Jean-Jacques
DEMAFOUTH MAFOUTAPA : LA BIOGRAPHIE
Par
Emmanuel Limbassa
Jean-Jacques
Demafouth@sni
Sommaire
:
1.
Famille, jeunesse, débuts dans la vie active.
2.
Rôle trouble sous Kolingba.
3.
Apogée et chute sous l’ère Patassé.
4.
Opposition au régime Bozizé.
5.
Maillon fort durant la transition de Samba-Panza jusqu’aux élections de
2015-2016.
1.
Famille, jeunesse, débuts dans la vie active.
Jean-Jacques
Demafouth est né le 3 octobre 1959 au quartier Malimaka -Miskine- à Bangui. Son
père Albert Mafoutapa est originaire de Sibut. Il a servi en tant qu’infirmer
dans le bataillon de marche d’Oubangui-Chari intégré aux forces françaises
libres pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il en sort caporal-chef en 1945 puis
entre comme infirmier au Ministère de la Santé. Sa mère Jeanne Ingama est
originaire de Kouango.
Demafouth
est le cinquième enfant d’une famille de dix-sept frères et sœurs. Il grandi à
Sibut avant d’être pour la première fois scolarisé à l'école primaire à
Koukourou - localité de Nana-Grebizi, située sur l’axe Bamingui - Mbrès-
où il est envoyé chez sa grande sœur, loin de chez ses parents. Il
continue ensuite sa scolarité à Kaga-Bandoro, puis à Dékoa, puis brièvement au
collège au séminaire Saint-Marcel de Sibut. Il entre ensuite au lycée de
Berbérati, puis au lycée Barthélémy Boganda de Bangui tout en étant vendeur
ambulant pour subvenir à ses besoins.
En
1979, la capitale est en pleine effervescence. Après les grèves des élèves et
étudiants en Janvier, les écoles et l’Université de Bangui s’affirment au
printemps comme les bastions de la contestation au régime Bokassa. Demafouth qui
est alors en classe de première assiste avec d’autres élèves aux réunions
politiques et fait partie de ce mouvement de jeunesse contestataire. Demafouth
quitte le lycée avant de décrocher son baccalauréat. Il participe alors à
l’édition d’une page de programmes de films diffusés dans les salles de cinéma,
financée par des encarts publicitaires des magasins de la place avec son ami
Bienvenu Dotocko, avant de transformer cette page en un journal intitulé
"Tongolo" en 1980. Ce journal traitant de sport et de musique est publié tous
les 3 mois pendant un an et demi avant d’être arrêté après 6 ou 7 tirages faute
de moyens.
2.
Rôle trouble sous Kolingba.
Peu
après l’arrivée du Comité Militaire de Redressement National - CMRN - au
pouvoir, Demafouth entre au secrétariat d’Etat de la Jeunesse et des Sports que
dirige alors Gaston Gambor - lequel est rattaché au Ministère de l’information
et de la culture dirigé par François Bozizé-.
Proche
de l’ancien premier ministre Maïdou - dont l’aide de camps est Guy-Bertrand
Damango - qui dirige le Parti Républicain pour le Progrès -PRP, Demafouth est
impliqué - aux côtés de Guy Moskit - dans l’attentat à la bombe du 14 juillet
1981 au cinéma "Club" à Bangui. Cet attentat qui fait trois morts, une
soixantaine de blessés et d’importants dégâts matériels entraîne un durcissement
du pouvoir de David Dacko : l'état de siège est décrété, la loi martiale
imposée, la constitution suspendue.
Demafouth
suit une formation de correspondant de presse avant de travailler au service de
Documentation de la Présidence -renseignements- jusqu'en mars
1982.
Après
ce que l’on a nommé le coup d’Etat radiophonique du 3 mars 1982, Mesdames
Bozizé, Patassé, Mbaïkoua et leurs enfants sont finalement faits prisonniers au
camp Kassaï le 6 mars 1982 où ils resteront prisonniers pendant quasiment un an.
Demafouth servira alors brièvement de relai entre Kolingba et Agnès Mbaïkoua
avant de quitter Bangui accompagnant le général Alphonse Mbaïkoua qui quitte
Bangui à la mi-mars à pieds accompagné de quelques hommes en direction du
Tchad.
En
mai 1982, ils arrivent à Moundou où Mbaïkoua s’appuie des éléments tchadiens
dissidents, dirigés par le colonel Kamougué auquel il est parenté et qui sont
hostiles à la mainmise des gens du nord sur les populations du sud du Tchad.
Kamougué domine toute cette zone jusque fin 1982 avant de réfugier au Gabon,
chassé suite à la victoire de Habré. Demafouth est arrêté, emmené à N’Djamena et
présenté au président Hissène Habré comme l’un des meneurs de l’opposition
centrafricaine à la frontière ce qui lui vaut un emprisonnement de cinq mois. Il
prend ensuite contact avec le général Bozizé qui lui permet d’atteindre Cotonou
en 1983 en passant par le Cameroun, puis le Nigeria.
Demafouth
retrouve au Bénin les généraux Bozizé et Mbaïkoua et sert de point de relais
avec Patassé à Lomé. C’est ainsi qu’il apprend à connaître Patassé et qu’il fait
bon nombre de voyages pour le compte du MLPC, notamment en Italie et surtout en
Libye. A cette époque, Kadhafi est obligé d’évacuer le nord du Tchad suite à
l’intervention militaire française dans cette zone qui est réoccupée alors par
Habré. Kadhafi soutient alors les dissidents tchadiens du sud et l’opposition
centrafricaine Demafouth recevant ainsi une formation à
Benghazi.
En
1984, Demafouth et Mbaïkoua rentrent en RCA où ils montent une rébellion appelée
"commando Mbakara" concluant une alliance avec les groupes de rebelles tchadiens
"Codos" situés au sud du Tchad. En novembre 1984, le commando Mbakara et les
rebelles Codos attaquent Markounda.
En
février 1985, ces hommes accaparent 41 millions de Fcfa encaissés par l’antenne
de SOCADA - Société centrafricaine de développement agricole- à Paoua. En avril
1985, une opération de ratissage menée conjointement par les FACA du colonel
Guillaume Djengbot et les Forces armées nationales du Tchad - FANT- du Comchef
Idriss Deby. De nombreux villages autour de Paoua seront pillés et brulés par
les FACA et les habitants de ces villages lorsqu’ils n’ont pas le temps de se
réfugier dans la brousse, sont tués ou battus et/ou emprisonnés. Demafouth
déclarera vaguement "en 1984, au cours d’un accrochage avec l’armée
centrafricaine, le général Mbaïkoua fut tué." Alphonse Mbaïkoua a-t-il été tué
au cours d’un accrochage avec l’armée centrafricaine ou bien lors du partage du
butin de la SOCADA victime de la vénalité de son adjoint l’adjudant Bobet et/ou
de celle de Demafouth ? Bien des années plus tard, lorsqu’une mission fut menée
en 1999 pour récupérer le corps du général Mbaïkoua pour lui rendre les honneurs
et le rétablir dans ses droits à titre posthume, Demafouth indiqua précisément
le lieu où se trouvait les restes de sa dépouille au
Tchad…
Demafouth
quitte alors le front partant au Cameroun puis rejoint Bozizé en Algérie, puis
en Libye. Ce n’est qu’à la fin des années 1980 qu’il gagne la France où il
reçoit comme réfugié des conseils de l’association Cimade avant lui-même de
faire de "l’assistance juridique" pour le compte de cette association française
d’aide aux migrants. Il aide ainsi au montage de dossiers de demande d'asile et
de carte de séjour aux ressortissants étrangers en France. A partir de cette
expérience, il se présente comme "conseiller juridique" sans pour avoir
quelconque diplôme, puis profitant des réformes Badinter de 1990-1993 dispensant
les détenteurs de certains diplômes universitaires d'enseignement supérieur
exerçant professionnellement le métier de juriste du passage de l’examen du
barreau, il n’hésite pas à se présenter au fil du temps comme avocat faisant de
ce titre autoproclamé sa profession principale ! Demafouth est par ailleurs
co-fondateur d'une association France-Centrafrique, installée rue du Faubourg St
Antoine à Paris.
Demafouth
œuvre jusqu’à ce que Patassé obtienne un visa pour venir se soigner puis
obtienne l’asile politique en France où il peut résider à Paris à la fin de
l’année 1991. Demafouth suit Patassé qui fait son retour à Bangui le 15 octobre
1992, où il est accueilli triomphalement après plus de dix ans d’exil pour
participer aux élections législatives et
présidentielles.
Au
début de l’année 1993, alors que Demafouth est en couple avec la sœur de l’homme
d’affaires Robert Ngoki - un ancien baron du régime de l'ancien président André
Kolingba qui soutient la campagne de Patassé- ceux-ci sont contactés par des
Israéliens qui veulent récupérer les mines de diamants du général Shmuel Gonen,
décédé brusquement à Milan le 30 septembre 1991.
Ange-Félix
Patassé dit AFP et Jean-Jacques Demafouth@sni/illustration
3.
Apogée et chute sous l’ère Patassé.
Après
l’élection de Patassé, Demafouth officie en qualité de conseiller juridique à la
Présidence. Il entretient des liens avec des responsables français-notamment
Bruno Delaye, conseiller pour les affaires africaines à la Présidence et Michel
Roussin, ministre français de la Coopération-. En mars 1994, Demafouth tente de
récupérer les biens immobiliers et les comptes en France de l'ex-empereur
Jean-Bedel Bokassa.
Le
28 mars 1994, le conseiller du président saisi ainsi le cabinet Jeantet &
Associés pour entamer une procédure d'exequatur afin que la condamnation le 12
juin 1987 de Jean-Bedel Bokassa, par la Cour criminelle de Bangui puisse
permettre de récupérer ses propriétés en
France.
Demafouth
épouse l’avocate Danièle Darlan, professeur en droit à l’Université de
Bangui.
Jean-Jacques
Demafouth et Ange-Félix Patassé@emat
Il
dirige le tristement célèbre Centre national de recherche et d’investigation
-CNRI - créé le 28 janvier 1995, par décret N° 95.031 par le président Patassé.
Rattaché à la Présidence, le CNRI est doté d'une autonomie financière et d'une
brigade d'intervention pour mener des recherches tant à l'intérieur qu'à
l'extérieur du territoire national. Cette structure permet de mener des enquêtes
de police en lien avec le parquet conjointement avec la gendarmerie et de
l’armée.
Le
18 mai 1996, débute ce que l’on a appelé la "deuxième mutinerie" lorsque se
propage la rumeur que l’armurerie du camp Kasaï, la base du Régiment de Défense
Opérationnelle du Territoire -RDOT-, passerait sous le contrôle de la Garde
présidentielle. Durant ces événements qui durent une dizaine de jours et
impliquent plusieurs centaines de militaires avec de violents combats, Demafouth
se réfugie à l'ambassade de France jusqu’au 24 mai 1996, en excipant de sa
double nationalité, française et centrafricaine. Sous la pression de Paris, le
gouvernement de Koyambounou sera contraint à la suite de ces évènements de céder
sa place à un Gouvernement d’Union Nationale - GUN- , dirigé par Jean-Paul
Ngoupandé qui prend fonctions le 30 juin 1996. Les rapports entre le Chef du
Gouvernement, son Directeur de Cabinet Karim Meckassoua, et les caciques du MLPC
sont exécrables et certains ministres référents directement au président de la
République sans passer par le Premier ministre Ngoupandé. C’est dans ce
contexte que le 19 janvier 1997, Karim Meckassoua : sortant d'une réunion avec
le général malien ATT dans le cadre de la médiation africaine, est arrêté dans
l'enceinte du Palais Présidence par le capitaine Yossé de la Garde
présidentielle, à la demande de Me Jean-Jacques Demafouth. Tandis que son
chauffeur est passé à tabac, il est conduit dans les locaux de la Garde
Présidentielle et longuement et violemment interrogé. Ces évènements
interviennent juste avant qu’un nouveau gouvernement dirigé par Michel
Gbezera-Bria ne soit formé le 30 janvier 1997.
Demafouth
se distingue aussi à la tête du CNRI par l’arrestation de journalistes comme le
rédacteur en chef du journal "Le Novateur" qui passe de sales moments en prison,
par l’instruction de "dossiers de corruption" sans lendemains judiciaires, comme
celui de l'ex-ministre Charles Massi en janvier 1998 et celui du général Ndayen,
Ministre délégué à la Défense pour la restructuration de l'armée, désigné à ce
poste par les mutins ou encore par l’élimination d’éléments comme celui du
colonel Alphonse Rehote. Ce poste au CNRI lui permet par ailleurs d’octroyer des
promotions à certains de ses éléments membres des forces armées, notamment
celles de Guy-Bertrand Damango, adjudant puis commandant la brigade territoriale
de Bangui ou celle du lieutenant Alfred Service. Demafouth dirige le CNRI
jusqu’à sa dissolution le 5 mars 1998, date à laquelle il se consacre notamment
à ses activités de Président du Conseil d’administration de la Société
centrafricaine des télécommunications -SOCATEL- et de président de la
commission d'arbitrage du MLPC.
Une
fois passées les élections présidentielles de septembre 1999, un nouveau
gouvernement est formé dans lequel Jean-Jacques Demafouth est nommé Ministre de
la Défense. Lors de la campagne de ces élections, la tension fut palpable entre
les militants du MLPC et ceux du RDC dans la préfecture de la
Basse-Kotto.
Jean-Jacques
Demafouth@emat/pr
Début
novembre, des responsables MLPC viennent se plaindre au Président Patassé que
des militants du MLPC sont victimes de violences de la part d’une bande armée
qui sévit aux alentours de Kembé.
Le
Ministre de la Défense décide alors de l’envoi d’une mission dans la zone en vue
de remettre de l’ordre. Lors de cette opération, le lieutenant Alfred Service
prend la tête d'un commando de l'Unité de sécurité présidentielle -USP- auquel
se joint le Ministre de la Défense lui-même.
Ils
se rendent à Kembé avec deux véhicules de l'armée et une trentaine d'éléments.
Au cours de cette expédition, dans la nuit du 18 au 19 novembre 1999, le
Lieutenant Antoine Bodot, le maréchal de logis chef Apollinaire Hondet,
commandant de la brigade de gendarmerie de Kembé ainsi que trois autres
personnes seront assassinés. Apollinaire Hondet fut ainsi conduit de Kembé vers
Grimari où il fut torturé avant d’être mis à mort. Son corps, enterré dans un
village situé entre Sibut et Grimari fut exhumé par la suite par la famille pour
les funérailles à Bangui. Cette initiative sous forme d’expédition punitive
entraîne la colère de la Primature et de la Présidence qui digèrent très mal le
bilan macabre de cette funeste expédition aux lendemains des
élections…
La tentative de coup d’Etat survenue dans la nuit du 27 au 28 mai 2001 a longtemps été présentée comme une aventure exclusive d’André Kolingba. Mais Jean-Jacques Demafouth fomentait lui aussi un projet de renversement du régime. Les soupçons des cadres du régime contre Demafouth seront tels qu’il sera démis de ses fonctions fin août 2001 accusé d’avoir fomenté "un coup d'Etat dans le coup d’Etat"
Jean-Jacques
Demafouth - général Njadder et général Bozizé@ema
Au
petit matin du 28 mai 2001, le général François Bédaya Ndjadder - alors
Directeur Général de la gendarmerie et ultime rempart pour la protection du
régime- est grièvement blessé au niveau de l'Université de Bangui. Au cours de
cette embuscade organisée par Demafouth, c’est le sergent-chef Anatole Ngaya,
chauffeur et garde du corps de Ndjadder qui tire sur ce dernier. Bien que
blessé, Ndjadder arrive à contacter l’ambassadeur de France et Patassé pour être
secouru et conduit à l’hôpital communautaire où il décédera quelques heures plus
tard…
Dans
l’après-midi du 29 mai, alors que le coup d’Etat était en train d’échouer, le
général André Kolingba est manipulé par Jean-Jacques Demafouth qui lui fait
croire que Patassé est décédé. Le Ministre de la Défense pousse à ce moment
André Kolingba à se démasquer, probablement pour se couvrir des accusations de
coup d’Etat auxquelles il fera finalement face quelques mois plus tard. Kolingba
tombe naïvement dans le piège et revendique la paternité du coup d’Etat à
travers une déclaration sur les antennes de la Radio France
Internationale.
Ndjadder
éliminé, Jean-Jacques Demafouth tente une manœuvre le 2 juin 2001 pour tuer le
chef d’Etat-major de l’armée Bozizé en lui demandant de venir faire le constat
de la maison d’André Kolingba. Cependant, Bozizé est méfiant et il demande au
colonel Abel Abrou chef d'Etat-major de l’armée de terre de se rendre à Ouango.
A son arrivée, les assassins qui le prennent pour Bozizé ouvrent le
feu…
Beaucoup
d’exécutions sommaires sont commises à la suite de l'appel lancé par
Jean-Jacques Demafouth, qui demande aux populations de revenir dans la ville de
Bangui et aux rebelles et loyalistes de regagner leurs camps. C'est souvent à
l'occasion de ces retours volontaires que les civils sont exécutés, parfois par
ds frères d'armes, dans les locaux de la police, de la gendarmerie ou dans les
camps militaires. C'est dans ces conditions que le Lieutenant-Colonel de
gendarmerie Alphonse Konzi par exemple est exécuté…Demafouth expliquera
tranquillement aux enquêteurs de la FIDH que des douilles ont été retrouvées
devant le portail de la concession des Bangazoni ce qui entraînera la mort de
Léon Bangazoni, décapité ainsi que son fils qui sera lui aussi
tué…
Le
Ministre de la Défense annonce le 7 juin 2001 que toute la capitale est sous le
contrôle de l’armée loyaliste et Jean-Pierre Bemba ordonne le départ de ses
troupes de Bangui, estimant que leur mission aux côtés des forces loyalistes est
"terminée"
Le
11 juin 2001, une Commission d’Enquête Judiciaire présidée par le Procureur
Général Joseph Bindoumi est créée pour investiguer sur la tentative de coup
d’Etat du 28 mai. Dans la nuit du 5 au 6 juillet 2001, le chef de la sécurité du
Programme des Nations-Unies pour le Développement -PNUD- à Bangui
Jean-Pierre Lhommée, un ancien colonel de l'armée française est tué par balles.
Cet assassinat entraîne le classement du pays en catégorie 3 dans l’échelle des
risques de l’ONU, ce qui interdit la présence des familles d’expatriés et les
missions de l’extérieur. Jean-Pierre Lhommée, ancien colonel des Éléments
français d’assistance opérationnelle -EFAO- est alors le seul
fonctionnaire étranger habilité à circuler pendant cette période de couvre-feu
au cours de laquelle de nombreuses exécutions extrajudiciaires sont maquillées
en vols à main armés. D’après la Commission Mixte d’enquête judiciaire, un
document prétendument tiré de l’ordinateur du colonel Lhommée aurait indiqué que
plusieurs diplomates et hautes autorités étrangères étaient impliqués dans le
coup d’Etat du 28 mai 2001. Le Procureur Général Joseph Bindoumi expliquera aux
délégués Amnesty International que c’est pour cette raison que le Ministre de la
défense a donné l’ordre d’exécuter Jean-Pierre
Lhommée.
Jean-Jacques
Demafouth à qui l’on reproche "une passivité incompréhensible de l'armée" au
cours de cette tentative de coup d'Etat est finalement démis de ses fonctions et
placé à la disposition de la justice le 27 août 2001 sur la base de
conversations enregistrées dans lesquelles Demafouth demande à Bemba 600 hommes
qui devait traverser le fleuve le dimanche soir pour "l’aider à prendre le
pouvoir". Il s’avère en effet que Demafouth a plusieurs fois appelé Bemba sur
son satellitaire et que les enregistrements de ces conversations ont fini par
fuiter entraînant son arrestation…
En
février 2002, le procès des putschistes du 28 mai 2001 débute devant la Cour
criminelle. L’ancien ministre de la Défense, et 80 autres co-accusés
comparaissent devant cette juridiction. Jean-Jacques Demafouth notamment défendu
par Me Nicolas Tiangaye est jugé pour atteinte à la sûreté intérieure de l'État.
Alors que le procureur en chef, Joseph Bindoumi réclame de la cour l'imposition
d'une sentence de 20 ans d'emprisonnement contre Demafouth, celui-ci est
finalement acquitté par la Cour Criminelle le 7 octobre 2002 "au bénéfice du
doute". Evoquant l'une des principales pièces de l'accusation, une écoute
téléphonique entre Demafouth et le chef rebelle congolais Jean-Pierre Bemba, la
Cour Criminelle estime que "l'intérêt de cet élément vise la matérialité du
complot d'un autre projet de coup d'Etat qui se détache du crime dont
l'accusation a déterminé d'une manière précise les
circonstances".
4.
Opposition au régime Bozizé.
En
janvier 2004, un mandat d’arrêt international est émis par le tribunal militaire
de Bangui à l’encontre de Jean-Jacques Demafouth pour "assassinat et complicité
d’assassinat" du lieutenant Antoine Bodot, du maréchal de logis chef Apollinaire
Hondet, du commandant de la brigade de gendarmerie de Kembé ainsi que trois
autres personnes dans la nuit du 18 au 19 novembre 1999. Pour ce motif, la 30
décembre 2004, la Cour Constitutionnelle invalide sa candidature à l’élection
présidentielle prévue début 2005.
Le
22 janvier 2005, la médiation du Président gabonais Omar Bongo aboutit à la
signature de l’accord de Libreville qui acte finalement la validation de sa
candidature. Cependant, Bozizé précise bien à Libreville qu’il ne pourra pas
intervenir dans la procédure judiciaire qui reste ouverte contre Demafouth qui
délègue l’action de terrain à son directeur de campagne Joseph Agbo. Demafouth
recueille finalement 1,27% des suffrages sans avoir mené campagne sur le
terrain…
Le
28 mars 2008, l’état-major du groupe armé Armée populaire pour la restauration
de la démocratie - APRD - désigne Demafouth comme président de ce mouvement qui
sévit alors dans le nord-ouest de la Centrafrique. Le 7 mai 2008, Demafouth
rencontre Omar Bongo pour baliser le bon déroulement du dialogue politique
inclusif que le président Bozizé entreprendra prochainement avec l’opposition et
les troupes rebelles en vue d'un rétablissement de la paix en RCA. Un "accord de
cessez-le-feu et de paix" est signé le 8 mai à Libreville entre l’APRD et le
gouvernement. Le texte prévoie "l'adoption d'une loi d'amnistie générale" et
"l'abandon de toutes les poursuites judiciaires en
cours".
Le
21 juin 2008, le gouvernement signe à Libreville avec l’APRD un "accord de paix
global" qui prévoit notamment une amnistie pour tous les combattants ainsi que
les responsables civils et le cantonnement des soldats rebelles qui doivent
intégrer un programme de Démobilisation, de Désarmement et de Réinsertion
-DDR- et participer au "Dialogue Politique Inclusif" -
DPI-.
En
août 2008, Demafouth crée le parti politique Nouvelle alliance pour le progrès
-NAP- afin d’être candidat aux élections de 2010. Son ami de longue date
Bienvenu Dotocko est un cadre de ce parti politique qui est officiellement
reconnu par le Ministère de l’Intérieur.
En
octobre 2008, Bozizé promulgue la loi d’amnistie générale des personnalités,
militaires et responsables civils des groupes rebelles, après que celle-ci ait
été adoptée par le parlement centrafricain. Cette loi d’amnistie notifie l’arrêt
des poursuites engagées pour atteinte à la sûreté de l’Etat et à la défense
nationale ainsi que des infractions connexes, contre les responsables et les
membres des groupes politico-militaires se trouvant sur le territoire national
ou en exil. Le texte concerne notamment Jean-Jacques Demafouth ainsi que les
co-auteurs et complices pour détournement des deniers publics, assassinat et
complicité d’assassinat.
Le
4 décembre 2008, Demafouth affirme à Libreville que son "premier acte sera de
demander pardon au peuple centrafricain" lorsqu’il reviendra au pays mettant fin
à six ans d'exil en France pour prendre part au DPI. Le DPI a lieu entre le 8 et
le 20 décembre 2008 à l’Assemblée nationale à Bangui, en présence de Bozizé et
de Bongo rassemblant des acteurs de l’opposition politique, armée et de la
société civile. Les travaux de ce forum sont présidés par l’ancien président du
Burundi, Pierre Buyoya. A l’issue des débats, la plupart des recommandations
formulées par la commission ont été adoptées par consensus, prévoyant notamment
que l'organisation des prochaines élections générales, prévues pour 2010. Alors
que les représentants des associations de victimes des évènements de 2001-2002,
à l'instar de la ministre Bernadette Sayo et du président de la Ligue
centrafricaine des droits de l'homme, Goungaye Wanfiyo sont écartés des débats,
il est demandé la création d'une Commission vérité et réconciliation pour
permettre "un pardon définitif" après des années de conflits et exactions… Le
DPI se clôture par une accolade publique entre Patassé et Bozizé qui s’engage à
former un gouvernement de large ouverture.
Le
30 janvier 2009, la Conférence des Chefs d’Etats de la CEMAC réunie à Libreville
annonce accorder une "assistance financière de 8 milliards de Fcfa pour aider la
réalisation des opérations de DDR".
Cyriaque
Gonda et J.Jacques Demafouth@sni
Le
13 août 2009, Bozizé lance officiellement le programme de DDR des ex-combattants
dans le cadre d’une cérémonie de fête nationale célébrée pour l’occasion à Paoua
aux côtés de Demafouth "Vice-président du comité de pilotage du programme de
programme des anciennes rébellions".
Le
21 décembre 2009, le Conseil de Sécurité de l’ONU demande au Gouvernement de la
République centrafricaine de faire en sorte que le processus de désarmement soit
achevé avant les prochaines élections.
Le
18 février, lors d’une visite à Paoua, Bozizé s’en prend publiquement à
Demafouth ainsi qu’à son ministre d’Etat Cyriaque Gonda, chargé de la
communication et réconciliation, qui ont tous deux, la charge du pilotage du
programme DDR. Bozizé pose la question de savoir ce qu’ils ont bien fait avec
tout l’argent qu’il leur a précédemment remis pour payer les ex combattants.
Bozizé les accuse d’avoir détourné une large partie de ces fonds pour se
procurer des armes afin de le renverser du pouvoir. Il limoge finalement
Cyriaque Gonda en avril 2010.
Le
17 mai 2010, Demafouth annonce que l'APRD est dissoute.
Le
Président du parti politique NAP candidat à l’élection présidentielle du 23
janvier 2011 ne recueille finalement que 2,79 % et 31 184
voix.
Le
6 janvier 2012, la Section Recherche et Investigation -SRI- arrête Jean-Jacques
Demafouth mais aussi Herbert Gotran Djono-Ahaba et deux autres membres de
l’UFDR. Tous sont accusés "d’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat" et
incarcérés à la prison de Bossembélé. Demafouth est défendu par Me Nicolas
Tiangaye et Mathias Morouba. Il sera finalement libéré en avril 2012 après
plusieurs semaines de détention. Fin
décembre 2012, Demafouth accompagne Eric Neris Massi à Paris où ils rencontrent
notamment le directeur Afrique du Quai d’Orsay, Jean-Christophe
Belliard.
Le
13 mars 2013, alors qu’il s’était rendu à Paoua dans le cadre du DDR, Demafouth
passe la frontière tchado-centrafricaine à moto, habillé en soutane et indique à
RFI qu’il a agi ainsi car il avait menacé d’arrestation par le Ministre de la
Sécurité Josué Binoua. Faisant alors valoir son passeport français et demande à
être rapatrié en France. Il est cependant refoulé vers la RCA le 16 mars 2013,
avant d’être escorté jusqu'à Paoua puis d’être acheminé à
Bangui.
Le
13 avril 2013, Michel Djotodia qui s'était autoproclamé Président après la prise
de Bangui par la coalition Seleka le 24 mars est élu président de la République
lors de la première session du Conseil national de transition -CNT- sous les
applaudissements par acclamation, sans vote. Jean-Jacques Demafouth est alors
membre du CNT en tant que représentant des partis politiques. Le 24 août 2013,
Djotodia nomme Demafouth comme Ministre Conseiller à la Présidence en matière de
DDR, chargé des relations avec la MISCA.
5.
Maillon fort durant la transition de Samba-Panza jusqu’aux élections de
2015-16.
La
transition de Samba-Panza permet à Demafouth de revenir en force et d’être le
maillon fort de cette période d’intérim jusqu’aux élections de 2015-16. Parenté
à la Présidente de transition de son côté maternel, il est nommé conseiller à la
Présidence en charge de la sécurité et des relations avec les forces
internationales -Sangaris, Misca-. Installé dans un bureau juxtaposant celui de
sa parente Samba Panza, Demafouth est l’un des rare qui peut entrer dans son
bureau sans solliciter audience.
Le
Colonel Follot -qui fut chef de cabinet particulier de Jean-Paul Ngoupandé,
Premier ministre du Gouvernement d'Union Nationale sous Patassé- est l’assistant
de Demafouth. Ses proches sont promus comme par exemple Guy-Bertrand Damango,
qui accède au grade de lieutenant-colonel avant d’être ensuite nommé Directeur
Général de la Gendarmerie. Notons aussi les nominations dans le gouvernement de
Mahamat Kamoun en août 2014 de son ami Joseph Agbo aux Ministère des Mines et de
Armel Sayo au Ministère de la Jeunesse et des Sports dont le mouvement,
Révolution et Justice, a recyclé nombre d’anciens cadres de
l’APRD-.
En
2014, Demafouth, Aristide Sokambi -Ministre de la défense- et le colonel Jules
Kogbia -qui, en 2001, participa à une tentative de putsch contre Ange-Félix
Patassé et qui a été nommé commandant de la Sécurité présidentielle- recrutent
d’anciens membres des FACA qu’ils rétribuent en liquide pour combattre les
poches de résistance anti-balaka à Bangui. Ces militaires sont utilisés lors
d’interventions armées, et dans les heurts qui éclatent périodiquement dans
plusieurs quartiers de la capitale.
En
septembre 2014, le visa américain est refusé à Demafouth alors qu’il faisait
partie de la délégation qui accompagne Samba-Panza à New York où celle-ci devait
prendre part à une réunion sur la RCA en marge de l’Assemblée générale des
Nations-Unies.
Le
4 avril 2015, Samba-Panza signe trois décrets nommant le présidium du Forum de
Bangui, les membres du Comité technique, et fixant les dates du dialogue
national du 27 avril au 4 mai 2015. Le Conseil national de transition -CNT-, le
Parlement transitoire centrafricain, s'élève alors contre ces décisions,
accusant la présidente de n'avoir consulté ni le CNT ni la Cour
constitutionnelle et les critiques se cristallisent surtout sur le choix de
Demafouth, comme coordinateur du comité technique. Beaucoup reprochent à la
présidente de la transition de noyauter la préparation du débat et menacent
alors de boycotter le Forum. Le 13 avril 2015, de nombreux partis politiques
rencontrent les parlementaires du CNT pour exiger que la présidente revienne sur
les décrets de nomination. Le lendemain, les ex-présidents Bozizé et Djotodia
s'engagent par écrit en faveur du Forum de Bangui dans un document signé à
Nairobi, au Kenya. Catherine Samba-Panza réunit finalement tous les acteurs le
15 avril 2015. La ministre de la Santé Marguerite Samba, personnalité
consensuelle, remplace finalement Demafouth à la place du comité technique. La
composition des deux comités est entièrement revue et tous les membres ont été
choisis par consensus.
A la fin de l’année 2015, les violences s’amplifient à Bangui. Demafouth entretient ce climat de violence dans la capitale par les milices du Km5 et notamment via Abdoulaye Hissène espérant pouvoir prolonger un peu plus la transition, les autorités en place ne pouvant pas être candidates à ce scrutin…
Jean-Jacques
Demafouth et Charles Malinas@sni
Lors
des élections présidentielles de 2015-2016, de nombreuses voix dénoncent
l’influence de Demafouth qui supervise le travail de l’Autorité Nationale de
Elections et empêche certains candidats de mener campagne en Province. Demafouth
fut ainsi à la base d’un vaste système de fraude organisée par les autorités de
transition et validé par l’ambassadeur de France à Bangui Charles Malinas en
faveur de Faustin-Archange Touadéra. Parmi les anomalies dénoncées par ses
adversaires : la distribution de bulletins de vote préremplis en faveur de
Touadéra, l’existence de bureaux de vote fictifs, la modification de
procès-verbaux par des responsables administratifs et le vote d’électeurs
dépourvus de tout document d’identité…Ces manœuvres expliquent le surprenant
score de Touadéra - loin de faire partie des favoris de ce scrutin - au premier
tour et le trucage des dernières élections à la Présidence de la République
centrafricaine…
Juste
avant la fin de son mandat, Samba-Panza essaye de trouver un point de chute à
Demafouth comme ambassadeur de la République centrafricaine auprès de la France
mais les autorités françaises rejettent la demande d’agrément et une autre
personnalité sera finalement choisie à ce poste.
Emmanuel
LIMBASSA
Le
2 mai 2020