En RCA, la situation exige de
renvoyer les députés devant leurs électeurs.
La discorde entre l'exécutif et le législatif se
transforme ces derniers jours en une singulière pyrrhique où les représentants
du peuple sont transformés en dindons d'une farce abjecte.
A
la veille d’Halloween, cette fête américaine au cours de laquelle les enfants,
déguisés en fantômes ou en monstres sympathiques, font du porte à porte pour
récolter des friandises, les principaux acteurs du microcosme politique
centrafricain jouent aux pitres. Les députés viennent en effet de déposer un
projet de destitution du président de l'assemblée
nationale.
Il y a quelques jours, le 12 octobre 2018 très
précisément, à Erevan (Arménie), interrogé par le journaliste français
Boisbouvier s'il cherchait la chute du président de l'assemblée nationale, le
président de la République centrafricaine, Faustin Touadéra a répondu, les yeux
dans les yeux : non.
Une semaine plus tard, le 19 octobre 2018, 97 députés
de la majorité présidentielle et leurs alliés engageaient une procédure de
destitution à l'encontre de Karim Méckassoua, le président de l'assemblée
nationale ! On a de la peine à croire que le président n'était pas
informé.
Les motifs invoqués par les parlementaires visent le
viol des dispositions de l'article 70 de la Constitution centrafricaine,
l'inobservation de l'article 23 de la loi organique n° 17.011 du 14 mars 2014,
le non-respect des règles procédurales relatives à la passation des marchés
publics, etc.
Il semble que chaque parlementaire ait reçu un cachet
de 1.500.000 francs CFA pour voter en faveur du projet de destitution. Ils
seraient 97 députés à être passés à la caisse pour percevoir un total de
145.500.000 francs CFA , somme qui représente dix pour cent de la dotation
budgétaire spéciale de la présidence de la République.
Ironie du sort, les mêmes griefs ont été soulevés à
l'encontre du ministre des transports et de l'aviation civile par le syndicat
représentatif de ce département. Or le ministre visé n'a ni démissionné ni n'a
été démissionné !
La morale de la fable de Jean de la Fontaine est ainsi
vérifiée : « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements
de cour vous feront blanc ou noir » (1).
1 – A qui profite le crime ?
Le fait que le projet de destitution soit porté par le
député de Sosso-Nakombo, la circonscription où trois investisseurs chinois ont
été lynchés par la population, après la mort par noyade du président de
l’association de la jeunesse locale qui les accompagnait, laisse supposer que la
procédure engagée par les députés de la majorité présidentielle est
téléguidée.
En agissant de la sorte, l'exécutif ajoute une crise
artificielle à la crise majeure, existentielle, que vit la RCA depuis décembre
2012.
Il est curieux d'ailleurs qu'en cette affaire si
sérieuse, les premiers responsables politiques demeurent bouches cousues. A qui
profite le désordre ainsi entretenu ? Le premier ministre Simplice
Sarandji, n'étant pas élu député, ne peut prétendre gravir les marches du
Perchoir. Reste alors les séides de la majorité présidentielle : Martin
Ziguélé, le tout puissant patron du MLPC ; ou Désiré Bilal Kolingba,
l'héritier du RDC, qui peut faire valoir en la circonstance sa conversion à
l'islam ; ou encore le couple Béa, les Médicis du KNK ; voire
l'inamovible députée Béatrice Epaye, qui ne dit jamais rien mais consent à
tout...
Sont-ils conscients des risques que leurs ambitions
font courir à un pays déjà amorphe et frappé
d'anomie ?
2 – Le pompier pyromane.
Le président de l'assemblée nationale, Karim
Méckassoua, a déjà prévenu de sa réaction : si la procédure de destitution
engagée arrivait à son terme et s'il était effectivement destitué, il a les
moyens de déclencher l'apocalypse en Centrafrique. Déjà, la rumeur publique
l'accuse d'avoir dégagé une enveloppe de 5O millions de francs CFA – une
peccadille au regard des enjeux - pour l'organisation de la marche pacifique qui
s'est tenue ce lundi 23 octobre 2018 dans le troisième arrondissement de Bangui,
le KM.5, sa circonscription. On le suspecte de vouloir mettre le pays à feu et à
sang, en tenant langue avec certains groupes insurrectionnels qui lui sont
redevables ou acquis : l’UPC de Darass, le MPC d'Al Khatim, les membres du
groupe de son obligé Abdoulaye Miskine, les éléments putschistes de l'armée
centrafricaine regroupés autour du nommé Dokodo, sans compter les fauteurs de
troubles du KM.5 affiliés au gang d'un certain Néméry alias
Force !
Tous ces crève-la-faim trouvent, dans cette situation
chaotique, une occasion pour améliorer leur quotidien matériel, mais, surtout,
mettre à mal une République centrafricaine déjà en mauvaise posture sur le plan
politique, économique et social, voire géopolitique. Ils pourront ainsi
consolider leur emprise sur les territoires déjà acquis. Tous, ou presque, ont
annoncé leur retrait des derniers accords signés à Khartoum (Soudan) à
l’initiative de la Russie. Ce n’est pas la première fois que les chefs rebelles
renient leurs signatures. Avec eux, c’est un exercice permanent.
Le président de l’assemblée nationale centrafricaine
joue avec le feu, avec de tels alliés ou soutiens.
Il n’empêche, en déclenchant cette confrontation
inutile (2), en se fermant à tous les conseils bienveillants des amis d'hier,
qualifiés désormais de néocolonialistes (3), en étant réceptif qu'aux manigances
intrépides de ses conseillers, spécial et politique, le président Touadéra tient
dans cette aventure le rôle du pompier pyromane. C'est un drame absolu pour la
RCA.
3 - « Ils ne mourraient pas tous, mais tous
étaient frappés »
(4).
Les conditions d'élections des parlementaires de la
sixième législature ayant été ce quelles sont, plombées par la corruption et les
fraudes massives, il n'y a qu'une seule réponse courageuse à donner à ce nouvel
affrontement stérile : la dissolution.
En effet, lorsqu'on a mis le doigt dans l'engrenage du
mensonge et de la corruption, on devient ipso facto démagogue et pourri. C'est
le cas de nos parlementaires, des deux côtés.
Conformément aux dispositions de l'article 70 de la
constitution visée plus haut, les députés seront appelés à se prononcer par un
vote secret le vendredi prochain, 26 octobre 2018, sur le projet de destitution
du président de l'assemblée nationale. Ils pourront élire un nouveau président à
partir du lundi 29 octobre 2018 (5). A mi-mandat présidentiel, Faustin Archange
Touadéra ne pourra plus gouverner, même avec une assemblée nationale transformée
en simple chambre d'enregistrement des volontés gouvernementales. Il aura abîmé
la confiance des partenaires techniques et financiers de la RCA
(6).
Pour rétablir cette confiance et aller de l'avant,
l'exécutif doit avoir le courage de renvoyer les parlementaires devant leurs
électeurs. C'est le seul moyen d'élaguer le pouvoir législatif des illettrés,
des responsables des crimes contre l'humanité et autres criminels en col blanc
ou bleu, qui pullulent dans les travées de l'actuelle assemblée nationale. Aux
urnes, citoyens !
4 – Une
cabale anti-française inefficace et puérile.
Dans un tel contexte, la cabale anti-française menée
par la voie d’une presse aux ordres est un leurre destiné à détourner les
regards des turpitudes des uns et des autres (7). Cette technique du
bouc-émissaire français et des ennemis de l’extérieur a déjà servi par le passé,
sous Félix Patassé et sous François Bozizé, sans succès. Chaque fois que les
autorités centrafricaines au pouvoir sont incapables de satisfaire les besoins
élémentaires du peuple, elles y ont recours.
En ce moment où la politique africaine du président
français Emmanuel Macron se tourne résolument vers les pays anglophones
(Nigeria, Kenya) ou francophones émergents (Côte d’Ivoire, Rwanda), la stratégie
choisie est suicidaire, sauf à vouloir la rupture définitive avec la France. Il
suffit dès lors de rompre officiellement les relations diplomatiques entre les
deux pays, comme l’a fait le Rwanda entre 2006 et 2009.
5 –
L’esprit de Barthélemy Boganda.
Une chose étonne : la résurgence périodique des
prétendus conflits interconfessionnels et des discriminations tribalistes. En
mes vertes années, que ce soit en équipe nationale de basket-ball, au collège
Saint-Paul des Rapides ou au lycée Barthélemy Boganda, ces différences ne
faisaient pas débat. Mieux, des adolescents du Tchad, du Congo ou du Cameroun,
venaient parfaire leur scolarité en Centrafrique et s’y installaient sans que
cela posent problème.
Il faut donc rompre avec cette propension à mettre en
avant les différences religieuses ou ethniques et renouer avec l’esprit de
Barthélemy Boganda : Zo kwè zo, le mot d’ordre du mouvement d’évolution
sociale en Afrique noire (MESAN), qui signifie à la fois, hospitalité,
solidarité, égalité et fraternité. D’où la vision d’une République
centrafricaine élargie aux Etats d’Afrique centrale d’expression latine, qui
était l’essence même de son combat politique (8).
Il faut dès lors s’étonner du comportement de nos
parlementaires en la circonstance présente. Sont-ils tombés si bas qu’ils ne
puissent se relever et gagner en hauteur de vue ?
Où sont-ils les hommes et les femmes pour lesquels je
nourrissais estime et considération, à l’exemple d’un Joseph Mabingui, d’un
Laurent Gomina-Pampali, d’un Jean-Claude Ngouandjia… Ont-ils oublié les
préceptes de leur spécialisation, chimie pour l’un, philosophie pour l’autre,
droit pour le troisième ?
Le temps est venu d’amalgamer ces différentes valeurs
en un alliage inaltérable, la nation centrafricaine.
Paris, le 25 octobre 2018
Prosper INDO
Économiste.
(1) –
Jean de la Fontaine : Les animaux malades de la peste, Les Fables, Le Livre
de Poche, Librairie Générale Française, 2002, 542p.
(2) -
Conformément à l'article 69 de la constitution, l'assemblée nationale élit son
président pour la durée de la législature... Les autres membres du bureau sont
élus chaque année. Il semble que la procédure engagée est destinée plutôt à
tordre le bras au président de l'assemblée nationale à propos de sa lecture
orthodoxe de l'article 60 de ladite constitution qui stimule que « le
gouvernement a l'obligation de recueillir préalablement l'autorisation de
l'assemblée nationale avant la signature de tout contrat relatif aux ressources
naturelles ainsi qu'aux conventions financières. Il est tenu de publier ledit
contrat dans les huit (8) jours francs suivant sa
signature ».
(3) -
Le président de la république oublie sans doute le soutien reçu de la part des
parlementaires français de l’UMP du Nord, aujourd’hui « Les
Républicains » des Hauts-de-France, qui ont contribué à son ascension à la
magistrature suprême du pays, comme hier le chef de l’État de la transition
snobait les parlementaires de gauche (socialistes) qui ont contribué à son
triomphe. Apparemment, la reconnaissance n'est pas une vertu en
Centrafrique.
(4) - Jean de la Fontaine, op. cité, p.206.
(5) – La Cour constitutionnelle n’a rien à voir dans cette procédure, sauf si le gouvernement prenait l’initiative de la saisir, à l’issue du vote des parlementaires ou avant la promulgation du décret de destitution au Journal officiel.
(6) - Depuis le mardi 23 octobre dernier, le président de la République est à Genève (Suisse) où il représente la RCA à la Conférence annuelle des Nations unies sur le commerce et le développement. Il sera absent jusqu’à ce vendredi 26 octobre 2018, jour du vote du projet de destitution à la chambre des députés. Ainsi, en pleine crise politique, le président Touadéra est en dehors du pays ; tel Ponce-Pilate, il se lave les mains de ce qui peut advenir ! Comment peut-il espérer convaincre les bailleurs de fonds d’investir dans un Etat qui réunit tous les critères d’un pays à très hauts risques ?
(7) – Ce jeudi 25 octobre, se tient à Ndjamena, capitale du Tchad, la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres de la Cémac. La RCA est représentée par son ministre des Finances ! Le président Touadéra et le premier ministre Sarandji n’osent pas se présenter devant leurs pairs ; ils se sont défilés.
(8) – « Barthélemy Boganda, héritage et vision », de Victor Bissengué et Prosper Indo, L’Harmattan, Paris 2018,194 p.