"En Centrafrique, les bonnes décisions n'ont jamais été prises par les Centrafricains"
Ephrem
Rugiririza, JusticeInfo.Net - 19.05.17
Selon
le juriste Didier Niewiadowsk, les dernières violences en RCA sont " un
avertissement à La Minusca" (célébrant ici t la Journée internationale des
Casques bleus le 28 mai 2016)
Photo MINUSCA
Prémices
d’une rébellion politique, mouvement d’insurrection nationale face à l’absence
d’une véritable politique de réconciliation nationale, sur fond d’une impunité
totale, … Le juriste Didier Niewiadowski, ancien conseiller à l’ambassade de
France en Centrafrique, analyse sans concession les derniers développements en
Centrafrique où plus d’une centaine de civils et une demi-douzaine de Casques
bleus de l’ONU ont été tués ces derniers jours lors de violences inédites. Pour
l’ancien diplomate français, la Centrafrique, avec ses dirigeants « coupés
des réalités du pays », risque de ressembler à la République démocratique
du Congo (RDC) ou à l’ex Somalie. Didier
Niewiadowski est interrogé par JusticeInfo.Net
JusticeInfo.net
Ces violences semblent inouïes par rapport à celles que l’on a connues au cours
des derniers mois ? Qu’est-ce qui fait leur
singularité ?
Didier
Niewiadowski Depuis le premier anniversaire de l'investiture du Président
Touadera, le 30 mars 2017, la crise centrafricaine a pris une nouvelle dimension
et a changé de nature. Face à l'immobilisme et à l'affairisme exacerbé du clan
présidentiel, reconstitué au niveau du pouvoir exécutif et des principaux postes
de l'administration centrale, le rejet du président Touadera et de son
gouvernement est de plus en plus partagé non seulement par la population qui ne
supporte plus l'impunité, érigée en principe de gouvernance, mais aussi au
niveau des députés, témoins de l'aggravation des violences et empêchés
d'interpeller les membres du Gouvernement. La majorité présidentielle a volé en
éclats. La question de la poursuite de cette situation est donc posée avec des
partisans du renversement de ce pouvoir qui rappelle tellement celui qui était
en fonction en 2012. Les événements de l'extrême -Est et notamment ceux de
Bangassou constituent bien les prémices d'une rébellion politique et non plus
des habituelles rivalités autour de sites miniers.
Et
qui est-ce qui se trouve derrière cette esquisse de rébellion
politique ?
On
peut y voir une certaine collusion des intérêts des "nairobistes" c'est-à-dire
des "bozizistes" (ndlr : partisans de l’ex- président Francis Bozizé chassé
du pouvoir en mars 2013 par la rébellion Séléka), branche politique des anti
balaka avec des officiers ex FACA, et des "djotodistes" (partisans de Michel
Djotodia, éphémère tombeur de Bozizé, lui –même forcé de démissionner en janvier
2014) qui se retrouvent chez Nourredine Adam (ndlr : chef de guerre
ex-Séléka), rejoints par des mercenaires venant du Soudan et du Tchad. Après le
départ des conseillers américains et du contingent ougandais, la région
orientale, coincée entre la RDC et le Soudan du Sud facilitant la constitution
de sanctuaires, était propice au développement d'une rébellion organisée et
planifiée. L'Onu protégeant Touadera et son clan sont devenus leurs ennemis d'où
les combats contre la Minusca (ndlr : force des Nations unies en
Centrafrique). Nous sommes peut-être en présence du début d'une sorte de "
guerre de libération nationale".
Faut-il
voir dans ce regain de violences une façon de saboter la Cour pénale spéciale
dont la mise en place semble avancer avec la récente nomination d’un certain
nombre de ses magistrats ?
Les
violences contre les populations sur tout le territoire n'ont jamais cessé.
Devant la disparition progressive de l'Etat, les bandes criminelles ne trouvent
plus de limites à leurs funestes entreprises. Les derniers événements dans l'Est
et notamment dans les deux Mbomou, les deux Kotto et la Ouaka sont plutôt liés à
un mouvement d’insurrection nationale né de l'incapacité des autorités actuelles
à gérer une politique de réconciliation nationale. La récente décision de
recenser les effectifs militaires et de radier les militaires "fantômes" ou "non
compatibles" a sans doute aussi créé un appel d'air pour les militaires et
gradés révoltés. Quant à la Cour Pénale spéciale, ses magistrats se trouvent
devant un travail titanesque qui est loin de commencer et qui durera de très
nombreuses années. En tout état de cause, qui ira chercher les criminels dans
les zones hors de contrôle ? Les innombrables criminels de Centrafrique ne sont
guère inquiétés par une Cour pénale spéciale surtout destinée à soulager la
bonne conscience de la communauté internationale.
Comment
évaluez-vous la réaction de la force des Nations unies, visée, elle
-même?
La
Minusca ainsi que les chancelleries diplomatiques ont été surprises par les
dramatiques événements de Bangassou. Elles n'ont pas vu venir cette attaque
délibérée contre des Casques bleus. Jusqu'à maintenant, les Casques bleus
n'avaient subi que quelques rixes, certes parfois sanglantes mais sans véritable
connotation politique. A Bangassou, il s'agissait d'un véritable acte de guerre
avec de très nombreux assaillants sous un véritable commandement militaire. Les
dix blessés et six tués Casques bleus constituent le pire bilan onusien, en
Centrafrique. Quatre Casques bleus avaient même été pris en otage puis ont été
atrocement liquidés. Il s'agit bien d'une signature non équivoque avec un
avertissement pour la Minusca.
Complètement
déconsidéré par une population abandonnée à elle - même et par les
centaines de milliers de réfugiés et de déplacés qui peinent à survivre, le
régime du président de Touadera apparaît à leurs yeux comme étant protégé par la
Minusca et la France. Les incessantes déclarations de soutien de l'Onu et de la
France en faveur du régime du président de Touadera apparaissent comme de
véritables provocations pour l'immense majorité de la population. La Force
onusienne est donc désormais devenue l'ennemie en Centrafrique car protégeant
davantage un régime bien plus sécurisé que les citoyens, en proie à toutes les
exactions.
Les
troupes françaises se sont retirées, suivies dernièrement des troupes
ougandaises, n’est-ce pas le moment de redéployer les quelque éléments des
Forces armées centrafricaines (FACA) déjà formés par les forces
européennes ?
Le
premier contingent d'une Armée nationale doit poursuivre son apprentissage.
L'envoyer au feu dès à présent n'est pas réaliste d'autant qu'il s'agirait comme
d'habitude de projection dans des zones plus ou moins contrôlées, en l'absence
de casernes et de véritable intendance. Les mêmes causes produisent les mêmes
effets. En Centrafrique, les hommes en tenue ont toujours été plutôt des
percepteurs de taxes que des protecteurs de l'ordre
public.
Le
gouvernement Touadéra peut-il encore reprendre la situation en main ou perd-il
le contrôle de plus en plus inexorablement ?
Le
président Touadera semble coupé des réalités de son pays. N'a -t- il pas passé
plus d'une semaine en voyage officiel en Israël alors que des événements
sanglants de Bangassou, de Bria et d' Alindao avaient une répercussion mondiale.
Le président en exercice de l'Assemblée générale de l'Onu et le secrétaire
général adjoint de l'Onu sont venus à Bangui sans que le chef de l'État
centrafricain daigne revenir en urgence à Bangui. Mme Catherine Samba-Panza
avait, jadis, interrompu son voyage officiel à New York dans des circonstances
moins dramatiques.
Les
Centrafricains aspirent à la paix et à la réconciliation nationale, cet objectif
est possible à atteindre mais pas avec le régime actuel, exécutif et législatif
confondus, soutenu financièrement par la communauté internationale.
Confortablement installés au pouvoir, les dirigeants actuels ne sont pas prêts à
changer leur comportement.
Comment
sortir de ce bourbier ?
La
crise centrafricaine risque d'être très longue et engloutir des financements
considérables ...sans résultats. Les Français et les Américains l'ont bien
compris en se retirant sans que l'objectif de leur mission soit atteint. La
situation en Centrafrique pourrait ressembler à celle de la RDC ou de l'ex
Somalie, avec une présence onusienne durable et
périlleuse.
En Centrafrique, les bonnes décisions n'ont jamais été prises par les
Centrafricains et par les partenaires techniques et financiers. Une véritable
décentralisation avec autonomisation des régions, l'abandon de l'élection
présidentielle au suffrage universel direct, l'instauration d'un régime de type
parlementaire, une véritable intégration régionale dans une Cemac (ndlr :
Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) réinventée, le
développement du public/privé et surtout la fin d'une impunité totale qui est le
terreau de la mal gouvernance centrafricaine pourraient permettre d'envisager de
sortir du "bourbier". Il faut néanmoins rester réaliste...Le statu quo arrange
tellement le monde.