitution qui devait lui donner libre cours dans la gestion du pouvoir. La voix de l’opposition est complètement offusquée. On déplore plusieurs épreuves de force de la part de ce régime dictatorial. Le comportement arrogant de cette classe politique atteindra le comble en décembre 1998 à la suite des élections législatives qui ont mis en exergue le malaise qui rongeait la société centrafricaine. Bien qu’ayant perdu les élections Patassé gardera la majorité au parlement en faisant changer de camp, naturellement par le langage des armes, un des élus de l’opposition.

L’envie du pouvoir, le clientélisme, le népotisme, l’ethnitisation de la classe politique et de l’armée auront comme conséquence l’appauvrissement de la population qui ne s’est jamais relevée des répercussions du marasme économique des années 90.

De 1993 à 1999 le Centrafrique a connu bien trois mutineries d’une partie de l’armée qui ont provoqué une fracture évidente dans la population. Patassé bénéficiant du soutient des militaires français présents en Centrafrique restera au pouvoir. Durant ces événements l’armée, la garde présidentielle ont lancé une opération de ratissage baptisée en langue nationale " A koli a kpè " qui veut dire littéralement " les hommes ont fui ". Les militaires passaient de maison en maison tuant en égorgeant toutes personnes de sexe masculin. Sur les corps des victimes ils laissaient des traces de la haine. Malheureusement tous ceux qui ont succombé appartenaient à deux ethnies Sango et Yakoma. L’intervention des Forces d’interposition africaines apaisera seulement pour un peu le drame. Patassé ne changera pas sa politique, pour se débarrasser de ses adversaires il n’hésitera pas d’utiliser la répression : intimidation, arrestations arbitraires, enlèvements et exécutions sommaires des personnalités Sango et Yakoma. Je citerai le cas du Colonel Alphonse Grelombé qui a été rareté ensemble avec son fils. Ils ont été barbarement torturés avant d’être tués. Leurs corps seront jetés sur un terrain de football dans un des quartiers perdus de la capitale. Ces exécutions deviendront encore farouches après la tentative du coup d’état manqué le 28 Mai 2001. L’armée, la garde présidentielle et les milices armés par Patassé qui entre temps ont le renfort de la part des soldats libyens et des rebelles venus du Congo démocratique l’ex Zaire, se sont livrés à un véritable massacre de la population civile de l’ethnie Sango et Yakoma. Lors des opérations de ratissage ils tuaient comme des fous, ils égorgeaient la population civile, décapitaient les hommes. C’était l’HORREUR. La liste des victimes est longue : de 400 à 500 personnes tuées ce bilan devrait être sinistrement bien lourd. Les parents des victimes n'a arrivaient même pas à récupérer les corps de leurs proches. Certaines personnes mortes seront transportées par le fleuve Oubangui, d’autres joncheront les rues de la capitale pendant toute la période de leur folie. 90 à 100.000 personnes seront déplacées. La croix rouge n’était même pas en mesure d’opérer, d’intervenir pour sauver du moins ce qui pouvait être sauvé. Le pays a vécu une situation apocalyptique. Parmi ses victimes figure le nom de mon frère sergent de l’armée centrafricaine tué tout simplement parcequ’il appartenait à l’ethnie Sango. Il a connu une mort horrible. Je n’ose pas imaginer sa douleur. Sur son corps récupéré dans une des rues de Bangui, on ne voyait que des trous de baillonnettes, les membres, jambes et bras fracturés et avec une balle dans la tête. Un député d’un des partis de l’opposition lui aussi de l’ethnie Yakoma, Mr Touba, a été enlevé ensemble avec son neveu. On retrouvera plus tard le corps décapité en état de décomposions.

Stephen Smith, un envoyé du quotidien français Le Monde écrira dans son article du 02.06.2001 ce qui suit : de très graves exactions contre des civils ont été commises, vendredi 1er Juin dans la capitale centrafricaine où les forces loyales au président Ange-Felix Patassé ont repris le contrôle des quartiers du sud et de l’est de Bangui. Les Forces armées centrafricaines et surtout la garde présidentielle se sont livrés à des tueries sauvages dans le cadre de leur opération de ‘nettoyage’……. Les yakoma qui ont le malheur d’habiter un quartier mixte sont exterminés. …. D’autres témoins confirment des exécutions sommaires et des égorgements de civils ainsi que des dynamitages de maisons. Deux médecins à l'hôpital de Bangui auraient été fusillés pour avoir soigné tous les blessés sans distinctions. Ce sont les soldats libyens et les rebelles congolais qui combattent les mutins. Dans leur dos les FACA se livrent à l’épuration ethnique ".

Ces massacres seront même reconnus par les autorités de Patassé. Devant une telle situation on ne peut pas rester impassible. Dans une situation pareille, où le droit à l’existence de la population civile est bafoué par l’esprit de vengeance et la rancœur personnelle, on ne peut pas se cacher derrière un silence suicidaire, un silence qui condamnera pour toujours le peuple centrafricain otage de la folie d’un seul individu, un seul homme qui n’hésite pas à tuer. Rester impassible veut dire cautionner toutes les atrocités dont se sont rendus protagonistes Patassé et ses proches. C’est pour cette raison que je vous envoie ce message, qui en fait est le cri de désespoir de tout un peuple en agonie, un peuple qui n’a plus un avenir, un peuple condamné à la pauvreté, la misère et mort par l'indifférence des institutions internationales compétentes garantes des principes de la Démocratie et du Droit à la Vie. Et je demande à vous, à la cour internationale de justice de constituer une commission d’enquête sur la situation en Centrafrique et que Patassé, son porte-parole Prosper Ndouba, les chefs de la garde présidentielle et de l’armée, le Ministre de la Défense soient poursuivis pour ETHNOCIDE DES SANGO ET YAKOMA et CRIME CONTRE L’HUMANITE. Nous ne pouvons pas attendre de voir 1.000.000 de morts avant d’intervenir.

Je profite également de l’opportunité pour vous demander des informations sur les procédures à suivre pour la formulation d’une plainte contre Patassé et ses bourreaux.

Dans l’attente de votre réponse, je vous présente Messieurs mes salutations les plus cordiales.

Pour la Vie et le Respect de la Dignité Humaine.

03 Juillet 2001

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