Professeur Abel GOUMBA, combattant de la démocratie, de la dignité et de la justice en Afrique

 

Cayenne, le 12 mai 2009.

Un père fondateur de la République Centrafricaine s’est éteint ce 11 mai 2009. Je l’ai appris alors que j’étais réuni avec une poignée d’africains. Nous étions entrain de préparer une manifestation commémorative de l’abolition de l’esclavage et de la traite des noirs (9 et 10 juin).

C’est un devoir devant l’histoire pour moi, de rendre hommage à ce grand homme que tu es, et qui a inspiré ma liberté de ton, mon engagement invariable pour le bien être de notre peuple. C’est une responsabilité aussi en ces temps de recul des droits des centrafricaines et des centrafricains, de souligner l’héritage politique et droit-de-l’hommiste que tu nous lègue, Abel Nguende Goumba. Je l’assume !

-J’ai rencontré cet artisan historique de la fondation de la République, en 1990, en pleine tourmente, où nous réclamions une conférence nationale souveraine, devant déboucher sur d’importantes réformes politiques : pluralisme partisan, syndical, libertés individuelles et collectives accrues, volonté d’inspirer une dynamique économique, sociale et culturelle inscrivant notre pays dans la modernité.

-Abel m’a reçu chez lui à Malimaka, en compagnie de plusieurs de mes pairs de la Coordination des Elèves et Etudiants de Centrafrique (C.E.EC). Il nous a indiqué d’emblée son optimisme, quant à l’évolution des évènements dans le sens du progrès des droits et des libertés. Il considérait que l’implication vigoureuse de la jeunesse estudiantine était un gage de changement. Un consensus s’est dégagé ce jour, sur le fait que nous étions une structure arrimée à l’opposition, mais que sur des sujets de fonds, nous nous réservions un droit d’appréciation. Je lui ai affirmé notre préoccupation d’investir dans l’avenir et à long terme. Il fallait une amélioration significative des conditions de vie, d’études et d’insertion socioprofessionnelle des jeunes. En réalité, l’extinction du monolithisme correspondait à une promesse de prospérité et de justice sociale. Il nous longuement démontré ce jour, que nous n’étions dépositaire en apparence d’une souveraineté nationale, notamment sur nos richesses.

-J’ai ensuite côtoyé le Professeur avec qui nous avons pesé dans les luttes du début des années 1990, de sorte que dès avril 1991, l’acceptation du pluralisme politique, la création d’un poste de Premier Ministre, confirmaient l’amorce de notre entreprise de démolition du pouvoir personnel. La relative liberté de la presse aujourd’hui, les organisations de défense de droits de l’homme et les syndicats « libres » qui existent au pays, sont en partie les acquis des résistances menées à cette époque. Ce sont des données de la « démocratisation de la vie publique » nationale qu’il faut renforcer !

-C’est dans le cadre de la concertation des forces démocratiques (CFD), que nous avions réussi la seule fois de la vie politique centrafricaine, à avoir un candidat unique à la présidentielle de 1993, même si les démons du carriérisme se sont manifestés après ! Le Professeur Abel GOUMBA a porté ce défi et au 2ème tour, seule l’opposition était en position de prendre le pouvoir de l’Etat. Cette opportunité de changement a été gâchée. C’est pourquoi, il me paraît important en cette circonstance difficile, de souligner les valeurs portées par l’homme Abel Goumba.

-Je retiens en premier une fierté et une conscience patriotique profondes. Abel ne se cachait jamais d’être centrafricain et africain, même s’il reconnaissait volontiers les vertus de l’universalité du genre humain. C’est au nom des valeurs universelles qu’il a longtemps œuvré au sein de l’internationale socialiste.

-Je témoigne de la grande culture de l’intellectuel qui nous a longuement instruits plusieurs fois chez lui, à propos du système économique mondial, de ses iniquités ; mais aussi de la traite des noirs par les pays arabes, avant l’esclavage transatlantique. Il répétait volontiers que ces mécanismes étaient contemporains, sous des formes nouvelles et particulièrement insidieuses ; par exemple les injustices portées par les politiques d’ajustement structurel…

- Abel Goumba était imbu des valeurs de la démocratie. Cette dimension de l’homme a été le fil conducteur de son parcours et de sa vie politique. Je me souviens qu’à la manifestation populaire de « café sato » vers le PK 10 (1992), au niveau du marché de Gobongo, le professeur était allé plus vite en courant, que de nombreux jeunes du quartier. La charge des manifestants par les forces de l’ordre par des gaz lacrymogènes, avait été soutenue ! Quelques jours après, le Professeur était avec nous à nouveau dans la rue.

-La conquête du pouvoir par les armes qui fleurit dans l’espace politique, me semble t-il, ne l’a que très relativement emballé. Je n’ai pas eu l’opportunité d’en discuter avec lui à Bangui, lorsqu’il a accepté et assuré le poste de Premier Ministre de transition en 2003-2004.

-Abel Goumba est un politique qui restera aussi dans l’histoire, comme un résistant. De l’exil, en passant par les nombreux séjours en prison, il a été la caution, à de nombreux temps forts de la lutte pour la démocratie, la dignité des gens et la justice sociale. Sa seule présence conférait de la crédibilité à de nombreuses tentatives d’organisation populaire, pour faire aboutir le changement. Il apparaît que la constance en politique, ne semble pas être une valeur répandue dans le personnel dirigeant de ce pays !

-Abel a été aussi professeur de faculté de médecine en Centrafrique et au Bénin. Apprécié de nombreux de ses étudiants, je notais depuis hier (sms et mails ), que ceux-ci exprimaient leur déférence, et leur respect. Ils revendiquent que la nation lui rende un hommage à la hauteur de l’Homme.

-Je souhaite que les archives monumentales de ce collaborateur très proche de Barthélémy BOGANDA, soient numérisées pour permettre la recherche et la vulgarisation historique. Ce travail vaut sauvegarde d’une parcelle précieuse de notre histoire collective, et partant de notre identité nationale. Bien entendu, il va falloir l’inhumer le plus dignement possible, avant de se lancer dans ses expectatives d’intérêt général.

- Chef d’une lignée nombreuse qui faisait sa fierté, Abel était un homme dont la dimension publique conduit à une appropriation intellectuelle et symbolique, des générations présentes et à venir.

La circonstance de sa disparition n’autorise pas, conformément à notre tradition et à la décence, d’ouvrir la polémique sur son bilan politique. Il n’en demeure pas moins qu’Abel Goumba s’est éteint, à un moment tragique pour notre pays et notre continent. La crise financière internationale va encore faire des ravages jusqu’à chez nous, alors que la prospérité n’a jamais gagné les rives de l’Oubangui, en tout cas de façon significative…

Des hommes et des femmes errent en brousse et ne peuvent se nourrir convenablement. Notre modèle « démocratique » n’en est probablement pas un, si ce n’est que nous sommes dans une « cité tragique des morts-vivants »…

Ma conviction est que la démocratie ne portera pas ses fruits à l’échelle d’un seul pays comme le nôtre, encerclé de part en part par des pays frères, enclin à la guerre civile, aux clanismes, à la gestion patrimoniale, à la gabegie, bref ; à une enivrante bêtise humaine !

C’est une ambition nouvelle que nous devons inventer. Le Professeur Abel Goumba nous a enseigné les vertus de la fierté patriotique, de la justice et du courage pour assumer nos convictions. Nous devons être à la hauteur de ce legs en approfondissant ce qui nous rassemble, pour la transformation rapide des potentialités de notre pays.

Adieu Abel, tes confidences empreintes d’authenticité et de finesse vont nous manquer. Condoléances à Mme la Députée ton épouse et tes enfants. Que la terre te soit légère.

Jean-Pierre REDJEKRA

Guyane Française

jp-redjekra@hotmail.fr