Analyse:
L'UA prépare ses troupes de choc
L’Union
africaine veut établir d’urgence une force d’intervention rapide pour faire face
aux crises sur le continent -
Photo: Guy Oliver/IRIN -
JOHANNESBOURG, 4 juin 2013
(IRIN) - Une
nouvelle force approuvée par l'Union africaine (UA) pour un déploiement rapide
en cas de conflit comme celui du Mali est présentée comme une mesure de
transition en attendant la formation planifiée de la Force africaine en attente
(FAA) dotée d'une « capacité de déploiement rapide » (CDR).
Contrairement à la FAA qui aura
également des fonctions policières et civiles, la Capacité africaine de réponse
immédiate aux crises (CARIC) aura « une capacité exclusivement militaire pourvue
d'une grande réactivité pour intervenir rapidement sur décision politique en cas
d'urgence afin de résoudre des conflits sur tout le continent, », a déclaré
Nkosazana Dlamini-Zuma, présidente de la Commission de l'UA, dans un récent
communiqué lors du sommet de l'UA à Addis Abeba [ http://cpauc.au.int/en/content/report-chairperson-commission-operationalisation-rapid-deployment-capability-african-standby
].
Si l'échec de l'UA dans la
résolution de conflits dans des pays comme la Côte d'Ivoire, la Libye et le Mali
est une source d'embarras pour l'organisation d'États africains, la Mission de
l'Union africaine en Somalie (AMISOM), dont les frais de fonctionnement annuels
de 500 millions de dollars sont assurés par les partenaires internationaux, est
largement considérée comme une réussite [ http://www.irinnews.org/film/4786/Soldiers-Stories
].
Selon les analystes, l'AMISOM est
une source de « fierté » pour l'UA, car les forces africaines, au prix de
nombreuses vies (des milliers de morts selon certaines estimations), ont réussi
à ramener un espoir de paix, là où les forces américaines bien mieux équipées
avaient échoué en Somalie.
Poussée à l'action
Mme Dlamini-Zuma a déclaré dans son
rapport que le Mali avait été un élément déclencheur dans la création de la
CARIC et qu'il était « évident » qu'une force militaire africaine dotée d'une
CDR aurait permis que l'intervention militaire française ne soit pas « l'unique
recours ».
Solomon Dersso, directeur de
recherche au bureau d'Addis Abeba de l'Institut d'études de sécurité (ISS), un
groupe de réflexion basé à Pretoria, a déclaré à IRIN que le fait que le
président intérimaire Dioncounda Traoré ait demandé une aide militaire à
l'ancienne puissance coloniale française pour contrer les rebelles islamistes «
a laissé un goût amer à beaucoup de gens ici [à Addis Abeba et au siège de l'UA]
et a alimenté les débats au plus haut niveau de l'UA » [ http://www.issafrica.org/ ].
Selon Mme Dlamini-Zuma, la CARIC
sera constituée à partir d'une « réserve de 5 000 soldats avec des modules
opérationnels sous la forme de groupements tactiques de 1 500 personnes pouvant
être déployés rapidement. avec une période initiale de soutien autonome de 30
jours minimum ».
D'après le rapport, la CARIC sera
composée de trois groupements tactiques constitués de trois bataillons
d'infanterie de 850 soldats chacun, d'une compagnie d'artillerie et de blindés
légers, ainsi que d'une escadre aérienne de 400 hommes qui comprendra des avions
et des hélicoptères d'assaut, de même qu'un soutien logistique doté de capacités
stratégiques d'emport instantané. L'unité devrait avoir un « préavis de
mouvement de 10 jours ».
Le quartier général de cette force
comptera un effectif permanent de 50 personnes et les missions de la CARIC
concerneront : « la stabilisation, l'imposition de la paix et les missions
d'intervention ; la neutralisation de groupes terroristes ou autres entités
criminelles transfrontalières et de rébellions armées ; et une aide d'urgence
aux États membres dans le cadre du principe de non-indifférence pour la
protection des civils », a indiqué le rapport de Mme Dlamini-Zuma.
Le commissionnaire de l'UA pour la
paix et la sécurité, Ramtane Lamamra, a déclaré dans un communiqué que les
contributions en effectifs se feraient sur une base volontaire de la part des
États membres et que les pays participants financeraient la CARIC afin qu'elle
puisse « agir en toute indépendance » [ http://summits.au.int/en/sites/default/files/21ST_AU_SUMMIT_-_PRESS_BRIEFING_OF_COMMISSIONER_PEACE_AND_SECURITY[1].pdf
].
À première vue, la CARIC ressemble à
un prototype de la FAA, mais les modalités de déploiement des deux forces sont
légèrement différentes. M. Lamamra a déclaré : « Le commandement et le contrôle
[de la CARIC] seront assurés par le Conseil de paix et de sécurité de l'UA sur
demande lorsqu'un État membre sollicitera une intervention ».
La mission de la FAA, établie par
l'Acte constitutif de l'UA adopté en 2000, marque une rupture avec son
prédécesseur, l'Organisation de l'unité africaine (OUA) qui appliquait le
principe de non-ingérence avec les États membres. Cet acte a conféré à l'UA non
seulement le droit d'intervenir dans un conflit, mais aussi l'obligation de le
faire « dans certaines circonstances graves, à savoir les crimes de guerre, le
génocide, les crimes contre l'humanité ».
Le porte-parole du ministère des
Affaires étrangères sud-africain, Clayson Monyela, a déclaré à IRIN que l'UA
restait attachée à la FAA, et, bien que le déploiement de la CARIC soit soumis à
la demande d'un gouvernement, « il peut y avoir des circonstances
exceptionnelles » permettant à la force armée d'intervenir sans y être invitée.
Des forces ad hoc
En dehors des missions des Nations
Unies et de l'UA, les opérations militaires africaines privilégient des forces
ad hoc [ http://www.irinnews.org/fr/report/95437/sÉcuritÉ-une-force-d-intervention-rapide-pour-répondre-à-la-situation-en-afrique
] telles que l'opération lancée par quatre pays à l'encontre de
l'Armée de résistance du Seigneur [ http://www.irinnews.org/report/94794/analysis-the-lra-not-yet-a-spent-force
] (LRA) de Joseph Kony.
Selon Sivuyile Bam, le chef de la
Division des opérations d'appui à la paix (PSOD) de l'UA, l'avantage des forces
ad hoc était qu'elles suivaient le concept de nation-cadre et qu'elles
permettaient une action plus directe, au lieu de suivre les complexités
politiques de la FAA. « [Grâce à ce système ad hoc] un pays peut déclarer à l'UA
qu'il possède un bataillon et qu'il peut le déployer dès le lendemain».
M. Bam envisage un « système combiné
pour les cinq à dix prochaines années. Le système de la FAA est en train de
mûrir, son développement prend du temps et il dépend encore du concept [ad hoc]
de nation-cadre, donc, lorsqu'une opération est nécessaire, il faut envoyer un
message aux États membres [de l'UA] en disant : 'J'ai besoin de soldats, s'il
vous plaît, aidez-moi' ».
La CARIC est conçue comme un «
arrangement temporaire », a expliqué M. Dersso de l'ISS, mais « dès que [la
CARIC] sera constituée, elle pourra prendre un chemin totalement différent, en
fonction de sa réussite » et pourrait cesser d'être une force ad hoc pour
devenir une « entité à part entière » au service de l'UA.
Certains analystes ont avancé qu'une
FAA opérationnelle, efficace et bien équipée n'aurait peut-être pas la
possibilité de se déployer simultanément dans des régions comme le Soudan du
Sud, le Sahel et la République démocratique du Congo (RDC).
Si la FAA voit finalement le jour,
les contributions en effectifs des cinq brigades en attente seront réparties
dans cinq régions économiques du continent africain. Forte d'environ 5 000
soldats, 720 agents de police et 60 membres civils (des conseillers spécialistes
des droits de l'homme, de l'information publique et des questions politiques),
chaque brigade sera en réserve sur une période de six mois, suivant un système
de rotation tous les deux ans, afin de pouvoir se déployer rapidement.
La FAA devra accomplir plusieurs
tâches comme celle de fournir des effectifs destinés à être rattachés à une
mission militaire régionale, politique ou mandatée par les Nations Unies, ou
encore de déployer une force régionale de maintien de la paix dans un délai de
30 jours ou de 14 jours en cas de « circonstances graves » comme un génocide.
Des doutes sur la capacité militaire
Un rapport de l'ISS [ http://www.issafrica.org/iss-today/the-future-of-intra-state-conflict-in-africa
] a récemment souligné le besoin urgent de forces d'intervention
rapide, car « le risque d'instabilité et de violence [en Afrique] devrait
persister, voire s'aggraver dans certains cas ».
Parmi les facteurs de conflit
énoncés dans le rapport, il y a : le fait que « beaucoup d'États sont à
mi-chemin entre l'autocratie et la démocratie » ; le syndrome de « mauvais
voisinage » causé par les effets des conflits qui s'étendent au-delà des
frontières ; et les États qui sortent d'un conflit pour replonger dans un climat
de « violence répétée ».
Le déploiement imminent d'une force
d'intervention [ http://www.irinnews.org/fr/report/98027/le-renforcement-des-troupes-en-rdc-peut-il-changer-les-choses
] de 3 000 hommes, robuste et faisant preuve d'une grande mobilité,
composée de troupes malawites, sud-africaines et tanzaniennes, et appelée
SADCBrig (brigade de la Communauté de développement d'Afrique australe) pour «
neutraliser » les groupes armés dans l'est de la RDC, conformément à la
résolution 2098 des Nations Unies, ressemble plus à la mission de la CARIC qu'à
celle de la FAA, car elle sera constituée d'une force combattante sans aucun
volet civil ou policier.
Cependant, le déploiement de cette
force d'intervention en RDC est retardé par un ensemble de facteurs, notamment
un manque croissant d'avions gros porteurs disponibles et un nombre insuffisant
de pistes d'atterrissage adaptées, comme l'a déclaré à IRIN Helmoed-Romer
Heitman, correspondant de la revue spécialisée Jane's Defence Weekly.
« Comment se déployer rapidement
sans avions gros porteurs ? », a-t-il demandé. Les militaires africains
affrétaient des avions « comme d'habitude », mais dépendaient d'appareils
soviétiques pour leur transport aérien, comme les avions Antonov qui étaient
devenus obsolètes, a-t-il rappelé.
L'Afrique du Sud avait commandé huit
avions militaires Airbus A400m de transport aérien en 2005 pour un coût
d'environ 1 milliard de dollars américains, avant d'annuler la commande à cause
des contraintes financières et d'une augmentation des coûts associés. Le pays a
été remboursé de l'acompte de 407 millions de dollars en décembre 2011 par le
constructeur aéronautique européen Airbus, les avions de transport devant être
opérationnels en 2013.
M. Heitman s'est également interrogé
sur la définition du concept « d'intervention rapide » selon l'UA, en évoquant
les récents affrontements à Bangui, la capitale centrafricaine qui a était le
théâtre d'un déploiement des troupes sud-africaines réalisé à la va-vite pour
soutenir le président François Bozizé. Treize soldats sud-africains ont été tués
et deux autres ont succombé à leurs blessures après leur rapatriement.
« Il peut se passer beaucoup de
choses en 48 heures. Parachuter un bataillon sur le terrain en 24 heures est une
intervention rapide », a-t-il déclaré.