Centrafrique 2010 in memoriam (extraits)

 

Il est cruel et criminel de chercher à assouvir ses propres désirs en prenant en otage son propre peuple.

Il est cruel et criminel de vouloir régler ses contradictions en prenant en otage tout un peuple et en l'affamant.

Il est cruel et criminel de détourner le bien public pour des intérêts éphémères, ludiques, et de pousser au dépérissement par des moyens machiavéliques ses concitoyens.

Il est cruel et criminel de s'autoproclamer juge et parti, d'être au four et au moulin, de faire et défaire à son gré ce que le peuple ou le mandant a librement consenti ou choisi.

Il est cruel et criminel de refuser de rendre compte des ses actes et de refuser la tolérance.

Il est cruel et criminel de livrer son pays comme une proie aux appétits des voleurs, des rapaces, et pire d'en être complice.

Il serait juste de réunir tous les enfants du pays sans équivoque, sans discrimination et rechercher ensemble la bonne porte de sortie.

Le moment est désormais venu pour que la centrafricaine et le centrafricain se mettent à panser les plaies.

La rancune et les règlements de compte ne pourront que nourrir la détresse de la Nation et attiser la haine provoquée et entretenue.

 

Hier, « Terra incognita », la République Centrafricaine s’est ensuite révélée pour se muer aussitôt en un angle mort de la Communauté internationale. Qu’elle traverse des zones de turbulence, qu’elle subisse des catastrophes et des assauts de tout prédateur, son sort n’émeut personne.

Le pays souffre mais nul n’entend ses cris et gémissements. Il vogue en déperdition sous l'œil de ses élites, de ses leaders occupés à des besognes égoïstes. Les projets peuvent attendre qu’un hypothétique bailleur de fonds vienne les réaliser.

La République Centrafricaine engluée à l’antipode de l’idée que se faisait le président fondateur, Barthelemy BOGANDA, prônant le Mouvement de l’Evolution Social de l’Afrique Noire (MESAN), fait aujourd’hui de l’immobilisme. L’enfant centrafricain empêché de grandir, pris en tenailles dans les contradictions non voulues, n’arrive pas à briser l’ancre qui le tient cloué.

A bien d’égards, le pays est en retard. Il se retrouve projeté, selon le classement mondial de l’indice de développement humain (IDH), à l’avant-dernière place. Les décideurs politiques, les gouvernants le savent pourtant. La question, inlassablement, revient, et invariablement, les débatteurs avec une certaine malice s’observent, tournent en rond.

 

Combien de temps faut-il, combien de morts faut-il pour que les gouvernants, les politiques et la communauté internationale prennent conscience du drame qui se joue en Centrafrique ? Les cris des victimes devant l'effondrement continuent à s'élever et toujours sans échos. Comme ultime solution, un groupe prépare pour sa part la disparition de la Nation. Avec de l'arrogance et des brutalités, il privilégie les mirages en oubliant qu'il est embarqué à bord du même vaisseau. Il refuse obstinément de s'attaquer à la racine du mal. Les expressions "unité, dialogue, réconciliation, dignité" se sont depuis vidées de leur sens. C'est l'amnésie totale, un état d'esprit bloqué. Le doute s’est installé. Quel que soit le suffrage exprimé, le résultat est entaché d’avance d’opacité et de manque de crédibilité. « Mais comment faire confiance aux politiques après avoir vu tout ça », s’exclament les uns. « Il ne sert à rien de construire, de se battre, de chercher à changer les mentalités ou modifier les comportements », clament les autres à travers le pays. Ici, le nihilisme semble bien ancré.

 

La restauration de confiance et le regain de dignité sont à rudes épreuves. La famine, des maladies oubliées, sont de retour. Des voix s'élèvent contre la confiscation du pouvoir et les richesses bradées. Nous voilà à la case de départ au milieu des ruines. Qui aura à payer plus chèrement le prix de l'insouciance et de la cupidité ? Sans nul doute, ce seront et avant tout, les enfants non scolarisés, mal nourris, sans soins, les femmes violentées, violées. Il n’y a pas d’horizon radieux pour cette jeunesse, car elle est sans avenir.

Par un soubresaut inespéré et pour le bonheur de tous, les filles et les fils du pays, malgré l'asphyxie et d’agonie, doivent se retrouver, s'asseoir autour d'une grande table ou d'un grand feu de bois, pour parler sans détour. Ainsi, dit le Roi Ghezo d'Abomey : « Si tous les fils du Royaume venaient par leurs mains assemblées boucher les trous de la jarre percée, le pays serait sauvé. »

 

Malgré tout il y a de l’espoir. Angoissé, souffrant, le Centrafricain voudrait bien voir le bout du tunnel ou émerger du fond des eaux abyssales au risque de se noyer. Paradoxalement, c'est le commandant de bord qui amarre et se dirige vers une destination incertaine. Il se met à appeler au secours, voguant à vue sans boussole : le commencement de la dérive ou l’éternel recommencement.

 

Il est naturel de rêver. Toutefois, l'impression et le mirage n'auront pas à se confondre avec la réalité. La République Centrafricaine frise le fatalisme. Personne ne croit à plus rien. Il y a sans doute espoir car il doit exister une issue de secours : toutes constructions chez les espèces humaines et animales en sont dotées sauf la mémoire de l'oubli.

 

Il me vient à l’esprit un souvenir en cette période anniversaire de la République Centrafricaine, les 50 ans d’Indépendance proclamée le 13 Août 1960... Bangui La Coquette déclamée par Marie-Jeanne Caron (1ère femme proviseur du 1er lycée féminin d’enseignement général, établissement public de même nom, à Bangui) :

" Dans l'écrin des vertes collines
Tu te blottis comme un joyau
Tu t'étires le long de l'eau
Du fleuve couleur d'opaline.

Tu changes avec les saisons
Et tu prends de nouveaux visages
Que ta parure de feuillages
Verts ou roux, donne à tes maisons.

Tes jardins, tes places publiques
Remplies de verdure et de fleurs
Te donnent un air bucolique
Plein de charme et de douceur.

Coquette comme une courtisane,
Tu attires les visiteurs
Et tu leur promets le bonheur
Liant leur cœur avec tes lianes.

Quand le jet d'eau de tes fontaines
Monte dans l'air chaud de la nuit
Il chante tes joies et tes peines
Et murmure ton nom : BANGUI.
"

 

Victime des brûlis, de braconniers et de coupeurs de bois, transpercée par des bulldozers pour des lotissements en dépit de bons sens, Gbazabangui la verte colline présente aujourd’hui un visage de désolation. Bangui toute entière a peur de perdre définitivement sa couverture verdoyante, sa faune, sa flore. C’est aussi la crainte de glisser, de s’écrouler et de voir la Coquette tant admirée s’évanouir définitivement sous des pressions conjuguées.

Bangui, la Coquette ou un moment de rêve

C'était au temps où la ville
Se faisait belle
La ville recherchait le bonheur
Elle resplendissait, chantait

Riait, mais vite vinrent des heurts
Bouleversant le beau visage
Bangui la coquette se leurre
Crie sa douleur, se meurt

La Coquette, au regard perdu
Comme un zombie, court, vacille,
Tente de se relever, les yeux hagards
Livides, s'oriente vers un hangar
Mis à sac, recherchant le réconfort évanoui.

Victor Bissengué

 

Qu’advient-il de ce Territoire désigné naguère Oubangui-Chari la Cendrillon de l’Empire (français) ? Un demi-siècle d’Indépendance plein d’aventures, de réalisations, de tourbillons, d’échecs, s’est écoulé.
Carte de la Republique Centrafricaine - Les zones de sécurité et d'insécurité (par diplimatie.gouv.fr

Selon l’évolution de la situation de la République Centrafricaine présentée au 21-01-2010 par diplomatie.gouv.fr, dans la rubrique Conseils aux voyageurs, seule une partie de la frange Sud semble être l’espace le plus sécurisé où l’on pourrait circuler sans crainte; il s’agit de la zone en vert (ou gris clair sur la carte) qui va de Mobaye à Bayanga en passant par Bambari, Bangui, Bimbo, Mbaïki.

« Les régions formellement déconseillées sont indiquées en rouge (ou gris foncé). Les régions indiquées en orange (ou en clair) sont déconseillées sauf raisons professionnelles impératives. »

 

Que l’année 2011 soit une année apaisée, fasse date dans l’Histoire pour un dessein, le sursaut salutaire de la République Centrafricaine.

Abel Goumba, David Dacko, Jean-Bedel Bokassa, André Kolingba, Ange-Félix Patassé, François Bozizé, auront marqué durablement et de manière très contrastée la vie des citoyens de ce pays.

Les cinq verbes de Barthélemy Boganda, président fondateur de la République proclamée le 1er décembre 1958, devront se conjuguer sans faute dans l’Unité, la Dignité, le Travail, par toutes les citoyennes, par tous les citoyens : nourrir, vêtir, loger, soigner, éduquer. Et qu’il le soit en adéquation avec la dynamique de l’environnement social-culturel, le monde biogénétique et numérique auquel le pays s’est lié.

Bon Anniversaire, Bonne Chance à la République Centrafricaine !

 

© Victor Bissengué, (29 novembre 2002, 01 décembre 2010)