Le
Cameroun doit composer avec l’afflux de réfugiés centrafricains
Lolo,
4 juin 2014 (IRIN) - Des
boucheries et des étals en plein air flanquent maintenant la route non pavée qui
traverse le village de Lolo, dans l’est du Cameroun. L’installation de quelque
10 000 réfugiés centrafricains dans ce village de 2 000 habitants stimule
l’économie locale, mais provoque également des disputes entre la communauté de
petits agriculteurs et ses nouveaux résidents éleveurs de bétail.
La
recrudescence des violences en République centrafricaine (RCA) voisine a
contraint plus de 80 000 personnes à se réfugier dans l’est du Cameroun depuis
le début de l’année. Les nouveaux arrivants ont dû surmonter de nombreux
obstacles. La plupart d’entre eux ont marché pendant des mois ; certains ont été
attaqués – parfois même blessés ou tués – par des bandes armées. La malnutrition
et la maladie ont également décimé les mères et les enfants.
Pendant
la dernière semaine de mars, quelque 10 000 réfugiés ont traversé la frontière
camerounaise. Le nombre de nouveaux arrivants a ensuite considérablement
diminué, passant à environ 2 000 par semaine à la fin mai. Les travailleurs
humanitaires croient que des hommes armés bloquent les routes vers les points de
sortie. Les attaques répétées contre la population en fuite ont entraîné
l’émergence de multiples points de passage, ce qui, au départ, a compliqué la
fourniture d’aide humanitaire. Mais ceux qui ont réussi à traverser au Cameroun
sont maintenant transférés des sites temporaires situés à proximité de la
frontière vers des villages localisés plus loin à l’intérieur du
pays.
La
région de l’Est est vaste, fertile et peu peuplée. L’afflux de réfugiés a donné
lieu à des changements drastiques dans la composition des populations locales.
Les petites communautés à majorité chrétienne comme Lolo ou Mbilé, le village
voisin, sont devenues, presque du jour au lendemain, principalement musulmanes
(la religion des réfugiés). Les rares centres de santé, écoles et points d’eau
et les autres ressources disponibles sont surexploités en raison de cette
explosion démographique soudaine.
La
ville frontière de Kenzou fait partie des zones qui ont été particulièrement
affectées entre février et mars, au moment du pic des arrivées de réfugiés.
Selon Emmanuel Halpha, le préfet de la région de Batouri, dans l’est du
Cameroun, la population de Kenzou « a triplé en un temps record ».
M.
Halpha a souligné les ajustements inévitables qui ont dû être faits, les coûts
encourus et les tensions pouvant apparaître à la suite d’un tel afflux.
« Il y
a eu un impact sur le coût de la vie. Les denrées de base coûtent maintenant
plus cher et quelques articles sont désormais difficiles à trouver. Des conflits
agropastoraux ont également éclaté. La population locale doit composer avec
l’arrivée des réfugiés et de leur bétail, et cela entraîne des disputes au sujet
de l’utilisation des terres agricoles. »
«
Nous avons établi les sites de réfugiés dans des régions où il y avait déjà
des services essentiels comme des centres de santé et des écoles, mais lorsqu’un
village qui compte normalement 1 500 ou 2 000 habitants doit accueillir d’un
seul coup plusieurs milliers de personnes, ces structures sont débordées. »
Bétail,
conflits et coûts
Les
réfugiés sont surtout des éleveurs nomades Mbororo. L’arrivée des Mbororo a
entraîné des conflits avec la population locale en raison de la destruction de
certaines cultures, mais les nouveaux venus ont aussi découvert que l’est du
Cameroun était essentiellement couvert de forêts et qu’il y avait peu de
pâturages pour leurs bêtes. Ayant parcouru de longues distances, les bêtes
décharnées sont nombreuses à mourir, entraînant des pertes pour les Mbororo,
mais aussi l’apparition de boucheries et d’étals de viande grillée en bordure
des routes.
« La
viande vendue dans les boucheries vient de nos bêtes qui se meurent », a dit
Hodi Aliou, le chef de la communauté de réfugiés de Lolo. « Le prix des vaches
est passé de 200 000 francs (500 dollars) à 20 000 francs parce qu’elles sont
maigres et que nous sommes forcés de les vendre au rabais. Certains éleveurs
sont partis [vers les régions du nord du Cameroun] à la recherche de pâturages.
»
M.
Aliou a dit que les disputes les plus courantes entre les réfugiés et la
population locale concernaient l’empiétement sur les terres agricoles. Il a
cependant ajouté que les deux camps faisaient généralement leur possible pour
trouver une solution à l’amiable afin de prévenir l’aggravation des conflits. Il
arrive aussi que des altercations éclatent au sujet des lieux de lavage sur les
cours d’eau locaux, mais celles-ci n’ont pas donné lieu à de graves
confrontations, a-t-il ajouté.
En
dépit des pressions sur les ressources locales, le chef du village de Lolo,
Mbogani Nicolas Defer, a dit qu’il était prêt à accueillir jusqu’à 20 000
réfugiés dans la région. « Nous ne manquons pas d’espace », a-t-il précisé.
Selon
M. Halpha, le préfet de Batouri, l’installation des réfugiés dans les
communautés suppose des gains à long terme pour tous. La population locale et
les réfugiés tirent en effet profit des interventions humanitaires dans des
secteurs comme l’éducation et la santé. « Si les sites sont situés dans les
villages, c’est pour que les investissements réalisés par les groupes d’aide
humanitaire aient aussi un impact après le départ des réfugiés, ce qui ne serait
pas le cas s’ils étaient établis dans des régions isolées », a-t-il dit à IRIN.
Opportunités et
pressions
Selon
Babani Aoudou, qui tient un étal de viande grillée à Lolo, les avantages de la
présence des réfugiés se font déjà sentir. Il a expliqué qu’avant leur arrivée,
il mettait deux jours à vendre la viande d’une seule chèvre, alors qu’il a
maintenant besoin de deux chèvres pour répondre à la demande quotidienne.
«
La présence des réfugiés peut avoir un impact économique positif sur les
villages », a souligné le gouverneur de la région de l’Est, Ivaha Diboua Samuel
Dieudonné.
Le
Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) cherche quant à lui
à améliorer les services et à augmenter le personnel dans les centres de santé
des villages où les réfugiés s’installent. L’agence des Nations Unies procède
également au forage de puits supplémentaires.
M.
Dieudonné a cependant signalé que l’accroissement de la surveillance sécuritaire
rendu nécessaire par l’arrivée massive des réfugiés coûtait cher et que le
budget annuel du gouvernement ne comportait pas d’allocation supplémentaire pour
répondre à cet afflux soudain. « Le gouvernement est contraint de dépenser plus
pour la sécurité », a-t-il dit à IRIN sans donner de chiffres.
Par
le passé, des hommes armés vraisemblablement originaires de la RCA ont attaqué
les camps de transit situé près de la région frontalière. En août 2013, les
autorités camerounaises ont été forcées de fermer temporairement la frontière
avec la RCA à la suite d’un échange de coups de feu impliquant des membres de la
Séléka, la coalition rebelle centrafricaine qui a renversé le président François
Bozizé. Un policier camerounais a été tué dans la fusillade.
Récemment,
le gouvernement a aussi déployé des soldats à la frontière avec le Nigeria, où
une série d’attaques sanglantes menées par des combattants de Boko Haram a
également poussé des milliers de personnes à fuir pour se réfugier au
Cameroun.
Les
violences en RCA voisine et dans le nord-est du Nigeria ont renforcé
l’importance du Cameroun en tant que zone sûre. Le pays accueille en effet près
de 200 000 réfugiés originaires des deux pays. La proximité du Cameroun avec les
zones de conflit – souvent situées juste de l’autre côté de la frontière –
soulève cependant d’autres préoccupations en matière de sécurité, exposant le
pays à des risques nouveaux et complexes.