Et
si on arrêtait de recompenser les chefs des groupes armés en
Centrafrique ?
Point
de vue - Pour
Nathalia Dukhan, de l’ONG Enough Project, les récompenses accordées aux
responsables de violence, comme l’impunité rampante, alimentent un cercle
vicieux d’instabilité.
Par
Nathalia Dukhan - LE MONDE Le
20.02.2017 à 09h58
Un
casque bleu devant un bureau de vote à Bangui, la capitale centrafricaine, lors
du second tour des élections législatives et présidentielle le 14 février 2016.
Crédits : ISSOUF SANOGO / AFP
« Nous
avons évité des massacres de masse, permis un processus de réconciliation
intercommunautaire, la reconstitution de l’Etat centrafricain
(…) »,
déclarait le ministre français de la défense,
Jean-Yves le Drian en annonçant
le succès et la fin de l’opération militaire française, Sangaris, en République
Centrafricaine. C’était en octobre dernier et avec ce retrait, l’opération a
emporté avec elle l’attention internationale, replongeant la Centrafrique
dans l’abime de l’oubli.
Pourtant,
depuis fin septembre, les civils vivent au rythme des massacres qui ont
principalement lieu dans les régions du nord-ouest, du centre
et de l’est du pays, des zones prises en otage par les groupes armés. Le bilan
des affrontements de ces derniers mois est lourd. Au moins 287
civils
ont été tués selon l’ONU, mais ce chiffre est largement sous-évalué puisque les
groupes armés dissimulent
le bilan de leurs exactions. Dans la capitale, Bangui, des regains de violence
éclatent de manière sporadique et font toujours craindre
le scenario de l’embrasement. En 2017, plus de 14 groupes armés
contrôlent le territoire national. Dans les zones occupées, bourreaux et
victimes cohabitent et des taxes sont prélevées, obligeant les civils à
participer
à la perpétuation des violences dans lesquelles elles sont les victimes
principales.
Dans
son récent rapport,
le Secrétaire Général de l’ONU annonce, sans équivoque, que « les
tensions ont été exacerbées en raison d’une absence de progrès tangible sur la
résolution des causes profondes du conflit et par la position des leaders des
groupes armés qui cherchent à renforcer
leur pouvoir
de négociation ».
L’instrumentalisation
des violences sectaires
En
2014, au plus fort de la crise centrafricaine, le conflit avait pris l’allure
d’une guerre civile entre communautés musulmanes et chrétiennes, ces dernières
considérant les musulmans comme complices, actifs ou passifs, des exactions
commises par les Seleka en 2013. La dimension sectaire du conflit se poursuit
toujours et révèle que les leaders des groupes armés l’instrumentalisent pour
servir
leurs intérêts.
Pour
justifier
leur existence et obtenir
le soutien populaire nécessaire, les chefs de guerre alimentent
et coordonnent des actes de violence qui encouragent les membres des groupes
ethniques ou religieux qui leurs sont les plus proche contre les autres groupes.
L’instauration d’un climat
de terreur crée, parmi les civils, le sentiment d’un besoin de protection qui
amène les jeunes à rejoindre
la lutte armée,
et y rester
aussi longtemps que l’insécurité persiste.
La
menace permanente de coup d’Etat permet à ces leaders de renforcer leur pouvoir
de négociation. Plus leur pouvoir de déstabilisation est grand, plus ils
pourront accéder
aux tables des négociations et obtenir des postes politiques stratégiques, des
intégrations militaires et un maintien de la partition de facto. En
réalité, ces leaders n’ont aucune intention de désarmer
ou de perdre
leurs sources d’enrichissement.
La
dangereuse légitimation des groupes armés
Le
président Touadera, avec le soutien de la communauté internationale, a fait le
choix du dialogue
avec les leaders des groupes armés en renonçant à une ‘chasse
aux sorcières’
et en négociant un désarmement volontaire, validant ainsi la stratégie des
éléments perturbateurs. Certains chefs de guerre, sous sanction de l’ONU, ont
quant à eux déjà été récompensés. C’est le cas d’un chef anti-balaka notoire,
Alfred Yékatom, surnommé ‘Rambhot’, qui a été élu député à l’Assemblée Nationale
en faisant usage
de menaces et d’intimidations. Fin 2016 pourtant, Yékatom
avait toujours un important degré d’influence sur certaines
milices.
Dès
lors, il existe une croyance générale qu’être commandant d’un mouvement
politico-militaire permet d’accéder à des fonctions officielles, voir
même de prendre
le pouvoir. Cet état de fait est renforcé par l’impunité rampante. Un récent
rapport
d’enquête
de l’ONU indiquait qu’il existe des doutes sur « l’impartialité du système
judiciaire et sur la volonté d’enquêter effectivement les crimes graves »,
une situation qui profite aux instigateurs de violence.
En
outre, parmi les leaders de la Séléka, cette volonté persistante d’accéder au
pouvoir s’est transformée en un véritable plaidoyer en faveur d’une sécession
du pays.
Le principal partisan est le groupe dirigé par le chef rebelle Nourredine Adam
et par Michel Djotodia, ancien président et chef de la coalition Séléka. En
octobre dernier, un document
interne
au groupe justifiait leur agenda en dénonçant une impossible cohabitation et
incompatibilité entre population
chrétienne du sud-ouest et les musulmans de la région du nord-est. Une logique
qui emprunte la stratégie du « diviser pour mieux régner » mais sans
autre fondement.
Vers
une quête d’amnistie générale
Deux
figures emblématiques continuent de jouer
un rôle important dans les instabilités politico-militaires. Il s’agit de
François Bozizé - président de 2003 à 2013, renversé en mars 2013 par Michel
Djotodia, qui tentent ensemble de tirer
leur épingle du jeu en sponsorisant l’action des factions
armées.
Depuis
2015, les clans de ces deux hommes, frappés par des sanctions internationales,
ont tenté à plusieurs reprises
d’obtenir l’amnistie générale. En décembre dernier, invités dans le cadre de la
médiation
angolaise
souhaitée par le président centrafricain, Nourredine Adam et plusieurs autres
commandants de la Séléka se sont rendus à Luanda. Le rapport de la
réunion,
resté secret jusqu’ici, fait ressortir
deux revendications majeures : « l’amnistie pour les crimes de guerre
comme solution politique
et juridique de la résolution des différends »
et « un statut des anciens chefs d’Etat pour (leur permettre),
sans exclusion,
de bénéficier
d’un statut et d’un rang protocolaire et cérémonial leur permettant de
vivre
dans leur pays »,
ce qui laisse entrevoir
les mains invisibles des deux anciens présidents.
En
l’absence de réponses politiques aux causes profondes du conflit, la menace d’un
état de guerre permanente est réelle. Le climat d’impunité rampante, la
légitimation de facto de l’action des leaders des groupes armés et les
récompenses accordées aux responsables de violence alimentent un cercle vicieux
d’instabilité. Tirer
les leçons des trois années d’interventions internationales et française, en
reconnaissant les échecs de l’approche actuelle, permettrait de sortir
les Centrafricains de l’abime dans laquelle ils sont
plongés.
Nathalia
Dukhan,
chercheuse et analyste pour l’ONG américaine Enough
Project
sur la République centrafricaine.
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