Centrafrique : la France recule, la guerre menace, la Russie
avance
21/05/2018
06:41
Le
moins qu’on puisse dire du bilan de l’opération Sangaris en Centrafrique, c’est
qu’il n’est guère glorieux. Près de 2500 hommes mobilisés pour rien – le pays
reste toujours profondément déstabilisé et en grande partie incontrôlable, des
soupçons d’abus sexuels vite démentis par un non-lieu qui ne permet même pas de blanchir avec
certitude les militaires concernés, une ambassade
transformée en pétaudière, sur fond de conflits politiques
et de harcèlement.. et les russes qui tirent les marrons du feu pendant que la
France est forcée de s’effacer.
L’opération
Sangaris a fait officiellement 3 morts et 120 blessés au
sein de l’armée française, pour un coût dépassant les 500 millions d’euros et
jusqu’à 2500 hommes mobilisés. Près de12% des hommes sont victimes de stress
post-traumatiques, selon le général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset.
C’est qu’ils ont été témoins de scènes très violentes de la guerre civile de 2014-2015, qui a fait de
3000 à 6000 morts et près d’un million de déplacés. Aujourd’hui encore, la
Centrafrique n’est pas apaisée, loin de là, et ressemble même de plus en plus à
un état failli. Précisément ce que Sangaris était censée
éviter.
Sa
position et ses problèmes structurels irradient chez ses voisins, déstabilisant les pays frontaliers, mais en
font aussi le carrefour de divers extrémismes, notamment islamiques. En 2015 déjà près de
2000 militants de Boko Haram, d’origine peul, étaient signalés dans le nord du pays, où ils se
sont introduits via le Tchad.
Le
fief islamiste de PK5 à Bangui, étincelle d’une nouvelle
guerre ?
Surtout,
depuis début 2018, les Sélékas sont de plus en plus évoqués comme source de la
déstabilisation croissante du pays. Sans oublier le quartier de KM5 à Bangui – à
cinq kilomètres du centre-ville, incontrôlable et dont le désarmement, organisé
de 1h à 4h30 par la MINUSCA [mission de l’ONU pour la stabilisation en
Centrafrique – active depuis avril 2014 avec 12.000 personnels dont 11.200
soldats] a été un échec. Non seulement les milices,
mais aussi la population locale s’y sont opposés.
Le
1er mai, ce sont des milices islamistes de PK5 qui ont attaqué l’église Notre-Dame de Fatima,
située près de leur fief, en plein office religieux. L’église avait déjà été
attaquée pendant la guerre civile en 2014, il y avait eu alors 15 morts.
L’attaque du 1er mai a fait 16 morts et 99 blessés, les affrontements
qui ont suivi, 8 morts et 71 blessés de plus. Déjà tendue, la situation est
électrique. Une étincelle suffit pour que la guerre
reparte.
Dans le nord
de la capitale, des quartiers chrétiens se sont couverts de barricades, tandis que
des civils préféraient quitter la capitale, voire le pays – trop d’éléments leur
rappellent 2013, à la veille de la guerre civile. Mi-avril, à 330 km de la
capitale, des rebelles de l’ex-Séléka, qui prétend défendre les musulmans,
avaient menacé de lancer une offensive depuis Kaga-Bandoro. La ville a été
survolée le 13 mai par deux Mirage 2000-D
français, à basse altitude – une démonstration de force
bien tardive censée décourager les rebelles. Mais la présence française se
limite aujourd’hui à sa plus simple expression, avec cinquante formateurs et des
drones. Ainsi que des avions basés à N’Djamena au Tchad.
La Russie envoie des conseillers et des armes à Bangui, à la demande du gouvernement
Cette
présence semble désormais très insuffisante alors que la Russie a annoncé le 22 mars avoir envoyé fin janvier
des lance-roquettes RPG, armes anti-aériennes, des fusils d’assaut et de
précision, pistolets et mitrailleuses, ainsi que des munitions. La livraison –
faite avec l’accord de l’ONU – prévoyait
aussi 170 conseillers civils et 5 militaires pour apprendre à deux bataillons de
l’armée gouvernementale – 1300 soldats – à s’en servir. Le tout à titre gratuit
et à la demande expresse du président de la République centrafricaine
Faustin-Archange Touadéra, précise l’agence TASS. Il a d’ailleurs assisté
à la prise d’arme du premier contingent de 200 soldats entraînés au maniement de
nouvelles armes, le 31 mars dernier.
Cependant
cette mission a aussi son volet économique : la recherche de gisements
miniers et le développement de futures concessions. Les recherches ont commencé
aussi début 2018 et l’on se doute que les experts russes ne se limiteront pas à
être protégés par des drones français ou des conseillers
civils.
Le
journal russe d’opposition pro-occidentale Snob affirme d’ailleurs qu’en sus des accords
officiels, la Centrafrique a mis à disposition des russes le palais Berengo en
Lobaye et 40 hectares autour ; selon le média, ce seraient des mercenaires
russes issus de compagnies de sécurité privée qui s’y seraient installés. En
réalité, le palais semble avoir été investi dans le cadre de la formation par
des instructeurs russes de l’armée régulière centrafricaine – mais ça a eu
l’heur de déplaire aux héritiers de l’ancien autocrate
Bokassa auquel le palais appartenait.
Du
reste pour la Russie il ne s’agit pas tant d’une arrivée que d’un retour –
l’URSS et la Centrafrique ont eu des relations proches dans les années 1960 à
1980. Entre autres, des centaines de centrafricains ont
été formés à Moscou, 150 spécialistes soviétiques dans l’enseignement, la
médecine, la géologie et l’agriculture travaillaient dans le pays dans les
années 1960 et 1970 et au même moment une grande partie des enseignants des
écoles primaires étaient soviétiques ou formés en
URSS.
« L’expérience
russe anti-terroriste et diplomatique sera utile en
Centrafrique »
Expert
militaire de la fondation Diplomatie populaire, Serguey Prostakov a déclaré au sujet de la situation en
Centrafrique que « la politique coloniale des pays européens qui
exploitaient les ressources africaines, ainsi que les circonstances de leurs
luttes pour ces ressources et de leur départ ont créé de nombreux pays instables
avec des frontières arbitraires. Ils ne prennent pas en compte les situations
ethniques et religieuses, ainsi que l’état des lieux. La pauvreté et des
antagonismes artificiels sont devenus la cause de conflits utilisés par les
vieilles puissances coloniales comme la France pour continuer leur politique
coloniale avec de nouvelles méthodes ».
L’expert
continue : « l’expérience russe de règlement de ce genre de
conflit [des guerres civiles politico-religieuses] peut être clairement
qualifiée de réussie. Cela a été démontré en Tchétchénie, maintenant, il y a un
processus de réconciliation nationale en Syrie qui aurait été impossible sans
l’intervention de la Russie ». Et qui d’ailleurs apporte de nouveaux
fruits avec la reddition pacifique de la totalité de la poche rebelle entre Homs
et Hama – 1200 km² et 65 villes – qui échappaient au
contrôle loyaliste depuis 2011. La route directe Homs-Hama, vitale pour
l’économie de la Syrie, est d’ailleurs en train d’être
réouverte.
« C’est
pourquoi l’expérience russe anti-terroriste et diplomatique sera utile et sur le
territoire centrafricain. On ne peut pas ne pas remarquer que cette expérience
est beaucoup plus réussie que les résultats de l’ONU et de l’Occident. La
mission de l’ONU [MINUCA] conduite par la France démontre qu’elle est incapable
de régler le conflit, ce qui conduit à s’interroger sur l’efficience de ce genre
d’instrument dans d’autres régions du monde ».
Ressources
naturelles et diplomatie : la Centrafrique, une mine d’or
stratégique
Outre
un pavé dans la mare post-coloniale française, l’irruption de la Russie en
Centrafrique, aussi riche en problématiques qu’en ressources naturelles (diamant, or, fer,
tourmaline, graphites, cuivre, titane, latérite, étain, manganèse, cobalt,
pyrite, uranium, fer, cuivre, nickel… dont beaucoup de gisements n’ont pas été
explorés et restent à l’état d’indices) est aussi une attaque directe contre
l’ONU comme mode de règlement universel – et non moins universellement
inefficace – des conflits intérieurs de toutes natures.
Outre
le champ de bataille diplomatique – qui s’inscrit dans une remise en cause plus
globale des institutions occidentales par la Russie – il y a aussi une bataille
pour le contrôle des gisements de ressources naturelles et donc les fournitures
de base à l’économie du monde. Elle se joue contre les pays occidentaux, mais
aussi en concurrence avec la Chine qui investit à tour de bras en Afrique pour
en exploiter les ressources minières. De plus la Chine veut aussi acheter des terres arables – une autre
denrée rare dont elle manque, comme l’Inde et la Corée du Sud d’ailleurs, autres
investisseurs clé de ce marché très opaque.
La
Chine débarque avec des millions de dollars, finance à fonds perdus les élites
locales, forme des étudiants locaux par milliers – les bonnes recettes
soviétiques n’ont pas été perdues pour tout le monde – et installe ses
travailleurs, dont plus de deux millions habitent déjà sur le continent.
L’ampleur de l’activité chinoise sur le
continent – qui se déploie même là où nombre d’investisseurs refusent d’aller,
tant c’est instable et dangereux – rend presque anecdotique les efforts des pays
du Golfe – plutôt dans les pays musulmans ou à forte minorité musulmane – et des
Etats-Unis de se tailler une part du gâteau au détriment des vieilles puissances
coloniales européennes.
La
Russie a relancé son activité en Afrique à partir de 2014, en faisant la tournée
de ses anciens alliés de l’époque soviétique. C’est ainsi d’ailleurs qu’elle a
signé un accord de partenariat avec le Zimbabwe pour exploiter à partir de 2018
le gisement de platine de Darwendale, dont les
réserves prouvées sont de 19 T de platine et 775 T d’autres minerais. D’autres
projets de recherche, de diamants cette
fois ont en revanche été gelés suite à l’instabilité
politique interne.
Louis-Benoît
Greffe
Source :
https://www.breizh-info.com/2018/05/21/96021/centrafrique-la-france-recule-la-guerre-menace-la-russie-avance