RCA
: Avec Touadera, «l'impunité sévit toujours et les prédations n'ont guère cessé
»
Ephrem Rugiririza, JusticeInfo.Net - 25.10.17
Antonio
Guterres, secrétaire général de l'ONU, en compagnie de son représentant spécial
Parfait Onanga-Anyanga le 24 octobre 2017 à Bangui Florent
VERGNES/AFP
Un
pays exsangue, où l’Etat a presque disparu, où la violence et la prédation
dévorent tout, où les plus hauts dirigeants nationaux excellent, à l’instar de
leurs prédécesseurs, dans l’art du double langage et de la langue de bois, telle
est la Centrafrique qui accueille, depuis le mardi 24 octobre, le secrétaire
général de l’ONU, Antonio Guterres, selon le juriste français Didier
Niewiadowski, ancien conseiller à l’ambassade de France à Bangui. Le haut
responsable des Nations unies n’ ignore pas non plus que même les Casques bleus
déployés sur le territoire centrafricain en rajoutent au calvaire des
populations locales, en commettant notamment des viols.
JusticeInfo.Net :
Quel est l'état des droits de l'homme en Centrafrique en ce moment la visite du
secrétaire général de l’ONU ?
Didier
Niewiadowski :
Les massacres de civils, actuellement plutôt du côté des Peuls Mbororos dans le
sud-est et des populations d'origine Bantou, dans le nord-ouest, s'intensifient
et appellent des répliques de moindre intensité sur tout le territoire national,
sauf encore à Bangui. Avec la quasi- disparition de l'Etat et la faible
organisation de la société civile, la récente création d'une Commission
nationale des droits de l'homme risque d'être un nouveau gadget à destination
des bailleurs. En réalité, en dehors des crimes contre l'humanité ayant pour
origine l'occupation des sites miniers et le contrôle de la transhumance des
bovins, on peut constater que la société centrafricaine est frappée
d'anomie. Comment expliquer les tueries, les lynchages publics, les mutilations
de cadavres et autres barbaries sinon par le chaos résultant de la disparition
de règles sociétales coutumières et l’ignorance de plus en plus généralisée des
principes élémentaires de l'Etat de droit. Avec un pouvoir exécutif devenu
inaudible et impuissant, la violence dévore tout y compris l'ordre générationnel
et le respect dû aux responsables religieux. La prédation et l’instinct de
survie coûte que coûte sont encouragés par l'impunité quasiment érigée en
principe de gouvernance. La fin justifie tous les moyens.
Les
Casques bleus en Centrafrique sont de plus en plus accusés de passivité et de
commettre eux-mêmes des viols. Que doit faire Guterres pour redorer le blason de
cette force?
Malgré
les résultats très en deçà des objectifs et le coût exorbitant de cette dixième
opération de maintien de la paix en Centrafrique, la mission d'Antonio Guterres
ne devrait pas apporter un quelconque changement de paradigme. La Minusca
(ndlr : Mission de l’ONU en Centrafrique), avec ses 900 Casques
supplémentaires, ne pourra pas davantage protéger la population des tueries qui
risquent de s'accroître. Les graves accusations concernant de multiples
agressions sexuelles et des trafics mettant en cause des responsables de la
Minusca continueront de polluer une présence, de plus en plus
contestée par les Centrafricains. Même le président Touadera remet en cause le
mapping des violences publiées par l'ONU et s'élève contre les propos de Stephen
O'Bien évoquant des "signes avant-coureurs d'un génocide". L'ONU, qui a trouvé
en Donald Trump un redoutable pourfendeur, continuera imperturbablement
d'appliquer les vieilles recettes qui ont toujours échoué. Au lieu de
s'accrocher à un énième DDRR (ndlr : Désarmement, Démobilisation,
Réintégration, Rapatriement) mort-né ou à un embargo sur les armes pour les
Forces armées centrafricaines, alors que le pays est devenu un super marché des
armes en Afrique centrale via les Soudan et la RDC, pourquoi ne pas contrôler
les sites miniers occupés par les rebelles, ne pas contrôler les escadrilles
transportant les diamants de sang et l'or vers l'extérieur, ne pas assurer
la sécurisation des parcours de transhumance pourtant bien connus, ne pas
mutualiser les moyens des opérations de maintien de la paix en RDC, au Soudan du
sud et en Centrafrique ? La crise centrafricaine est aussi transfrontalière.
Raisonner au niveau national est une erreur magistrale.
La
décision du président Touadéra d'inclure dans son gouvernement des représentants
des groupes armés est-elle cohérente avec sa promesse d'une « justice
implacable » ?
Les
plus hautes autorités centrafricaines ont, de tous temps, tenus un double
discours. L'un à destination de la communauté internationale pour attirer ses
bonnes grâces et l'autre, davantage domestique, pour conserver le plus longtemps
possible un pouvoir synonyme d'enrichissement personnel.
Le
président Touadera a donc fait un geste pour les bailleurs et la Feuille de
route de l'Union africaine en intégrant des représentants de chefs rebelles dans
le gouvernement et son cabinet présidentiel. Ce geste ne coûte rien car le
gouvernement, à part trois ou quatre ministres, est surtout symbolique. La
plupart des ministères ne sont pas organisés et n'ont mêmes plus de services
extérieurs en région. Les ministres sont en quelques sortes des hallebardiers du
théâtre. Les slogans "la justice sera implacable", comme " la rupture avec le
passé" sont destinés à masquer une irrésolution chronique.
Le
président Touadera, son directeur de cabinet et son premier ministre ont, en
revanche, des contacts directs avec les chefs rebelles. Le trio de l'exécutif a
été cinq ans au pouvoir (2008-2013) sous Bozizé aussi, connaissent-ils
parfaitement les dissensions Rounga-Gula, les clans des Peuls Mbororos et des
Foulbe, les groupuscules se réclamant de la nébuleuse anti balaka et les chefs
rebelles de l'Ouest qui sévissent depuis des années. On peut se demander
pourquoi ces contacts ne permettent pas d'enrayer la spirale de
violence.
Le
gouvernement du président Touadera veut-il vraiment la mise en place
et l'opérationnalisation de de la Cour pénale spéciale ?
La
Cour Pénale spéciale a été créé en juin 2015. A ce jour, elle n'est toujours pas
opérationnelle bien que ses personnels soient nommés et en place à Bangui.
Devant l'immensité de la tâche qui est de juger les crimes contre l'humanité et
les crimes de guerre commis depuis 2003, alors que plus de la moitié du
territoire est hors de tout contrôle, que les victimes ont parfois été aussi
auteurs des crimes, qu'il n'y a plus de centres pénitentiaires dignes de ce nom,
que le procureur général était un représentant de la justice militaire du
président Kabila ce qui augure bien de son efficacité, qui peut encore croire
raisonnablement à son opérationnalisation. Une juridiction nationale ne peut
fonctionner que dans le cadre d'un Etat. Où est l'Etat en Centrafrique
?
Peut-on
encore légitimement croire Touadera capable de ramener son pays sur la
voie de la paix et de la justice ?
Le
président Touadera est un universitaire brillant qui a été propulsé sur la scène
politique d'un pays où l'Etat se désagrège depuis plusieurs décennies. Son
entourage clanique et évangélique l'a amené à la présidence de la République,
dans des circonstances exceptionnelles, alors que son passage à la primature
(2008-2013) n'avait pas suscité un grand enthousiasme des Centrafricains. Son
élection, en février 2016, avait, malgré tout, suscité un immense espoir. La
déception est à la hauteur de cet espoir déçu. Avec son entourage qui a entraîné
ce discrédit durable, le professeur Touadera aura beaucoup de difficulté à
rétablir la réconciliation nationale et la reconstruction d'un Etat sur de
nouvelles bases. Depuis sa prise de fonction, le 30 mars 2016, son bilan
est maigre. Il a certes rétabli la République centrafricaine sur la scène
internationale et obtenu la confiance des bailleurs. Au niveau interne, la
croissance est de l'ordre de 5% mais les Centrafricains s'en sont- ils aperçus?
Où sont les reconstructions de la Justice, de la Santé et de l'Éducation
nationale ? L'impunité sévit toujours et les prédations n'ont guère cessé.
Heureusement, la communauté internationale ne l'a pas abandonné, mais jusqu'à
quand ? Tous ses prédécesseurs l'ont été.