Figures emblématiques du panafricanisme : Barthélemy Boganda.

 

                                                         (Plan de l'intervention)

 

 

I- Définition du Panafricanisme.

 

 

II - Le Panafricanisme est né sur les bords de la Tamise.

 

-        2.1 – Les Précurseurs et pionniers du Panafricanisme

-        2.2 – Kwamé Nkrumah et l'envolée triomphale du panafricanisme africain

 

III – Le Panafricanisme et la fin de l’ « Utopia Africana ».

 

-        3.1 – Barthélemy Boganda et le particularisme du projet centrafricain

-        3.2 – La fin de l'Utopia africana : de l'OUA à l'Union Africaine, une régression

 

IV – Perspectives d’avenir.

 

V – Barthélemy Boganda, Héritage et Vision [Le livre – Présentation]

 

         Les figures emblématiques du panafricanisme : Barthélemy Boganda.

 

 

I – Définition du panafricanisme.

 

Il existe deux définitions du Panafricanisme, l’une réductrice et restrictive, l’autre plus universaliste.

Le panafricanisme s’est d’abord défini à travers une formule : « l’Afrique aux Africains ». C’est la version réductrice et restrictive. On en retrouve trace de cette première acception dans l’action de Jugurtha en résistance à la politique expansionniste de Jules César, dans la Rome antique.

Cette formulation a été reprise en 1878, par le révérend pasteur méthodiste William Booth, alors en poste au Nyassaland, l’actuel Malawi. Le pasteur britannique n’est autre que le fondateur et premier général de l’Armée du Salut contre l’injustice et la misère ! Il s’agissait pour lui d’intimer l’ordre aux colons anglais d’accepter le partage des terres avec les autochtones.

Plus près de nous, « l’Afrique aux Africains » est la formule utilisée par le président français Valérie Giscard d’Estaing pour inaugurer le premier sommet France-Afrique de son septennat.

 

S’en tenir à cette version limite la portée du concept, et met hors champ,

-          et l’indépendance de la République d’Haïti et le combat politique de Toussaint Louverture,

-          et la création en 1822 de Monrovia, ainsi que l’indépendance de la République du Libéria dès 1846, conséquence de la politique du retour en Afrique prônée par les Afro-américains.

C’est encore passer sous silence l’action menée par des hommes comme Anténor Firmin (1), homme politique haïtien, ou Edward Wilmot Blyden (2).

L’un et l’autre récusent la théorie de la hiérarchie des races portée par Gobineau ; le premier  s’attaque frontalement aux fondements de l’esclavage et du colonialisme en démontrant l’apport des Noirs à l’histoire et à la civilisation ; le second relie la cause de l’émancipation des Noirs à la défense d’institutions africaines autonomes en prônant « le retour en Afrique ».

 

D’où la définition élargie et communément admise selon laquelle :

« Le panafricanisme est un mouvement politique qui promeut l’indépendance du continent africain, encourage la pratique de la solidarité entre les Africains et les personnes d’ascendance africaines, où qu’elles soient dans le monde ».

 

Cette définition donne une dimension universelle au concept et valide la naissance d’une conscience noire.

 

II – Le panafricanisme est né sur les bords de la Tamise.

 

Le panafricanisme est en réalité né au début du 20ème siècle dans les milieux intellectuels afro-américains et antillais de Londres, alors en lutte contre les discriminations raciales et la colonisation. Le mouvement a pour objectif d’unir les Africains et leurs descendants dans « un sentiment de fierté pour le passé et les valeurs africaines » ; ce que le Sénégalais Felmine Sarr (3) nomme « les cosmologies africaines », selon le précepte : « agis toujours de manière à intensifier la force de vivre de tous les « muntu » (les hommes, bantu).

 

2.1  – Les Précurseurs et pionniers du panafricanisme.

 

C’est à la fin du 19ème siècle que le panafricanisme se concrétise et prend forme par l’organisation d’une conférence constitutive.

Elle se tient à Londres en juillet 1900, à l’initiative de l’avocat Sylvester Williams, originaire de Trinidad.

Au cours de cette première réunion, deux personnalités se détachent : celle de W.E.B Du Bois, considéré par tous comme le père conceptuel et le théoricien du panafricanisme politique naissant, et le Jamaïcain Marcus Garvey (4), plus pragmatique, partisan du retour à l’Afrique et du développement des peuples noirs à travers le pouvoir économique.

C’est à partir de l’idée de conquête économique et du lien au continent noir que Marcus Garvey va créer la société transatlantique de transport maritime, la Black Star Line (BSL), à travers une souscription populaire lancée auprès des afro-américains et antillais résidents en Grande-Bretagne.

 

Une seconde conférence panafricaine est organisée à Paris en juillet 1919, après la Première guerre mondiale de 1914-1918. La conférence de Paris réclame l’autonomie des peuples des colonies et la création d’un Etat noir en Afrique centrale. Ce sera l’occasion, pour les leaders africains, de se faire connaître. Ils sont tous anglophones.

 

La troisième conférence du panafricanisme se tient en juillet 1921, successivement à Londres, Bruxelles et Paris, les trois puissances européennes qui disposent de territoires en Afrique (les colonies allemandes étant rétrocédées à la France et à la Grande-Bretagne). L’objectif de cette troisième édition se concentre sur la lutte contre l’apartheid.

Cette prise de position ouvre le soupçon de collusion entre le panafricanisme et le bolchevisme (ou la révolution russe), exprimé par les Occidentaux. Ce qui instilla la scission entre les congressistes « modérés », favorables au maintien des liens avec l’Europe et les « radicaux », partisans de la lutte contre l’impérialisme.

 

La quatrième conférence se déroule à Lisbonne, Portugal, le 1er et le 2 décembre 1923. Celle-ci promeut différents mots d’ordre et exigences fondamentales :

 

-          Le développement de l’Afrique au profit des Africains ;

-          L’indépendance et l’élargissement de l’Egypte au Soudan ;

-          La représentation des Noirs à la Société des Nations (SDN) ;

-          L’attribution du statut de citoyens aux indigènes dans les colonies françaises ;

-          La fin de l’exploitation du Congo belge.

 

Du fait de la survenance de différents évènements géo et sociopolitiques (crise financière et grande dépression de 1929, naissance du nazisme et prise du pouvoir par Hitler, puis déclaration et préparatifs de la seconde guerre mondiale), ces mots d’ordre ne seront pas honorés. Il faut attendre la fin de la Seconde guerre mondiale pour que les exigences du panafricanisme soient prises en compte et le mouvement connaître sa montée en puissance.

 

2.2  – Kwamé Nkrumah et l’envolée triomphale du panafricanisme en Afrique.

 

Le premier congrès du panafricanisme d’après-guerre se tient à Manchester en 1945. Il voit l’émergence majoritaire des représentants de l’Afrique noire, principalement anglophones. Ils ont pour noms :

 

-          Samuel Ladokè Akintola,

-          Obafemi Jeremiah Oyenini Awolowo,

-          Jomo Kenyatta,

-          Wallace Johnson,

-          Hastings Kamuzu Banda,

-          Kwamé Nkrumah.

 

Ce dernier se distingue lors de cette conférence qui met en avant le socialisme comme philosophie politique. Dans la foulée, le congrès avance trois revendications essentielles :

 

-          L’abolition des lois foncières qui privent les indigènes d’accéder à la propriété foncière ;

-          L’abandon de toutes les lois discriminatoires ;

-          Le droit des Africains à disposer les ressources naturelles de leur pays.

 

Le succès de la conférence de Manchester scelle le triomphe du mouvement panafricaniste. Il aura des conséquences inattendues en Afrique noire.

C’est d’abord, dans les colonies françaises, le vote en 1946 de la loi-cadre de Gaston Defferre, qui reconnaît la citoyenneté aux indigènes et leur ouvre l’accès au droit de vote.

C’est ensuite, pour ce qui concerne les membres du Commonwealth, l’accès à l’autonomie du Ghana de Kwamé Nkrumah. Ce dernier devient le premier chef du gouvernement (1951).

Le congrès de Manchester installe donc Kwamé Nkrumah comme le leader incontesté du panafricanisme en Afrique.

 

 

Fort de ce premier succès, Kwamé Nkrumah va organiser la conférence de Kumasi, en 1953. Cette conférence signe l’incrustation du panafricanisme sur le continent noir et consacre la cristallisation politique de la lutte anticolonialiste.

Le congrès de Kumasi est surtout centré sur l’Afrique de l’Ouest. Il s’agit en effet d’effacer le semi-échec de la conférence panafricaine de Bamako (19-21 octobre 1946), qui vit la naissance du RDA, le rassemblement démocratique africain, porté sur les fonts baptismaux par Félix Houphouët-Boigny, mais conférence boycottée par Lamine Guèye et Léopold Sédar Senghor, membres respectifs du MRP et de la SFIO.

Jusqu’alors confinés à la protestation littéraire, autour du concept de la Négritude mis en avant par le Martiniquais Aimé Césaire et le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, les Africains francophones participent en masse à la réunion de Kumasi et prennent toute leur part dans la construction et l’élargissement du panafricanisme : Lamine Guèye, Félix Houphouët-Boigny, Sourou Migan Apithy, etc.

A partir de cette date, les choses s’accélèrent.

 

Dès le 15 avril 1958, Kwamé Nkrumah prend l’initiative de réunir la conférence des Etats indépendants d’Afrique. La réunion se tient à Accra, capitale du Ghana. Huit « puissances » africaines participent à ce rassemblement : Egypte, Libye, Maroc, Tunisie, Ethiopie, Libéria, Soudan et Ghana.

 

Le 28 septembre 1958, suite au vote négatif du peuple guinéen au référendum sur la Communauté française proposée par la France, la Guinée de Sékou Touré obtient son indépendance. Les deux chefs d’Etat créent la première confédération africaine, l’Union Ghana-Guinée, posant ainsi la première pierre de la construction concrète du panafricanisme.

 

Dans la foulée, en décembre 1958, Kwamé Nkrumah convoque la conférence des Peuples africains. Une soixantaine de mouvements et partis politiques africains participent à cette réunion. Parmi les participants, on compte Patrice Lumumba pour le Congo belge, Félix-Roland Moumié pour le Cameroun, Kenneth Kaunda pour la Zambie (Rhodésie du Nord), Frantz Fanon représentant le FLN algérien, Barthélemy Boganda pour le MESAN (mouvement d’évolution sociale en Afrique noire), etc.

 

La conférence des Peuples africains pose le principe de la marche vers l’indépendance des différents pays africains, mais consacre aussi la rupture entre les radicaux, adeptes d’une rupture socialiste avec le monde occidental, et les modérés, partisans d’une relation pacifique avec les Etats capitalistes.

Il n’empêche ; l’année 1960 consacre l’indépendance des Républiques d’Afrique francophone et Kwamé Nkrumah convoque en 1962 la Conférence Internationale des Etats Indépendants d’Afrique, qui se tient à Addis-Abeba, la capitale de l’Ethiopie.

 

La réunion des chefs d’Etats et de gouvernements adopte la position des « Modérés » en créant l’Organisation de l’unité africaine (OUA), dont le premier secrétaire général est le guinéen Diallo Telli. Dans l’esprit des panafricanistes, c’est la première étape, obligée, vers la construction des Etats-Unis de l’Afrique.

 

III – Le panafricanisme et la fin de l’ « Utopia africana ».

 

L’essor et le développement du panafricanisme vont susciter autant d’espoirs que de contrariétés, pour ne pas dire de haine.

L’Afrique toute entière est vent debout et espère une convergence des consciences en l’avenir des peuples noirs, où qu’ils se trouvent. Les tentatives de regroupement ou d’alignement se multiplient (Fédération Sénégal-Mali, Union Sénégal-Gambie, Politique d’authenticité au Zaïre, au Tchad ou au Togo, combat de boxe du siècle opposant Mohamed Ali à Sonny Liston à Kinshasa, etc.).

 A l’inverse, dans la continuité du colloque de Berlin ayant acté le partage et la balkanisation des territoires africains, les anciennes métropoles coloniales s’activent pour faire échouer toute tentative de regroupement et de renforcement de l’unité africaine. Ils entendent ainsi garder leur pouvoir d’influence sur leurs anciens territoires respectifs, voire susciter la discorde chez le voisin.

 

L’histoire de la République centrafricaine et le devenir de son leader charismatique, Barthélemy Boganda, sont de ce point de vue exemplaire (5).

 

3.1 – Barthélemy Boganda et le panafricanisme.

 

Barthélemy Boganda est-il un panafricaniste ? Poser la question, c’est déjà y répondre à moitié. Nous ne retracerons pas l’itinéraire politique de l’ancien prêtre oubanguien, devenu la figure de la lutte pour la libération de l’homme noir et l’indépendance des territoires de l’Afrique équatoriale française (AEF). Dans le parcours politique de Barthélemy Boganda, et tout au long de son combat politique, deux événements majeurs le posent indiscutablement comme le pionnier du panafricanisme en Afrique centrale.

 

Le premier événement est d’importance capitale. En créant le mouvement d’évolution sociale en Afrique noire (MESAN), mouvement politique en rupture de ban avec le MRP français, dont il faisait jusqu’alors partie comme Lamine Guèye, Barthélemy Boganda s’inscrit directement dans l’idéal panafricaniste.

Le MESAN adopte une philosophie de l’universel qui se traduit par son mot d’ordre politique : ZO KWE ZO, en langue sango, qui peut se traduire par l’expression « tout être humain est un homme ». Cette devise (qui aurait pu être celui du pays) traduit la complexité et l’unité de l’homme, d’où qu’il vienne et quel qu’il soit !

Barthélemy Boganda ne prend pas part à la conférence de Bamako et ne participe pas à la naissance du Rassemblement démocratique africain, parti opposé à la rupture d’avec la France et promoteur de la « Françafrique », c’est-à-dire favorable à une indépendance  au sein de la communauté française. Il est plutôt favorable à une indépendance des colonies africaines, dans le cadre d’une organisation unitaire. Voilà pourquoi il prend part à la Conférence d’Accra, organisée par Kwamé Nkrumah en décembre 1958, dont il apparaîtra comme le héraut en Afrique centrale, mais dont il se distingue par son anticommunisme.

 

A l’issue de cette conférence, et dès son retour à Bangui, Barthélemy Boganda s’attache à la concrétisation de l’espace centrafricain. Il avance deux idées concomitantes pour la marche vers l’indépendance de cette partie du continent africain :

 

-          La création d’une République Centrafricaine, regroupant les cinq anciennes colonies françaises de l’Afrique équatoriale française, Cameroun, Congo, Gabon, Oubangui-Chari et Tchad, comme préalable d’accès à une indépendance commune et solidaire ;

-          La création des Etats-Unis de l’Afrique centrale latine, regroupant autour des 5 Etats ci-dessus, les territoires belges du Congo-Léopoldville, du Ruanda-Urundi, ou ceux de tradition portugaise, l’Angola et le Cabinda, une fois ces territoires devenus indépendants à leur tour. Pour cette nouvelle engeance, il propose la dénomination d’Union des Républiques d’Afrique centrale (URAC).

 

Il s’agit, pour Barthélemy Boganda, de dépasser les indépendances nominales en voie d’être acquises. Cette construction graduelle est une stratégie de contournement des résistances, principalement françaises, qui ne manqueraient pas de naître.

Malgré ses préventions et ces précautions, Barthélemy Boganda échoue. Dans le camp africain, sa stratégie politique est combattue par les représentants des autres territoires « aéfiens ». Ils se nomment : Léon Mba au Gabon, François Tombalbaye au Tchad (lequel a réussi à évincer le martiniquais Gabriel Lisette), et Fulbert Youlou, l’autre prêtre de l’épiscopat équatorien, au Congo Français ; tous trois partisans assumés du Rassemblement démocratique africain. C’est le triomphe de la doctrine Foccart, du nom du conseiller Afrique du Général Charles De Gaulle à l’Elysée, qui propose l’indépendance nominale de chaque territoire, selon la logique du diviser pour régner.

 

Qu’importe ! Malgré cet échec, Barthélemy Boganda persiste dans la stratégie du regroupement des forces politiques et nations traditionnelles africaines.

Dès le lendemain de la proclamation, le 1er décembre 1958, de la République centrafricaine et des Républiques sœurs du Cameroun, du Gabon, du Congo et du Tchad, Barthélemy Boganda propose la création d’une union douanière commune afin de tisser des liens de solidarité économique entre les pays de la bordure maritime atlantique (Cameroun, Congo et Gabon) avec ceux de l’hinterland (Centrafrique et Tchad). La France, puissance économique tutélaire de la zone Franc, ne s’oppose pas formellement à cette initiative.

Malheureusement, Barthélemy Boganda trouve la mort le 29 mars 1959, dans un accident d’avion. Son initiative verra cependant le jour le 29 juin 1959 par la mise en place de l’Union douanière équatoriale (UDE).

Après les indépendances, l’UDE sera  remplacée par le traité du 8 décembre 1964 qui crée l’Union douanière et économique en Afrique centrale (UDEAC). Elle devient effective le 01/01/1966, avant de s’élargir à la République démocratique du Congo en 1970 Elle éclatera en 1973 et sera reconstituée en CEMAC (Communauté économique et monétaire en Afrique centrale) le 1er janvier 1998 (Traité du 16 mars 1994) : Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale, Tchad.

De même, Barthélemy Boganda ne verra pas la naissance de la CEEAC, communauté économique des Etats de l’Afrique centrale, regroupant l’ensemble des Républiques qui devaient constituer l’URAC !

Barthélemy Boganda est un visionnaire dont nous devons faire fructifier l’héritage (6).

 

3.2 – De l’Organisation de l’unité africaine à l’Union Africaine, une régression de l’idéal panafricain.

 

La création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1962 n’a pas résisté longtemps aux coups de boutoir des adversaires du panafricanisme, qu’ils soient extérieurs à l’organisation comme les anciennes métropoles coloniales tout acquises à conserver leur mainmise sur leur « pré-carré », ou qu’ils soient internes à l’organisation mais partisans d’une entente cordiale avec les intérêts capitalistes.

Les motifs de l’échec de l’OUA sont multiples. Nous en privilégierons trois :

 

-          La première raison de l’échec du panafricanisme est l’adoption du principe d’intangibilité des frontières héritées du colonialisme. Alors que toute la lutte pour l’acquisition de l’indépendance s’est construite autour de la critique des frontières tracées par la colonisation, sans respect des coutumes et traditions africains, reprochant à ces dernières de séparer des clans, des familles, des tribus ou des ethnies, l’avalisassions (adoption) de ces découpages coloniaux est à l’origine des guerres civiles ou conflits frontaliers observés partout en Afrique noire (Katanga, Biafra, Erythrée, Somalie, Soudan, voire aujourd’hui la République centrafricaine). Rendre ces frontières intangibles et inaliénables, c’est interdire a priori tout regroupement entre les Etats indépendants, en particulier lorsque les anciennes tutelles coloniales s’y opposent.

-          Le second motif d’échec du panafricanisme tient à la mal gouvernance des institutions communautaires. L’exemple le plus criant est celui de la « chute de la maison Air Afrique », la compagnie aérienne du continent noir. Plusieurs raisons sont à l’origine de l’atterrissage forcé de cette société multinationale : gabegie, personnel pléthorique, mauvaise gestion, recrutement ethno centré, plan de vols fantaisistes, participations financières aléatoires des pays membres, défaut de stratégie d’alliance internationale, concurrence déloyale des compagnies établies, etc. La mal gouvernance institutionnelle explique donc cet échec, alors même que l’autre institution continentale, la Banque africaine de développement se perpétue, non sans connaître la concurrence de Banques continentales intervenant sur le même créneau !

-          La troisième raison de l’échec du panafricanisme tient à la politique d’obstruction des anciennes puissances coloniales, dès lors que les objectifs de l’Union ne s’inscrivent pas dans leur agenda à court, moyen et long terme. C’est ainsi que la France a longtemps contribué à l’affaiblissement de l’OUA, en suscitant des organisations concurrentes comme l’OCAM (organisation commune africaine et malgache), regroupement exclusif des anciennes colonies du pré-carré français. Parmi les activités mises en place par la France pour garder la mainmise sur ces territoires, on peut également citer les Jeux de l’Amitié, organisation sportive réunissant la France et ses anciennes colonies, y compris Madagascar et les Iles Maurice. Ces réunions sportives visent à tisser et renforcer les liens entre la France et ses anciennes colonies L’organisation internationale de la Francophonie s’inscrit dans la même logique. Voilà pourquoi, les Jeux de l’Amitié se sont transformés en Jeux de la Francophonie, organisés et financés par la France. Un autre outil d’influence stratégique est la permanence, à la zone Franc, du rattachement à taux de change fixe des monnaies africaines de cette zone à l’euro

 

Ces différentes raisons signent la fin du panafricanisme triomphant. Le temps semble venu de redéfinir une nouvelle utopie réalisable pour le continent noir.

 

IV – Perspectives d’avenir.

 

Les perspectives d’avenir sont sombres : l’Afrique n’a pas les moyens de sa politique et de son indépendance.

Aujourd’hui encore, c’est l’Union européenne qui contribue pour 75 % au budget de fonctionnement de l’Union Africaine. Les propositions mises en avant par l’actuel Président de l’organisation, le rwandais Paul Kagamé, n’ont pas encore été validées par ses pairs. Elles visent à l’autofinancement.

 

D’autre part, le panafricanisme a perdu sa raison d’être, celle d’une organisation liant les Africains à tous les descendants des peuples noirs, où qu’ils se trouvent. La solidarité avec les peuples noirs des Antilles, des Amériques ou de l’Océans Pacifique a été perdue de vue.

L’accession de Barack Obama à la magistrature suprême des Etats-Unis n’a pas modifié fondamentalement les rapports entre cette puissance mondiale et les pays africains, alors que le propre père du 43ème Président américain est originaire du Kenya. La faute à une gestion et un fonctionnement calamiteux de la démocratie en Afrique noire !

 

Et pourtant, l’Afrique est courtisée par toutes les puissances, en particulier celles émergentes du Brésil, de la Chine, de la Turquie et de quelques pays de l’Asie du sud-est. Comme le souligne l’hebdomadaire Courrier international, « de nouveaux acteurs investissent massivement dans le continent ». Mais cela n’empêche pas l’immigration d’y être un fléau, entraînant la fuite des cerveaux et l’assèchement de la main d’œuvre !

 

A l’inverse, le continent est soumis désormais à une manœuvre de déstabilisation socio-politique qui rappelle les razzias esclavagistes du XVème siècle. Avec Boko Haram au Nigéria et au nord Cameroun, Aqmi au Mali, Niger et Tchad, la Séléka en Centrafrique et les Shebabs en Somalie-Kenya, le terrorisme djihadiste fait mouvements de convergence vers l’Afrique centrale, seule région encore indemne de toute contamination islamique.

 

L’Union africaine doit retrouver les vertus du panafricanisme pour faire face à ces nouveaux défis, autour des trois principes qui le fondent :

 

-          L’Afrique comme projet politique, c’est la problématique des institutions communes ;

-          L’Afrique comme pouvoir économique, c’est la problématique de la monnaie commune ;

-          L’Afrique comme instance culturelle, c’est la problématique de la langue et des arts partagés.

 

 

 

Paris, le 29 Novembre 2018

 

Prosper INDO

 

(1)   – Anténor Firmin : De l’égalité des races humaines.

(2)   – Edward Wilmot Blyden : A vindication of african race.

(3)   – Felmine Sarr : Afrotopia. Editions Philippe Rey, Paris, 2016.

(4)   – Marcus Garvey : Message au peuple, le cours de philosophie africaine. Ed. Menaibuc, 2010.

(5)   – Jean-Dominique Pénel : Barthélemy Boganda, Ecrits et discours. Ed. L’Harmattan, Paris

(6)   – Victor Bissengué & Prosper Indo : Barthélemy Boganda, Héritage et Vision. Ed. L’Harmattan, Paris, 2018.


Barthelémy Boganda, maire de Bangui