Astrid Garaude
- 16/07/2013 - youphil.com
La République centrafricaine traverse l'une des pires crises
humanitaires de son histoire, dans l'indifférence
générale.
La crise humanitaire en
République centrafricaine est chronique, mais depuis la chute du président François Bozizé
en mars 2013, la situation s’est davantage aggravée.
Explication.
Depuis l’indépendance de la
Centrafrique en 1958, le pays de 4,5 millions d’habitants est plongé dans
l’instabilité politique. Les dix ans de règne de François Bozizé ont été
marqués par une contestation grandissante qui s’est matérialisée par le mouvement
Seleka.
Ce dernier est né de l’agrégation de cinq groupes rebelles, unis dans la volonté de faire tomber Bozizé. Une fois la tâche accomplie, le groupe a placé Michel Djotodia à la tête de l’Etat, gageant qu’il serait un rempart efficace contre l’insécurité.
Un combattant rebelle dans le nord
de la Centrafrique.
Un voeu pieu. Le nouveau chef d'Etat
n'a aucune autorité sur la Seleka qui répand la terreur à travers le pays,
multipliant les exactions et les pillages. "Il s’agit d’une milice très hétérogène dont certaines
composantes ont une grande autonomie", explique Philippe Hugon,
directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et
stratégiques.
2. Quelle est la situation
humanitaire?
Tous les indicateurs sont au rouge.
Le pays a la deuxième espérance de vie la plus faible du monde (48 ans) et un
taux de mortalité trois fois supérieur au seuil qui définit une urgence humanitaire. Le Haut-Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés dénombre 206.000 personnes déplacées et près de 50.000
Centrafricains réfugiés en République démocratique du Congo, au Tchad et au
Cameroun. Ce qui provoque une situation sanitaire
intenable.
Cinq des ONG présentes sur
place se sont réunies le 9 juillet 2013 pour lancer un cri d’alerte.
"La situation humanitaire, déjà très
difficile, a empiré depuis mars", affirme Mego Terzian, président de
Médecins sans frontières (MSF).
> L'effondrement du système de
santé
"Les centres médicaux sont abandonnés et il n’y a plus
d’approvisionnement en médicaments y compris pour les traitements de base contre
la diarrhée et le paludisme. De plus, plusieurs
patients séropositifs ne sont plus soignés, faute de traitement
disponible", rapporte Mego Terzian. Les structures de
santé soutenues par MSF dénombrent 33% de cas de paludisme supplémentaires par
rapport à 2012.
> Une crise
alimentaire
Action contre la faim (ACF) évoque
une situation alimentaire déplorable, par la voix de son directeur régional
Alain Coutant: "Nous recensons deux fois
plus d’admissions dans nos centres nutritionnels en
2013."
Un constat partagé par Bérangère
Tripon de l’ONG Solidarités international (SI). Elle observe "un élargissement des populations
touchées par la précarité alimentaire dans un contexte de mauvaise
récolte et de pillage des semences". Si bien que les réserves
alimentaires des populations sont réduites à un mois d'après l'ONG. En cas de
pénurie, elles mangent les semences telles quelles.
3. Pourquoi la communauté
internationale n'agit-elle pas?
Les cinq ONG dénoncent le désintérêt
de la communauté internationale et l’exhortent à "réinvestir l’espace humanitaire", comme
l’assène, Rafik Bedoui de Médecins du Monde (MdM).
> L'insécurité pour justifier
l'inertie internationale
Il semble que la RCA ne soit pas la
priorité de l’agenda international. Jeffrey Feltman, Secrétaire général adjoint
aux Affaires politiques de l'ONU s'est rendu à Bangui en avril 2013, mais aucune
aide concrète n'a suivi cette visite. Il a simplement appelé "les nouvelles autorités du pays [à] assumer leurs
responsabilités en contrôlant les éléments sous leur commandement."
Or, l'Etat centrafricain semble incapable de maîtriser les milices de la Seleka.
L'absence d'un engagement clair de
l'ONU est particulièrement montrée du doigt. "Les Nations Unies ont payé cher leur complaisance
envers Bozizé. Leurs locaux ont été pillés et leurs agents
malmenés", analyse Roland Marchal, chargé de recherche au CNRS,
basé au Centre d'études et de recherches internationales de Sciences-Po
Paris. Cela a conduit l’organisation à réduire son équipe à 40 agents, un
protocole strict qui affaiblit ses capacités d’action. Outre les bureaux de
l'ONU, les "ONG sont pillées et les
exactions se multiplient", rapporte Thierry Mauricet de l’ONG
Première urgence - Aide médicale internationale.
Trop d'insécurité pour la communauté
internationale mais également pour les bailleurs de fonds. Ils seraient peu
enclins à apporter une aide potentiellement détournée ou volée. Cet
argument ne tient pas selon Roland Marchal. Plusieurs pays gangrenés par la
violence ont bénéficié d’une aide importante.
C'est le cas en Libye où l'ONU
s'était engagée à "soutenir le peuple
libyen dans tous les domaines". Au Soudan, depuis
Roland Marchal ajoute que "la Seleka est un groupe armé à la puissance de feu
limitée, rien à voir avec l’armée rwandaise, par exemple". Rétablir
la sécurité est donc possible, selon lui.
> La RCA,
"un
intérêt géostratégique très faible" pour la
France
Roland Marchal s'indigne de
l'inaction française: "Où est la
responsabilité de protéger? C’est bien sous cette bannière que sont intervenus
les Français en Lybie et au Mali. Les troupes sont sur place mais les
instructions envoyées par Paris les cantonnent à une action a minima. Les
Centrafricains sont des citoyens comme les autres, ils doivent être traités
comme tel."
En avril 2013, le président Michel
Djotodia a appelé la France au secours pour restaurer
la stabilité dans le pays. Un appel qui fait écho à celui de son homologue
malien, Dioncounda Traoré, lancé en janvier 2013. Mais contrairement au
dirigeant malien, le sien est resté lettre morte.
La France s'engage faiblement en
RCA. Entre 2006 et 2010, les engagements de l'Agence française de développement
se sont élevés à 37.5 millions d'euros. A titre de comparaison, au Togo, ils ont
atteint 131 millions d'euros entre 2005 et 2011. Comment expliquer ces
différences de traitement?
Pour Philippe Hugon, la France
n'intervient pas à cause du "caractère
interne de la crise, à la différence du Mali où se trouvait plusieurs éléments
étrangers." La réalité est peut-être plus prosaïque: "Ce petit pays enclavé représente un intérêt
géostratégique très faible." En dépit de quelques ressources
minières, la RCA est très pauvre, explique le chercheur. Les échanges
commerciaux entre la France et la Centrafrique ne s'élèvent qu'à 52.000 euros
par an, d'après le Quai d'Orsay.
4. Vers un sursaut de la communauté
internationale?
Face à la dégradation de la
situation humanitaire, la communauté internationale paraît enfin se
réveiller. L'ONU a annoncé une aide d'urgence de 7 millions d'euros en juin
2013 afin de répondre à la crise humanitaire. L’UE quant à elle, va
débloquer une aide supplémentaire de huit millions d’euros, nous apprend
Kristalina Georgieva, commissaire européenne à la coopération internationale et
à l'aide humanitaire.
Cela porte sa contribution pour 2013
à 20 millions d’euros. En 2012, au Sahel, alors que 10 millions de personnes
étaient confrontées à une pénurie alimentaire (soit deux fois plus qu'en RCA),
l'Europe a débloqué plus de 330 millions d'euros. C'est-à-dire 15 fois plus que
celle apportée en RCA.
Camp de réfugiés à Sam-Ouandja, au
nord de la République centrafricaine.
Les 11 et 12 juillet 2013, celle-ci
s'est rendue sur place, ccompagnée de Valerie Amos, secrétaire générale adjointe
des Nations Unies chargée des affaires humanitaires.
"L’Union européenne a le devoir de faire bouger les
choses. Le monde ne peut pas continuer à ignorer cette crise comme ce fût le cas
en Somalie", a expliqué la commissaire à
Youphil.com. L'engagement européen est salué par les ONG: "Il faut reconnaître l'implication de l'UE en
RCA", souligne Bérangère Tripon, responsable pour la corne de
l'Afrique à l'ONG Solidarités international.
La commissaire a affirmé vouloir
être la porte-parole de ce petit pays: "Mon
ambition est de porter la cause de la RCA à l’ONU et notamment au Conseil de
sécurité. Il faut mobiliser d’autres partenaires pour rétablir la
stabilité." L’urgence, selon elle, est "d'assurer la sécurité, un préalable à tout action
humanitaire." Cela va notamment passer par un renforcement de
la Micopax, la Mission de consolidation de la paix en République centrafricaine,
d'après elle.
Cette visite marque le début d’une
réaction internationale concertée mais qui devra, dans les faits, être confirmée
par une action concrète.
Crédit photos: Hdptcar/Flickr, 2007.
Crédit carte 1: Crédit: CIA/WikimédiaCommons
Crédit carte 2: Crédit UNHCR
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